20 % de la surface agricole française va changer de main dans les 10 ans
TNC le 22/02/2022 à 14:10
Alors que près de la moitié des agriculteurs partira à la retraite dans les 10 ans, et qu'une surface de 5 millions d’hectares devrait ainsi changer de main, l’association Terres de Liens alerte sur la nécessité d’évoluer vers un modèle agricole plus vertueux et plus protecteur pour éviter que ces terres ne partent à l’agrandissement ou à l’artificialisation.
Si aujourd’hui, 52 % du territoire métropolitain est recouvert de sols agricoles, cette proportion était de 72 % en 1950. « On détruit cette ressource, support de notre alimentation et du vivant. Sur une surface agricole utile de 27 millions d’hectares aujourd’hui, on détruit tous les ans 50 000 à 60 000 ha, soit l’équivalent d’un terrain de foot toutes les 7 minutes et la capacité à nourrir une ville moyenne comme Le Havre, tous les ans », explique Tanguy Martin, chargé de plaidoyer chez Terres de Liens. En amont du salon de l’agriculture, l’association publie un rapport sur l’état des terres agricoles en France pour alerter sur ce processus irréversible, d’autant plus que près de la moitié des agriculteurs pourraient partir à la retraite dans les 10 ans à venir, libérant 20 % des terres agricoles.
27 fermes en moins par jour
Bien que les exploitations françaises restent à taille humaine, le dernier recensement agricole a montré une forte diminution du nombre de fermes en France, avec 100 000 exploitations en moins entre 2010 et 2020, soit 27 fermes en moins par jour. En 50 ans, ce sont 1,2 millions d’exploitations qui ont disparu, rappelle Terres de Liens. La baisse du nombre de paysans favorise l’agrandissement, avec une augmentation de la surface moyenne passée de 24 ha en 1988 à 69 ha en 2020. Les exploitations de plus de 100 ha représentent, en 2020, 25 % des effectifs, contre 12 % en 2000.
Conséquences : baisse de l’emploi et transmission plus difficile
Pour Terres de Liens, cette tendance est inquiétante pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’agrandissement des fermes fait baisser le nombre d’emploi (- 80 000 équivalents temps plein en 10 ans). Or, « moins d’agriculteurs, c’est une agriculture plus intensive avec des impacts sociaux, économiques, des conséquences sur la qualité… », relève Benjamin Duriez, directeur de la fédération Terres de Liens.
Par ailleurs, l’agrandissement rend la transmission plus difficile : environ deux tiers des terres libérées sont utilisées pour agrandir des exploitations existantes, explique l’association. D’ici 2025, si on suit les tendances, il ne resterait que 340 000 exploitations, contre 390 000 en 2020. Sur 20 000 départs, seules 15 000 exploitations sont reprises, indique Terres de Liens, qui explique en partie le phénomène par la perte de vitesse du modèle de transmission familial. « Aujourd’hui, 60 % des personnes qui se rendent au point installation ne sont pas issues du milieu agricole, donc elles vont devoir chercher des terres pour s’installer, or l’accès à la terre est l’un des principaux freins à l’installation », indique l’association.
Il en résulte un décalage important entre une tendance de fond qui pousse les fermes à s’agrandir, se spécialiser, se mécaniser, alors que les aspirants à l’installation sont « de plus en plus sensibles aux attentes sociétales, et portent des projets plutôt ancrés sur territoire, avec de la commercialisation en circuit court notamment », ajoute Terres de Liens. Ainsi, les fermes à reprendre correspondent de moins en moins aux projets des futurs installés.
Une loi qui ne protège pas suffisamment les terres
Mal partagées, les terres agricoles sont aussi mal protégées, conclut l’association qui formule un certain nombre de recommandations afin de réserver le foncier à un usage agricole et à un maximum d’agriculteurs. Terres de Liens appelle donc le futur président à, enfin, adopter une grande loi foncière comprenant plusieurs dispositions comme annuler les plus-values foncières réalisées par les propriétaires fonciers lors du changement d’usage, rendre l’artificialisation plus chère que la rénovation urbaine par une taxe d’urbanisation élevée, renforcer la régulation de la valeur vénale des terres, créer et renforcer les structures de portage foncier solidaire, encadrer la rédaction des schémas directeurs régionaux des exploitations agricoles pour qu’ils respectent mieux des objectifs d’intérêt général, mettre en place une nouvelle instance de régulation des droits d’usage des terres, ou encore des aides à l’installation qui favorisent les pratiques agroécologiques.
« Recul des ventes de terre au profit de la location, financiarisation des transactions foncières, arrivée d’investisseurs non agricoles, contournement des contrôles, et émergence d’une nouvelle génération d’agriculteurs non issus du milieu agricole, les leviers sur lesquels agir sont aujourd’hui connus », conclut Terres de Liens.