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Au Space, l’IA promet meuh et merveilles


AFP le 19/09/2024 à 10:05
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En 2023, 92 % des éleveurs de bovins laitiers français sont équipés d'au moins un objet connecté, selon une étude de l'Idele. (© JackieLou DL/Pixabay)

Brouettes qui identifient chaque vache, dispositifs de surveillance du bétail dopés à l'intelligence artificielle : au Space Rennes, les équipementiers et les pouvoirs publics misent beaucoup sur l'IA... Un enthousiasme parfois déconnecté des possibilités réelles des agriculteurs.

« Regarde ma ferme pour voir si mon robot aspirateur est reparti », lance Pierre-Marie Douinot, éleveur de vaches laitières à Larchamp (Mayenne) à Quentin Garnier, dont il est client depuis deux ans et qu’il retrouve sur son stand au Space. Président de l’entreprise nantaise AIHerd, M. Garnier a développé un système de vidéosurveillance intégrant de l’intelligence artificielle.

En quelques clics, les 70 vaches de Pierre-Marie apparaissent sur l’écran, déambulant paisiblement dans leur stabule, avec leurs numéros d’identification matérialisés par des bulles bleues qui flottent sur leurs dos. Le robot est à nouveau en marche. L’IA doit identifier les animaux en difficulté (vêlage, chaleurs, positions inhabituelles) et alerter l’éleveur.

« Un gain de temps », selon Pierre-Marie, soulagé de ne plus faire de ronde à 23h le soir pour vérifier que tout va bien. Une tranquillité qui a un coût : 40 euros par vache et par an.

Mais « il y a encore quelques ratés », admet Quentin Garnier, qui a fondé sa société en 2020. Toutefois, comme Pierre-Marie, il est convaincu du « potentiel énorme » du système, déployé dans une petite quarantaine d’exploitations en France et au Benelux.

Même principe pour EarWise, développé par l’entreprise bretonne Adventiel, dont l’intelligence artificielle analyse les sons pour signaler cris, grognements et autres bruits anormaux.

Un secteur « technophile »

Faciliter la vie de l’agriculteur, l’aider à prendre des décisions, le soulager de tâches rébarbatives… Les promesses sont nombreuses et les allées du Space regorgent d’innovations intégrant l’IA, abondamment financées par les pouvoirs publics.

Objectif : mettre l’agriculture au diapason de la course mondiale au développement de l’intelligence artificielle et dans laquelle la France et l’Union européenne espèrent se faire une place.

Le gouvernement consacre 90 millions d’euros, dans le cadre de France 2030, à l’innovation dans l’agriculture, avec l’IA comme « cœur » de l’appel à projets. Le plan européen AgrifoodTEF lancé en 2023, met à disposition des développeurs des banques de données fournies par les agriculteurs.

« L’agriculture a une réputation rétrograde alors que c’est un secteur qui est assez technophile », souligne Paul-François Jullien, chef de projet au sein d’Agretic, un programme lancé il y a treize ans par la région Bretagne qui met en relation éleveurs et entreprises du numérique.

En 2023, 92 % des éleveurs de bovins laitiers français sont équipés d’au moins un objet connecté (pour une moyenne de 6,6 objets par élevage) et 54 % d’entre eux envisagent de s’équiper à court ou moyen terme, selon une enquête de l’Institut de l’élevage (Idele) réalisée en ligne auprès de 2 028 éleveurs d’ovins, de caprins et de bovins. Ils sont 82 % dans les exploitations d’ovins viande, pour une moyenne de 2,6 outils numériques par élevage.

Des objets qui récoltent énormément de données que l’IA devrait permettre de traiter pour améliorer les rendements… Et renforcer les performances des intelligences artificielles en leur permettant d’« apprendre ».

Données sensibles et zones blanches

Mais le partage de ces précieuses données est un sujet hautement sensible et 66 % des éleveurs de vaches laitières interrogés par l’Idele craignent une utilisation abusive.

Si la grande majorité des éleveurs interrogés voient dans ces nouveaux outils un gain de temps et de confort, entre 60 et 70 % d’entre eux soulignent le manque de connexion au réseau mobile et les problèmes de wifi comme frein à l’installation.

Sans compter que certaines caractéristiques des exploitations rendent l’installation des dispositifs complexe : charpente trop haute, luminosité pour les caméras par exemple.

Le prix, très variable en fonction des équipements et de la typologie des exploitations peut aussi être un obstacle, tout comme le risque de dépendance.

« A trop informatiser, on perd l’œil de l’éleveur et son libre arbitre. Le vivant a besoin du vivant », relève un éleveur anonyme, cité dans l’étude.