De nouvelles variétés de bananes pour pérenniser la filière
AFP le 09/12/2022 à 11:05
Elles s'appellent 964, 965 ou 966 : l'Institut technique tropical (IT2) a élaboré de nouvelles variétés de bananes voulues plus résistantes aux aléas naturels afin de renforcer durablement la filière en Guadeloupe, mise à mal par de nombreuses maladies.
« Il s’agit pour nous de pérenniser la filière », explique à l’AFP Jean-Louis Butel, dont l’exploitation située à Saint-Sauveur (Guadeloupe) accueille quelques centaines de pieds de ces nouvelles variétés.
La Cavendish, variété reine du marché mondial, est menacée par la cercosporiose noire, une maladie du feuillage qui nuit à la qualité des régimes, et la fusariose dite de « race 4 », pas encore présente sur le territoire. « On sait que c’est une question de temps », souligne Marcus Hery, directeur de l’IT2.
L’objectif ? Créer une variété qui résistera et permettra de maintenir l’activité de la filière, qui pèse « 96,2 % des exportations en volume du secteur primaire » guadeloupéen, selon le rapport annuel 2021 de l’Institut d’émission d’outre-mer (Iedom).
Après leur « hybridation naturelle » au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), « on leur fait passer des tests en leur inoculant les maladies », précise M. Hery.
C’est seulement après qu’une première phase de tests « en situation » est effectuée chez les producteurs, avant que la variété ne soit généralisée.
Echec passé
« On sait que l’avenir est à la production en bio, alors nos variétés sont cultivées dans un état proche de celui de la nature, souligne Jean-Louis Butel.
Le producteur reconnaît la difficulté de la concurrence avec la République dominicaine, qui fixe le prix de référence de la banane bio, « car la main d’œuvre est moins chère et surtout où les normes phytosanitaires sont moins drastiques ».
Autre crainte, l’échec d’une nouvelle variété.
Lui et le directeur de l’IT2 se souviennent de la débâcle de la variété 925 ou « Pointe d’or ». « On avait fait des travaux énormes sur cette banane, créée il y a une vingtaine d’années » et qui avait été « transférée chez les producteurs au milieu des années 2010 », raconte Marcus Hery.
En 2019, celle-ci cochait toutes les cases: « pas trop haute », pour rester facilement cultivable et ne pas trop avoir de prise au vent en cas de cyclone, et « résistante aux maladies », même si elle noircissait plus facilement après la récolte.
L’accord de pré-commercialisation était conclu avec Biocoop, avant que la société ne se rétracte.
Même après que la filière a trouvé un nouveau débouché, chez Carrefour Bio en 2020, cette variété, « résistante à la cerco » n’a pas toléré l’export : les bananes arrivaient trop mûres et noircies et donc impossibles à commercialiser.
Conséquence ? Les producteurs ont dû tout arracher. « Une perte d’environ 1 200 tonnes de bananes, non indemnisée si ce n’est par une caisse de solidarité du groupement », soupire l’agriculteur.
« L’avenir, c’est l’agroforesterie »
Enfin, le spectre du chlordécone, pesticide hautement toxique épandu dans les bananeraies jusque dans les années 1990, continue de hanter l’espace public, sanitaire et agricole des Antilles, alors qu’il est reconnu à l’origine des taux élevés de cancer de la prostate en Martinique et en Guadeloupe.
Fin novembre, un non-lieu a été requis par le parquet de Paris, après des années de procédure judiciaire, ravivant la colère des plaignants qui dénoncent l’empoisonnement de la quasi-totalité de la population antillaise alors que les risques étaient connus.
« L’avenir, c’est ce que faisaient nos grands parents : l’agroforesterie », note Jean-Louis Butel, qui regarde avec intérêt les pratiques de la viticulture en biodynamie, sans produit de synthèse.
Il est pourtant conscient que la banane antillaise reste un produit de niche au niveau mondial, à moins qu’une variété révolutionnaire ne vienne changer la donne. Le futur passe peut-être par des économies d’échelle, en mutualisant l’encartonnage des régimes par exemple, ou en misant sur l’agro-transformation. Et ce, même si la banane des Antilles, en manque de rentabilité, est largement subventionnée.
Le secteur est « récipiendaire d’une part non négligeable des soutiens publics à l’agriculture ultramarine, environ 23 %, soit 128 millions d’euros qui sont versés aux producteurs martiniquais et guadeloupéens », selon la Commission des affaires économiques de l’Assemblée.
Au milieu de ces interrogations, la banane peut toutefois compter sur les degrés supplémentaires promis par le dérèglement climatique qui pourraient bien, selon les spécialistes, créer des conditions meilleures pour sa culture, toutes variétés confondues.