Dans le Nord, « restrictions inédites » et pommes de terre assoiffées
AFP le 03/08/2022 à 10:05
« Voir cette terre poussiéreuse, pas pouvoir irriguer, ça m'était jamais arrivé », rage Denis Bollengier, dans son champ de pommes de terre. Frappé par une sécheresse historique, le département du Nord est partiellement soumis, depuis vendredi, à des restrictions inédites.
Sous la fourche de cet exploitant, le sol s’effrite comme du sable. Et au bout d’un pied tout juste déterré, seules « deux ou trois » pommes de terre semblent viables. Les autres, de la taille d’une balle de ping-pong voire d’une bille, « auraient besoin d’eau pour grossir », explique-t-il. Sauf qu’il ne pleut pas « et qu’on n’a plus le droit d’irriguer ».
Après le mois de juillet le moins pluvieux jamais enregistré en France, le Nord subit comme tout l’Hexagone une sécheresse record. La préfecture a placé pour la première fois de son histoire une portion du territoire, le bassin de l’Yser, au niveau de « crise sécheresse ». Interdiction d’arroser son jardin, son potager, ou même d’irriguer les cultures : dans cette zone, qui compte 37 communes et 45 000 habitants, les restrictions sont drastiques. Seuls les « légumes frais » peuvent être arrosés, certaines nuits de la semaine.
Fleuron régional, pourvoyeur d’emplois agricoles comme industriels, la pomme de terre ne bénéficie pas de ces dérogations. « Incompréhensible », tranche M. Bollengier.
« Déconnecté »
« Sous 35 mm, une pomme de terre n’est pas commercialisable. Pour faire des frites, il en faut des grosses » et « en début d’année, on s’engage auprès des industriels sur un tonnage », explique-t-il. « Si je n’honore pas mes engagements, je devrais payer la différence ».
« S’il ne pleut pas d’ici le 15 août, je risque d’avoir 50 % de perte de rendement », soupire-t-il, mettant en garde contre une hausse des prix du frais et des frites. Maraîcher, céréalier, éleveur de volailles et représentant de la FDSEA à la tête d’une exploitation de 115 hectares, M. Bollengier pointe un arrêté « déconnecté du terrain ».
Pour les légumes frais, « les horaires imposés sont illogiques », estime-t-il encore. Et pour « ceux qui ont stocké de l’eau pluviale en hiver » ou « recyclent celle des industriels », « l’arrêté n’est pas clair ».
Les éleveurs du Nord, comme ceux du Pas-de-Calais voisin, sont aussi très inquiets. « Il n’y a plus d’herbe dans les prairies, avec deux mois d’avance », et le maïs fourrager s’est « très peu développé », regrette Antoine Jean, porte-parole départemental de la Coordination rurale. Comme dans le sud, certains « ont déjà commencé à utiliser leurs réserves de foin d’hiver pour nourrir les bêtes ».
« Ecosystème en péril »
Le Nord, « où l’eau était réputée abondante », et où « l’on pensait être un peu mieux protégé qu’ailleurs », réalise aujourd’hui qu’il n’est « plus à l’abri », note depuis Herzeele, une commune proche, Bertrand Warnez, chef de service départemental de l’OFB (Office Français de la biodiversité).
« Ces six dernières années, on a connu cinq années d’arrêtés sécheresse », de plus en plus précoces et intenses. « Avec le réchauffement climatique, on est arrivés à l’heure du partage de l’eau, qui va manquer » et « les restrictions deviendront plus fréquentes », prévient-il.
Semelles à peine mouillées, il traverse avec sa brigade le lit de l’Yser, rivière « arrivée à un niveau jamais vu », 60 cm en dessous de la normale. Pierres et terre émergées lui font craindre des « ruptures d’écoulement, qui contraindraient les poissons à se regrouper » dans des flaques. « L’écosystème est en péril : à ces niveaux, l’eau se réchauffe, les polluants se concentrent et l’oxygène se raréfie, résume-t-il, sans compter le risque de développement de bactéries toxiques. »
De quoi aussi poser problème de l’autre côté de la frontière, en Belgique, où des captages d’eaux de surface en provenance de l’Yzer produisent de l’eau potable, souligne Léa Lelièvre, animatrice du Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SAGE).
La situation suppose selon M. Warnez des adaptations et changements de pratiques. « Mais nos investissements, on les fait sur le très long terme », objecte Denis Bollengier. « Je veux transmettre l’exploitation à mon fils, avec des perspectives. Là, je commence à avoir des doutes. »