En bio, le prix du lait ne compense pas la hausse des charges
TNC le 01/11/2022 à 07:04
Évolution de la production et de la demande, niveaux de prix, effets de la sécheresse et de l’inflation, loi Egalim… À l’occasion du Space à Rennes, nous avons rencontré Corentin Puvilland, économiste au Cniel, et Bruno Martel, producteur de lait bio à Bains-sur-Oust (Ille-et-Vilaine) et membre de la commission bio du Cniel. Ils reviennent sur les enjeux et la dynamique de la filière laitière bio en France.
Quelle est la situation du marché du lait bio en France ?
Corentin Puvilland : La production laitière bio était de 1,23 Md de litres en 2021, en forte croissance par rapport à 2020 : 11 % environ. Cette croissance est ralentie depuis le début de l’année 2022, surtout à cause de la sécheresse. Elle se poursuit tout de même, avec un certain nombre de conversions en cours qui se traduisent par des volumes supplémentaires
(NDLR : interview réalisée le 14 septembre. Les dernières données concernant la collecte de lait bio indiquent une progression d’environ 1 % en juin/juillet, puis une chute de la collecte au mois d’août, de l’ordre de 8 % par rapport à 2021)
Concomitamment à cette croissance continue de l’offre, quoique ralentie, on assiste à une baisse assez forte de la consommation, dont on a vu les prémisses début 2021 et qui s’accentue ces derniers mois. Aux facteurs structurels apparus en 2021 sont sans doute venus s’ajouter des facteurs conjoncturels, liés à l’inflation.
La demande est maintenant en fort recul d’une année sur l’autre, et aussi par rapport aux niveaux d’avant-pandémie. La consommation des ménages en grandes et moyennes surfaces (GMS) est en baisse de 20 % sur un an sur certaines catégories de produits, soit environ 15 % en équivalent lait. Mathématiquement, on se retrouve avec des excédents croissants de lait bio.
Bruno Martel : Les GMS sont le premier facteur de croissance des produits laitiers bio, il est donc indispensable que la croissance de la consommation reparte en GMS. On a malgré tout des raisons d’être optimistes sur la restauration hors-domicile (RHD), où on a observé des croissances importantes et un questionnement fort pour incorporer plus de produits laitiers.
Les hausses sont de l’ordre de 6-6,5 % sur des objectifs Egalim à 20 %, ce n’est pas suffisant, mais malgré tout on est sur des croissances en RHD. N’oublions pas les magasins spécialisés, un canal de distribution important de produits bio spécifiques, sont à la peine en ce moment.
La hausse des charges en élevage est-elle aussi marquée en lait bio qu’en lait conventionnel ?
B.M. : Nous sommes impactés significativement par l’inflation, notamment en ce qui concerne l’énergie, la main-d’œuvre, le coût de la mécanisation et de l’entretien du matériel. Mais les structures bio sont aussi plus résilientes, par des modèles de production plus économes, moins dépendants des engrais chimiques, des produits phytosanitaires, des protéines dans l’alimentation… On pourrait estimer que les producteurs bio sont deux fois moins impactés par cette inflation que les producteurs conventionnels.
C.P. : Cette hausse des charges, qui concerne certainement un peu moins les exploitations bio, intervient dans un contexte où le prix du lait bio ne progresse plus, en rapport avec les excédents importants de lait bio qui se traduisent par des déclassements et des moindres valorisations.
En parallèle, les exploitations conventionnelles profitent d’une hausse des prix d’environ 25 % sur un an en moyenne, avec une très forte hétérogénéité. En lait bio, on est plutôt sur une très légère baisse d’une année sur l’autre : il n’y a donc pas de compensation de la hausse des charges.
Quel sera l’impact de la sécheresse de 2022 sur la filière laitière bio ?
B.M. : Nous avons subi une sécheresse historique cet été. Chez moi, c’est 10 % de production en moins sur le mois d’août. C’est très impactant pour les producteurs : ce sont les prairies qui ont été touchées, et notre assolement est constitué à 90 % de prairies. Mais vu les surfaces en herbe disponibles, quand la pluie reviendra, on aura certainement de l’herbe à l’automne.
Quel pourrait être l’impact de la loi Egalim sur le marché du lait bio ?
B.M. : L’enjeu Egalim est important, pour les producteurs bio comme pour l’ensemble des producteurs de matières premières agricoles françaises. L’accompagnement des pouvoirs publics est très important dans nos relations commerciales. Cela ne concerne pas la totalité de la valorisation de nos produits, parce qu’une partie est transformée en conventionnel et n’est pas valorisée en bio.
Aujourd’hui, nous n’avons que les indicateurs de coûts de production de 2020, sur des objectifs à 529 €/1 000 l en termes de prix au producteur. On en est loin aujourd’hui, bien en dessous des 500 euros ! Il y a bien un enjeu Egalim à passer les hausses pour prendre en compte la matière première agricole bio, sur les marques, sur nos produits GMS, et dans un contexte où le conventionnel le fait aussi.