D’ici 2030, la France devrait perdre 584 000 vaches et 2 % d’éleveurs par an
TNC le 12/01/2022 à 09:56
Ce sont les chiffres alarmants qui ressortent des projections démographiques en élevage allaitant, réalisées par l'Idele pour Interbev et la CNE (Confédération nationale de l'élevage). Avec le vieillissement des éleveurs, 51,5 % ayant plus de 50 ans, et malgré la relative stabilité des installations, un cédant sur six n'est pas remplacé. « Un difficile renouvellement des producteurs qui s'accompagne d'une décapitalisation inéluctable du cheptel, mais dont l'ampleur et le rythme demeurent inconnus », souligne Christophe Perrot, du département économie.
Un vieillissement multifactoriel des éleveurs
« Le vieillissement des chefs d’exploitation en production bovine ne fait pas débat. Il est massif depuis les années 2000 et va générer des flux de départs importants. S’il semble stabilisé en lait, il ne l’est sans doute pas en viande, où il est d’ailleurs plus marqué », martèle Christophe Perrot, chargé de mission au département économie de l’idele. Les chiffres sont pour le moins éloquents : en 2018, 51,5 % des producteurs allaitants ont plus de 50 ans (49,5 % pour les laitiers), contre 29,4 % en 1994, et 33 % plus de 55 ans. Tous secteurs confondus, 30 % des actifs sont âgés de plus de 50 ans et 16 % de plus de 55 ans. À l’inverse, on dénombre 24 % de chefs d’exploitations et coexploitants de moins de 40 ans en élevage bovin viande et 26 % en lait.
8 à 10 % des producteurs > 62 ans encore en activité
L’origine du phénomène est « multifactorielle », indique-t-il. D’une part, « les éleveurs préfèrent toucher les aides Pac qu’une mauvaise retraite », fait-il remarquer. Sans compter « des transmissions d’exploitations de plus en plus difficiles ». D’où 8 à 10 % de producteurs allaitants encore en activité au-delà de 62 ans, alors qu’ils n’étaient que 3-4 % il y a 20 ans. Une tendance que pourrait freiner la nouvelle politique agricole commune, qui réduirait l’accès aux aides pour les exploitants de plus de 67 ans.
Des installations de plus en plus tardives
Côté installations, celles-ci sont de plus en plus tardives (après 40 ans) parce que les parcours et profils des éleveurs qui s’installent se diversifient, avec une part croissante de reconversions professionnelles. Les évolutions sur la transparence des Gaec et le statut des conjoints entrent aussi en ligne de compte. « Quand on s’installe à 40 ans, on en a forcément plus vite 50 », résume Christophe Perrot, qui précise : « Dans les années 90, les politiques socio-structurelles, de pré-retraite notamment, ont entraîné un rajeunissement spectaculaire des producteurs bovins, avant d’être stoppées pour des questions de coût essentiellement. »
Un impact sur le cheptel
Le vieillissement des éleveurs n’est pas sans impact sur le cheptel bovin viande : 21 % des vaches allaitantes sont élevées par des chefs d’exploitation et coexploitants de plus de 55 ans et 39 % par au moins un coexploitant de plus de 55 ans. Soit autant d’animaux qui « seront concernés à plus ou moins brève échéance par des cessations d’activité, des cessions de fermes ou des diminutions de la force de travail », pointe le spécialiste, indiquant cependant que l’analyse de cette problématique n’est pas évidente avec le développement des formes sociétaires.
Des installations stables, ou en légère hausse
Concernant les flux d’installation agricole depuis 2010, « la situation est plus positive », commente-t-il. En production allaitante, leur nombre est pratiquement stable (autour de 1 200-1 300 par an en dessous de 40 ans et 750-900 au-dessus, soit 2 200 en moyenne) même en légère hausse : + 650 entre 2010 et 2018, la progression étant plus tangible chez les plus de 40 ans, surtout à partir de 2015. « La transparence des Gaec et la réforme de la DJA (dotation jeune agriculteur y sont pour quelque chose », fait valoir Christophe Perrot. Si l’on regarde les élevages laitiers, en revanche, les installations diminuent, en particulier chez les plus de 40 ans (1 950 en 2018, dont 300 au-delà de 40 ans, versus 2 650 et 700 en 2014), après avoir augmenté entre 2010 et 2014 (1 950 installations à cette date).
À noter : 40 % des nouveaux installés, avec plus de 20 vaches allaitantes, ne se déclarent pas éleveurs de bovins viande à la MSA, mais polyculteurs-éleveurs (25 %) ou céréaliers (5 %). « Cela peut avoir des conséquences en termes de cheptel », met en garde Christophe Perrot.
« On observe une grande diversité d’installations en bovins viande entre les éleveurs allaitants spécialisés, les polyculteurs-éleveurs sans lait et les éleveurs mixtes allaitants et laitiers, mais également en termes de taille d’exploitation et de mono ou pluriactivité », détaille Christophe Perrot. Remarquons la part presque équivalente de producteurs spécialisés et de polyculteurs-éleveurs dans les plus petits élevages et la proportion de producteurs mixtes lait/viande qui s’amenuisent avec l’accroissement de la taille des fermes.
41 % d’installations en Gaec et 40 % en individuel
En production allaitante spécialisée, il existe deux grandes modalités d’installation : en Gaec avec plus de 100 vaches en moyenne (41 %) et en individuel (40 %). Dans ce 2e cas, « 45 % des élevages ont une activité non agricole complémentaire, d’où des troupeaux plus restreints de 20 à 50 vaches », précise l’expert qui reconnaît que « cela a sans doute contribué à maintenir une partie des éleveurs de la filière ».
1 cédant sur 6 non remplacé
Malgré des installations très diversifiées et la relative stabilité du flux, la vague massive de départs induit des taux de remplacement des éleveurs allaitants inférieurs à 1 sur la majeure partie du territoire. « En moyenne, en France, un producteur de bovins viande sur 6 n’est pas remplacé », appuie Christophe Perrot.
Dans les grands bassins de production, comme en Bourgogne Franche-Comté, c’est même 1/4, voire 1/3 en Pays de la Loire malgré une démographie favorable, car d’autres productions sont possibles et le recours à la pluriactivité plus rare. » En Auvergne-Rhône-Alpes, c’est un peu mieux : seul 1 cédant sur 10 n’est pas remplacé. En Normandie et dans les Hauts-de-France, le taux de remplacement est proche de 1, et même un peu supérieur parfois. Dans le Languedoc-Roussillon et en région Paca, il tourne autour de 1,3-1,4 car « ce sont des zones difficiles avec peu d’alternatives ».
Et même 1/4 en BFC et 1/3 dans les Pays de la Loire.
Notre pays est comme coupé en deux entre l’ouest nord et sud, où la part des éleveurs de plus de 55 ans dépasse le moyenne française, puis le centre et l’est, où la proportion des moins de 40 ans excède la moyenne nationale. Le vieillissement des producteurs est donc plus prégnant dans l’ouest. À savoir, selon Christophe Perrot : « dans la zone verte, même si l’évolution démographique est moins favorable, le taux de remplacement des éleveurs allaitants est stimulé par un reliquat de reconversions d’ateliers lait en viande, qui augmente le nombre de producteurs ».
Un vieillissement plus prégnant à l’ouest.
Si l’on se base sur « la projection tendancielle cumulant les départs prévisibles (à la retraite et précoce) d’éleveurs allaitants et une stabilisation possible des installations, le nombre d’actifs devrait régresser de 2 % par an. La moitié des chefs d’exploitations présents en 2018 devraient avoir quitté le métier en 2027. Entre ces deux dates, on obtient le climax du phénomène, comme en élevage laitier. En 2022, on se situe au tiers de la baisse du nombre de producteurs allaitants. La décapitalisation du troupeau, amorcée depuis 2016, un à deux ans plus tard qu’en lait, est inéluctable. Nous risquons de perdre de 584 000 vaches allaitantes entre 2021 et 2030 versus 441 000 vaches laitières ! »
Ce mouvement de repli n’est pas homogène sur le territoire (cf. cartes ci-dessous) : les baisses les plus importantes (> 20 %) concernent le Grand Ouest mais aussi des régions de polyculture-élevage comme le nord du Bassin parisien ou le nord-est de la France, puis, et c’est plus nouveau, la vaste zone herbagère du nord du Massif Central, au sein de laquelle « les Gaec font face à de nombreux départs ». « Cela entraîne une perte de main-d’œuvre alors que les exploitations ont beaucoup de mal à recruter, des salariés notamment, ce qui va se traduire par un recul drastique des effectifs animaux, excepté dans les zones difficiles du sud-est où pourraient se concentrer les éleveurs bovins viande », craint Christophe Perrot. Il cite le chiffre de 23 % de producteurs allaitants en régions pastorales ou de montagne en 2030 contre 19 % en 2018.
Le Massif Central particulièrement touché.
Quant aux « trajectoires d’exploitation », « nous sommes en train de passer de la croissance à la décroissance », alerte-t-il. En régression depuis 2016, et surtout 2017, « la variation moyenne du nombre de vaches allaitantes sur 3 ans est, en 2020, pour la première fois négative : – 0,7 point (3,7 en 2017). » « La marche arrière est enclenchée, surtout dans les élevages individuels, mais l’ampleur et le rythme de cette décapitalisation demeurent inconnus, conclut l’expert. Les causes sont variées : changement climatique, incitation à produire en raison des prix faibles, capitalisation et coût de la croissance dans les grosses exploitations, concurrence entre productions avec, par exemple, du blé meunier à 300 €/t, pénurie de main-d’œuvre, etc. L’élevage allaitant devient une activité parmi d’autres, les besoins des producteurs et de la filière risquent d’en pâtir. »
Source : Grand Angle Viande, novembre 2021.