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ACADEMIE D'AGRICULTURE DE FRANCE

Les moutardes


Xavier PINOCHET, membre de l'Académie d'Agriculture de France le 09/10/2023 à 18:03

(©Pixabay)

On appelle "moutarde" différents taxons appartenant à la famille des Brassicacées (ex- Crucifères). Ces plantes, proches du colza, peuvent être utilisées de différentes façons : comme plantes de services, ou être cultivées pour produire des fourrages, des condiments, des protéines, ou de l'huile, en culture principale ou en culture dérobée. D'autres sont des adventices. Comme plantes de services, elles peuvent être utilisées en interculture pour piéger et réorganiser le nitrate, pour lutter contre les nématodes, contre différents pathogènes telluriques sensibles aux isothiocyanates, produits de dégradation de leurs glucosinolates. Elles présentent néanmoins l'inconvénient de favoriser le développement de la hernie des crucifères.

Quelles sont les principales espèces :

Il y a d’abord les espèces du genre Brassica issues du Triangle de U2 (Figure 1), autour duquel on
retrouve également le chou (Brassica oleracea), le colza (Brassica napus) et la navette (Brassica rapa).

Brassica juncea (génomes B+A) : moutarde brune, principale espèce utilisée pour la fabrication de la moutarde condimentaire, en particulier en Bourgogne. Ces dernières années, environ 5 000 hectares étaient cultivés sur les départements bourguignons pour alimenter l’IGP Moutarde de Bourgogne. Les industriels souhaitant utiliser davantage de graines françaises, ce sont 11 000 hectares qui sont cultivés en 2023. Cette espèce est également utilisée en plante de service.

À l’étranger, elle est très cultivée et utilisée en Inde et en Chine, où elle fait l’objet de nombreux travaux de recherche.

L’un des principaux producteurs mondiaux est le Canada. Une grande partie de la moutarde condimentaire fabriquée en France utilise des importations de graines canadiennes, malgré les nombreuses initiatives de productions locales en France qui restent insuffisantes.

Brassica nigra (génome B) : moutarde noire, utilisée pour la fabrication de moutarde condimentaire dans certaines régions. Sa culture en France reste toutefois confidentielle, bien que cette espèce retienne beaucoup l’attention du monde scientifique comme source de résistances aux maladies.

Brassica carinata (génomes C+B) : moutarde d’Abyssinie, cultivée sur les hauts plateaux éthiopiens. Elle a un cycle court, et est très résistante au froid et à la sécheresse. Des programmes de sélection ont démarré aux États Unis et au Canada dans les années 2010, avec l’espoir d’en faire une espèce de premier plan pour la production de biocarburants, en particulier pour l’aviation. Des productions expérimentales sont également conduites en Europe, en culture dérobée en permettant de faire trois cultures en deux ans.

Le genre Sinapis : on trouve également sous le vocable moutarde des espèces issues du genre Sinapis :
Sinapis alba : moutarde blanche, cultivée principalement comme fourrage et comme plante de services en interculture. En France, elle est également la seconde espèce utilisée pour la fabrication de moutarde condimentaire, avec des productions locales dans le Vexin et en Alsace.
Sinapis arvensis : la bien connue moutarde des champs, plante adventice, difficile à contrôler dans les champs de colza, et extrêmement fréquente sur les bords de nos routes et chemins.

Conduites des cultures

Les modes de conduite de ces différentes espèces sont très variables selon leurs utilisations. Les critères de choix des variétés en découleront également.

  • Pour des plantes de services en inter-culture, la capacité à croître rapidement et à assimiler l’azote minéral sera primordiale. La nature et la concentration des feuilles et des racines en glucosinolates détermineront leurs propriétés de fumigation et de contrôle des nématodes ou des pathogènes telluriques.
  • Pour les espèces cultivées en dérobé, un cycle court est nécessaire afin de s’insérer entre une culture d’hiver à récolte précoce (pois, orge) et des semis d’automne. Sur cette période estivale, la résistance à la sécheresse est un atout important.

L’exemple de la culture de la moutarde brune cultivée pour la production de moutarde condimentaire


Traditionnellement, la moutarde brune cultivée était une moutarde de printemps, semée en février-mars et récoltée fin juillet-début août.
Dans ces conditions, les rendements sont souvent décevants, pour deux raisons principales :

  • le manque d’alimentation en eau durant toute la partie reproductrice du cycle ;
  • mais aussi la prolifération de méligèthes, des coléoptères qui percent les boutons floraux et se nourrissent du pollen avant de pondre dans les fleurs, provoquant ainsi des défauts de nouaison3 qui affectent directement le rendement. Ainsi, lorsqu’un programme de sélection de la moutarde a débuté au début des années 1990 à l’Institut Agro (ex ENESAD) de Dijon, avec le soutien de l’AMB (Association de la Moutarde de Bourgogne), la recherche de moutarde résistante au froid a été un important objectif de sélection.
    Maintenant, la moutarde brune est semée à l’automne, suffisamment tôt pour mieux résister au froid, mais assez tard pour ne pas monter avant hiver, tandis que les semis de printemps ne servent qu’à ajuster la production à la demande des industriels membres de l’association. Néanmoins, selon les scénarios climatiques rencontrés, subsiste un risque de gel.
    En termes de conduite de culture, celle de la moutarde brune est voisine de celle du colza4. Les problèmes liés aux coléoptères sont également présents, avec les mêmes difficultés de traitement insecticide en raison de produits peu nombreux, et auxquels les insectes sont souvent devenus résistants.
    Pour minimiser les risques, et compte tenu des variabilités observées entre génotypes, la moutarde est souvent cultivée en association de plusieurs génotypes ; les associations avec des plantes-compagnes gélives ont également été testées.
    La maladie principale de la moutarde est la rouille blanche, due à un Albugo5. Il existe des génotypes résistants, mais liés à une résistance spécifique, par essence à pérennité fragile. Brassica juncea contient en général plusieurs gènes de résistances au phoma6 qui font que, pour l’instant, cette espèce n’est pas attaquée par cette maladie

Qualité des graines


Les graines de ces espèces sont riches en huile (30 % à 40% de la matière sèche) et en protéine (20 % à 25%). La Figure 3 présente des teneurs en principaux acides gras dans différentes espèces.

Le piquant de la moutarde


En tant que crucifères, ces graines contiennent différents types de glucosinolates, souvent à concentration élevée. C’est la transformation de ces glucosinolates (sinigrine et sinalbine) en isothiocynates, sous l’action de la mirosinase, qui provoque le piquant de la moutarde condimentaire.
Les objectifs de sélection, concernant la qualité, portent principalement sur la teneur en sinigrine et sur le ratio huile/protéine, qui détermine les propriétés mécaniques, donc la viscosité de la moutarde. L’AMB cherche également à obtenir des teneurs en acide érucique plus faibles, en anticipation d’évolutions réglementaires ou contractuelles de leurs clients d’aval.

Académie d’Agriculture de France (academie-agriculture.fr)

(©Académie d’agriculture de France)

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