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Berlin augmente la pression contre la loi anti-déforestation de l’UE


AFP le 13/09/2024 à 15:50

Berlin a réclamé vendredi le décalage de l'entrée en vigueur de la législation anti-déforestation de l'Union européenne, ajoutant sa voix à celle du Brésil et des États-Unis, dans un contexte de fronde contre les réglementations environnementales européennes.

Cette nouvelle législation pour protéger les forêts doit interdire à partir de fin 2024 la commercialisation dans l’UE d’une série de produits (cacao, café, soja, huile de palme, bois, viande bovine, caoutchouc, cuir, ameublement, papier…) s’ils proviennent de terres déboisées après décembre 2020.

Les entreprises importatrices, responsables de leur chaîne d’approvisionnement, devront prouver la traçabilité via des données de géolocalisation fournies par les agriculteurs, associées à des photos satellitaires.

Mais le projet, âprement débattu en Europe et finalisé dans la douleur fin 2022, suscite une levée de boucliers des milieux d’affaires de l’agrobusiness et de nombreux États africains, asiatiques et sud-américains, Brésil en tête.

Vendredi, le ministre allemand de l’Agriculture Cem Özdemir a écrit à la Commission européenne pour demander au nom du gouvernement fédéral de reporter de six mois, au 1er juillet 2025, l’application du règlement.

« Si les entreprises s’inquiètent pour leur survie, cela ne peut pas être ignoré à Bruxelles. Elles ont besoin de temps pour se préparer », a déclaré le responsable écologiste. « Les chaînes d’approvisionnement risquent de se briser, au détriment de l’économie allemande et européenne, des petits agriculteurs dans les pays tiers et des consommateurs », a-t-il averti.

La demande de Berlin intervient en pleine négociations pour un accord de libre-échange entre l’UE et les pays sud-américains du Mercosur. La loi anti-déforestation est un obstacle majeur à ce projet défendu par l’industrie allemande.

Cette législation est pourtant jugée cruciale par les organisations environnementales qui saluent une première mondiale susceptible d’entraîner d’autres régions du monde.

« L’Amazonie est en feu »

« Le débat sur le report de la loi porte le grave danger de provoquer son abandon complet », s’inquiète Nicole Polsterer pour l’ONG Fern. « L’an dernier, le monde a perdu une surface forestière presque aussi grande que la Suisse.

L’Amazonie est actuellement en feu et l’Amérique du Sud connaît des incendies sans précédent », souligne cette militante.

A l’origine de 16 % de la déforestation mondiale par le biais de ses importations (majoritairement de soja et huile de palme, chiffres de 2017), l’UE est le deuxième destructeur de forêts tropicales derrière la Chine, selon le WWF.

Le Brésil a également réclamé mercredi un report du règlement anti-déforestation, critiquant un « instrument unilatéral et punitif » contre ses exportations.

Le président de gauche Luiz Inacio Lula da Silva, revenu aux affaires l’an dernier, s’est pourtant engagé à mettre fin d’ici 2030 à la déforestation illégale dans le pays, liée à l’expansion de la puissante agro-industrie, toujours en quête de terres.

L’UE importe chaque année du Brésil 15 milliards d’euros de matières premières agricoles, notamment de soja, qui sont responsables de la déforestation et « c’est justement ce problème qu’on veut régler », explique l’eurodéputé Renew Pascal Canfin.

« Il ne faut pas céder au lobby de l’agrobusiness brésilien. On le sait depuis le début, c’est une bataille qui touche de très gros intérêts économiques », a-t-il relevé.

En juin, les États-Unis avaient eux aussi demandé à l’UE de reporter l’application du texte, inquiets de coûts supplémentaires pour leurs agriculteurs, éleveurs et exploitants forestiers.

En 2023, la Malaisie avait fustigé une « barrière commerciale restreignant l’accès libre et non discriminatoire au marché » et réclamé un report, à l’unisson de l’Indonésie.

La directrice générale de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), Ngozi Okonjo-Iweala, a demandé à Bruxelles d’« examiner à nouveau » cette interdiction des importations provenant de zones déboisées, dans une interview au Financial Times jeudi.

Une vingtaine de ministres de l’Agriculture de pays de l’UE, Autriche et Finlande en tête, avaient dénoncé début avril « de nouveaux obstacles bureaucratiques » risquant de « créer des distorsions de concurrence ».

De son côté, la Commission européenne assure « travailler intensément à la mise en oeuvre » de ce nouveau règlement. Aucun report n’est prévu à ce stade.