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Essais dans l'Indre

La litière forestière fermentée pour améliorer la vie des sols


TNC le 05/04/2023 à 18:05

À gauche, Nicolas Lemane, conseiller technique chez Dupré Lardeau et à droite, Jean-François Feignon, agriculteur, Gaec La Forêt. (©Vert l'avenir)

À la recherche d'alternatives aux produits phytosanitaires, les établissements Dupré-Lardeau testent, avec une dizaine d'agriculteurs volontaires, la lifofer, une solution naturelle à base de litière forestière fermentée. Ils expliquent leurs expériences après une première année d'essais sur tournesol dans l'Indre, à l'occasion d'une conférence de presse Vert l'avenir, organisée par le Négoce agricole Centre-Atlantique.

« On est aux balbutiements de la démarche : les premiers essais de lifofer sur tournesol dans des sols pauvres ont très bien réagi, même si les parcelles ont souffert de la sécheresse », indique Nicolas Lemane, conseiller technique chez Dupré-Lardeau.  

« Enrichir de manière naturelle les parcelles »

Le négoce basé dans l’Indre s’intéresse à la litière forestière fermentée et a lancé un groupe de travail sur cette thématique avec une dizaine d’agriculteurs depuis l’an dernier. Notamment utilisée dans le maraîchage, cette méthode a été mise en place au Japon et en Amérique Latine.

« L’hypothèse à la base est que l’apport d’un mélange de micro-organismes dits efficaces permet d’interférer sur l’équilibre microbiologique et de créer un environnement favorable à la croissance des plantes. Parmi les micro-organismes efficaces, on trouve des bactéries (phytosynthétiques, fixatrices d’azote, acidolactiques), des levures et des champignons. »

Photo de lifofer prête à être utilisée. (©Dupré-Lardeau)

Nicolas Lemane précise : « dans un sol agricole, on compte en général 10 % de bonnes bactéries, 10 % de mauvaises et les 80 % restants sont neutres. Avec la lifofer, on essaie de « toutes les emmener vers la bonne destination » ». L’ambition derrière : « enrichir de manière naturelle les parcelles, rendre les sols plus vivants et plus forts et diminuer ainsi l’utilisation de produits phytosanitaires de synthèse et d’engrais ».

« Un levier supplémentaire dans une démarche globale »

« Bien que nous ne soyons pas en mesure d’en quantifier les effets aujourd’hui, les premières observations sur tournesols sont porteuses d’espoir pour les grandes cultures, ajoute le conseiller technique. Les principales propriétés de la lifofer qui font consensus sont celles de biostimulants des végétaux, améliorateurs des propriétés physiques, chimiques et biologiques du sol, suppresseurs d’agents pathogènes et contrôleurs des maladies et ravageurs. »

Comparaison entre des parcelles de tournesol : témoin à gauche et avec apport de lifofer à droite. (©Dupré-Lardeau)

Parmi les agriculteurs du groupe de travail : Jean-François Feignon et son frère, installés en polyculture-élevage du côté de Rivarennes (Indre). Ils ont engagé leur exploitation vers l’ agriculture de conservation des sols depuis plus de 10 ans, avec un travail autour des couverts végétaux, une réduction du travail du sol et du recours aux produits phytos. « On n’utilise plus de fongicides, ni d’insecticides sur nos parcelles. Avec la lifofer, c’est un levier supplémentaire que l’on teste dans cette démarche globale pour aller vers la bonne santé des sols, avec peu d’investissements », explique l’agriculteur. Il a essayé la solution sur tournesol, ainsi que sur couverts végétaux et pailles broyées. « On cherche à obtenir la résilience économique de l’exploitation à travers la résilience des sols ».

Quelle est la recette ? 

« Comment créer une solution de microorganismes efficaces à pulvériser sur les cultures ? » Nicolas Lemane et Jean-François Feignon nous listent les ingrédients de la recette : 

– « une litière en cours de décomposition provenant de forêts locales, afin de favoriser les bactéries autochtones » ; 

– « du petit lait. C’est la source de bactéries lactiques la plus adaptée (effet inhibiteur de la croissance bactérienne et il confère une certaine stabilité lors du stockage) » ; 

– « une source de sucre facilement fermentable : mélasse de canne à sucre (riche en potassium, bore, calcium, magnésium) ou sucre brun dilué dans l’eau » ; 

– « une source d’amidon et de fibres, qui va fournir les glucides qui permettront la survie des microorganismes : nous utilisons du son de blé » ; 

– « l’ eau qui va permettre de garantir le taux d’humidité lors de la fermentation solide. Attention à bien utiliser de l’eau de pluie, et surtout pas d’eau chlorée ».

Une fois qu’on a préparé tous les ingrédients, quelles sont les étapes à respecter ? 

– Tout d’abord, on vient « répandre les matériaux solides (litière et son de blé) sur un sol lisse ou une bâche plastique, et les brasser jusqu’à obtenir un mélange bien homogène. Ne pas hésiter à y passer du temps, avec des pelles ou à la main, en émiettant les morceaux trop grossiers et en retirant ceux qui ne s’émiettent pas. Il est important également de retirer tous les végétaux encore verts ».

– On remplit alors un récipient hermétique de ce mélange. Attention à bien chasser l’air pour garantir une fermentation anaérobie (sans oxygène). Le mélange doit être maintenu à une température d’environ 25°C pendant 20 à 30 jours. 

– Passée cette étape, on va ensuite « mettre la phase solide dans un sac de jute et faire infuser pendant 7 jours encore à 25°C dans une cuve de 1 000 l contenant le petit lait, la mélasse et de l’eau potable non chlorée ».

La solution ainsi obtenue s’utilise diluée de 5 à 10 % du volume de la bouillie de pulvérisation. 

Infusion de la phase solide pour la litière forestière fermentée. (©Vert l’avenir)

Parmi les points d’attention : « la lifofer est photosensible, précise Jean-François Feignon. L’épandage est à privilégier plutôt le soir, et quand les conditions climatiques sont favorables. Il faut aussi être vigilant quant à la qualité des produits utilisés et au nettoyage du pulvérisateur ».

L’agriculteur apprécie la démarche collective, qui permet « une émulation de groupe et favorise le partage d’expériences. C’est notamment important sur le sujet de la lifofer, où il reste encore beaucoup de choses à creuser ». Nous ne manquerons pas donc de suivre l’avancée du groupe de travail !