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Moisson 2023

Grain humide ou germé : le conserver et l’introduire dans la ration des bovins


TNC le 22/08/2023 à 05:04
BlEgermE

Si le taux d'humidité ne permet pas un stockage à sec des céréales, un stockage humide peut toujours être envisagé.

La moisson 2023 touche à sa fin et la qualité des derniers grains récoltés pose question. Si l’alimentation animale peut être une voie de valorisation, il reste important de veiller à la bonne conservation du grain. Pour ce faire, deux voies sont possibles : le traditionnel stockage à sec, et la conservation humide pour les céréales ne répondant pas aux normes. Quelle que soit l’option choisie, il est essentiel d’effectuer des analyses pour évaluer les valeurs alimentaires de la céréale, et évaluer le risque en mycotoxines.

Dans le quart nord, la moisson s’éternise, et la qualité du grain n’est plus au rendez-vous. Entre céréales germées et humidité, les conditions de conservation ne sont pas optimales pour l’autoconsommation. Mais pour Jean-Louis Hérin, conseiller indépendant en nutrition animale, tout n’est pas perdu. « Il faut être pragmatique, et essayer de valoriser ce qui peut l’être ». Pour ce faire, mieux vaut ne pas lésiner sur les indicateurs de qualité.

Séchage et ventilation pour le stockage en silo

Pour stocker le grain à sec, le blé doit être battu en dessous des 20 % d’humidité, et ramené à moins de 15 % d’humidité via le séchage. Si l’option reste coûteuse, le séchage permet d’éviter le développement d’insectes et de moisissures dans le silo. Bref, d’assurer la conservation du grain. 

Surveiller également à la température des tas. Une fois rentré, la céréale continue de respirer. Une partie de la matière est consommée en chaleur, eau et CO2. La ventilation est alors essentielle pour éviter l’échauffement de la céréale : chaleur et humidité pouvant entraîner la reprise de l’activité physiologique de la graine. Et c’est un cercle vicieux. Plus le grain chauffe, plus il respire, et plus les insectes et mycotoxines se développeront. Les organismes de stockage conseillent généralement de maintenir le grain à une température inférieure à 15 °C pour le conserver tout l’hiver.

Le PS impacte peu l’alimentation animale

Le manque de PS est surtout un souci pour la commercialisation du grain. « Avec des PS de 70-72 kg/hl en blé au lieu des 76 d’objectif, les valeurs alimentaires ne sont pas impactées. Ce sont des grains moins « dodus », un poil moins beau, mais aucune baisse des valeurs nutritionnelles n’a été démontrée », explique Yan mathioux, nutritioniste indépendant en ruminants. « En orge, cela entraine éventuellement une proportion d’enveloppe plus importante, mais rien de très impactant ». Avec des niveaux de PS très bas – exceptionnels – on pourrait avoir des modifications de la nature de l’amidon, « mais je n’ai jamais eu ce cas de figure » ajoute le conseiller. Donc si le négoce ou la coop n’en veut pas, les animaux pourront les valoriser.

Grain germé : analyser la taille du germe

Pour Jean-Louis Hérin, la présence de grains germés en faible proportion n’est pas incompatible avec alimentation animale. « On fait bien germer du blé ou de l’orge pour nourrir les bovins », rappelle le conseiller. À cela près que le processus de germination est recherché et maîtrisé… mais le grain n’en demeure pas moin « invendable » estime Yan Mathioux. Dans ce cas, autant l’intégrer dans la ration. « À noter qu’une céréale fraiche juste germée est un met de choix. »

Lorsque la céréale germe sur pied, l’enjeu est de reprendre la main sur la condition physiologique de la graine. Pour la conserver, il faut réussir à faire sécher la graine, même avec un germe. « Si la graine commence à germer, c’est parce qu’il y a de l’humidité. S’il n’y a plus d’humidité, la germination est bloquée. » Reste ensuite à être vigilant quant à l’éventuelle présence de mycotoxines.

D’après Arvalis, la conservation en sec du blé germé est possible s’il est récolté à un taux d’humidité inférieur 20 %, avec des germes de moins de 1 cm. Il devra alors être correctement séché et ventilé.

Avec des germes de plus de 1 cm, il faudra miser sur une conservation humide. Dans ce cas, Yan Mathioux conseille d’opter pour le stockage en boudin. « Le grain ne redescendra pas à un taux d’humidité suffisant pour être stocké à sec ».

Le traitement à l’urée pour une conservation humide

L’utilisation d’additif à base d’urée alimentaire permet la conservation du grain à 25 % d’humidité. « Cette technique de conservation nous vient d’Écosse, où il est difficile de récolter les céréales au taux d’humidité souhaité » explique Jean-Louis Hérin. Associée à l’eau et aux céréales, l’urée se dégrade en CO2 et en ammoniac. L’ammoniac vient alors se fixer sur les graines humides. Une manière d’augmenter le pH du grain autour de 8 et 9. Le pH basique permet ainsi de stabiliser la céréale pour assurer sa bonne conservation. En plus, il apporte une sécurité supplémentaire pour la distribution aux bovins du fait de son alcalinité

Pour ce faire, « il faut d’abord applatir la céréale » décrit le nutritionniste. La placer ensuite dans une mélangeuse, pour y ajouter l’eau et l’urée. « Le mélange doit être à 25 % d’humidité. Si j’ai du grain à 15 % d’humidité, j’ajouterai 100 litres d’eau par tonne de céréales. Il est possible d’utiliser de l’urée alimentaire, mais des additifs sont également disponibles dans le commerce ». Maxammon et Aliplus sont les plus connus. « Si l’on utilise de l’urée alimentaire, compter 22 kg par tonne de grain ». Le blé (ou tout autre céréale) peut alors être stocké à plat, non tassé, recouvert d’une simple  bâche, si elle est stockée en plateforme extérieure.

Si le traitement à l’urée alimentaire permet d’assurer la conservation du grain, il n’a aucune action sur les mycotoxines éventuellement présentes dans les céréales. « Il ne s’agit pas d’une réaction fermentaire, mais d’une réaction chimique » insiste le nutritionniste. « Le traitement permet d’éviter l’apparition de moisissures ou champignons au stockage, mais ne peut rien contre celles issues des champs », ajoute Yan Mathioux. 

Autre avantage à la méthode, le pH basique de la céréale permet de faciliter l’introduction d’une quantité importante d’amidon dans la ration, tout en limitant le risque d’acidose.

Stockage du grain humide par inertage

L’inertage est également une alternative au stockage des céréales à sec. Cette technique est certes plus répandue pour la conservation du maïs grain, mais peut s’appliquer pour les autres céréales. Elle est particulièrement adaptée pour le stockage des céréales germées. « Stocké en cellule, le petit germe pourrirait, causant de grosses pertes au silo » avertit Yan Mathioux. 

Le grain est moissonné, broyé, puis stocké dans un contenant hermétique (souvent un boudin). L’objectif est de laisser la céréale respirer. Elle consomme alors l’oxygène présent dans le stockage et y rejette du COjusqu’à l’obtention d’une situation anaérobique. Le broyage (ou l’aplatissage à défaut) permet de limiter l’espace disponible pour le dioxygène dans le boudin. Comme pour l’ensilage, l’enjeu est d’obtenir rapidement une situation anaérobique. Avec des grains à plus de 18 % d’humidité, il est conseillé de travailler à tasser le silo (surtout si le grain n’est broyé que grossièrement). S’il est possible de conserver du grain allant jusqu’à 30 % d’humidité, il est préférable de rentrer la céréale la plus sèche possible. Plus le grain sera humide, plus il faudra tasser et vérifier l’étanchéité de l’installation.

À défaut d’entreprise équipée pour la mise en boudin à proximité de l’exploitation, il est possible de réaliser un petit silo en couloir. Attention toutefois à l’étanchéité de l’installation.

Mesurer la MAT et l’amidon

Quel que soit le mode de stockage choisi, il est essentiel de faire analyser sa céréale, à la récolte ou après traitement technologique. Tout d’abord car le mode de conservation peut modifier la valeur alimentaire (comme avec un traitement à l’urée alimentaire par exemple), mais aussi parce que la moisson tardive peut altérer la qualité du grain.

« Insérer du blé dans la ration des vaches plutôt que de le vendre à la coopérative parce que la moisson n’est pas bonne, c’est un pari. Mais cela veut aussi dire que si le blé a souffert, le PS peut être diminué… » Mieux vaut donc faire analyser la céréale, pour disposer a minima du taux de protéines et du taux d’amidon. « Dans ces conditions, 1 kg de blé n’est plus égal à 1 kg de blé en formulation. Les valeurs alimentaires ne sont plus celles des tables », avertit le conseiller. Mais ce « petit blé » peut tout de même être utilisé.

Rester vigilant sur les mycotoxines

Selon les cas, une analyse en mycotoxines peut être réalisée. Pour cette question, l’analyse visuelle de l’état de la culture est un premier indicateur. « Si l’on voit que les épis sont noirs, que la paille est en mauvais état, qu’il y a du rose (fusariose de type roseum) sur les épis, mieux vaut faire une analyse. De même si le grain commence à germer. »

Dans l’industrie, les lots de céréales en deçà des 1 250 µg/kg de déoxynivalénol (DON) et des 100 µg/kg de Zéaralénone (ZEA) sont jugés conformes pour l’alimentation humaine. Pour l’alimentation animale, il est conseillé de ne pas dépasser les 8 000 µg/kg de DON et les 2 000 µg/kg de ZEA. Ces normes suivies par les organismes stockeurs peuvent être un bon indicateur pour les agriculteurs qui autoconsomment leur production de céréales :

  Déoxynivalénol (DON) en µg/kg Zéaralénone (ZEA) en µg/kg Fumonisines B1 + B2 en µg/kg
Céréales Toutes céréales et produits à base de céréales 8 000 2 000 60 000 (maïs uniquement)
Aliments Bovins de moins de 4 mois 2 000 500 20 000
Vaches laitières 5 000 500 50 000
Autres bovins 5 000 50 000

Teneurs maximales recommandées pour l’alimentation animale

Mais « les mycotoxines se gèrent à l’échelle de la ration et selon leur niveau de toxicité potentielle ou avérée », rappelle Jean-Louis Hérin. « Il convient d’être vigilant selon la production considérée et le cumul des facteurs de risque ». La formulation, ou le mélange de différentes qualités d’aliment peut permettre de trouver un débouché pour les différentes matières premières à écouler sur l’exploitation.

Pour conclure, « c’est la dose qui fait le poison » ajoute Yan Mathioux. Plus la part de céréale dans la ration est élevée, plus il faut être vigilant sur la qualité. « Des jeunes bovins en finition avec 5-6 kg de céréales seront plus à risque qu’une vache tarie avec 1kg d’orge dans sa ration ».