Pour un approvisionnement durable des méthaniseurs agricoles
TNC le 24/10/2023 à 05:00
Face au développement des méthaniseurs dans les Hauts-de-France, la chambre d’agriculture régionale a lancé le projet Ad’métha. Objectif : créer des systèmes de cultures durables, tout en cherchant à optimiser la production de biomasse dans la rotation.
Lancé à l’automne 2020, « le projet Ad’métha vise à apporter des réponses aux agriculteurs des Hauts-de-France en mesurant l’impact agronomique, environnemental et économique des systèmes de culture dans lesquels sont introduites des cultures dédiées à la production de biomasse (Cive* et prairies pluriannuelles) », indique Graziella Haudry, de la chambre régionale d’agriculture des Hauts-de-France, à l’occasion d’un premier webinaire de restitution.
À travers ce projet, les équipes ont notamment étudié la gestion des Cive d’hiver (seigle ou escourgeon) via un réseau de parcelles agriculteurs dans l’Aisne et l’Oise (une dizaine de parcelles suivies par an entre 2020 et 2023), avec des conditions pédo-climatiques différentes d’une parcelle à l’autre : des sols argileux, sableux, de limon sableux ou sur craie… et donc des réserves utiles plus ou moins importantes.
Trouver le bon compromis par rapport à la culture suivante
Parmi les principaux enseignements mis en évidence, « semer tôt et récolter tard permet de maximiser la production de biomasse ». Dans les essais réalisés sur les campagnes 2020/21 et 2021/22, « le mois de septembre semble être l’optimum pour les semis de Cive d’hiver, note Nicolas Jullier, de la chambre d’agriculture de l’Aisne. Après on sait agronomiquement que des semis trop précoces peuvent engendrer des problèmes de gestion des adventices ou un risque pucerons pour certaines espèces (escourgeon, triticale…) ». Le conseiller recommande alors de « privilégier plutôt un semis fin septembre : on n’observe pas d’écart de rendement entre un semis au début ou en fin de ce mois. Par contre, dès qu’on dépasse la date du 10 octobre, on peut s’attendre à une limitation du rendement ».
« Une récolte trop précoce aura également tendance à pénaliser la production. Les essais ont, en effet, montré que retarder la récolte de trois semaines permettait de doubler le rendement en biomasse, pour une même date de semis. Reste à trouver le bon compromis par rapport à la culture suivante. » Pour Nicolas Jullier, « l’optimum de récolte se situe au stade « chute des étamines » de la Cive : vers le 10 mai dans l’Oise et plutôt autour du 15-20 mai dans l’Aisne par exemple, mais tout cela dépend évidemment des conditions de l’année ».
Après une Cive d’hiver, « les pertes de rendements de la culture suivante vont de 3 (maïs) à 5 (sorgho) t de MS/ha, d’après 8 parcelles suivies dans l’Oise et l’Aisne en 2021. Ces écarts sont surtout dus au décalage de la date de semis (fin mai pour le maïs, voire fin juin pour une parcelle de sorgho) et à la présence d’adventices. […] Selon les mesures réalisées, les Cive d’hiver laissent environ 30 % de la réserve utile (RU) pour la culture suivante. L’impact sur cette dernière va donc dépendre de :
– « la nature du sol : profondeur et texture, et donc de la RU initiale » ;
– « l’intensité des pluies estivales qui peuvent réduire l’impact des Cive ».
En ce qui concerne le pouvoir méthanogène, « le choix des espèces et des variétés ne semble pas avoir d’influence dans les essais réalisés, il est surtout lié à la production de biomasse. Il vaut mieux donc choisir sa variété en fonction de son potentiel de production de biomasse et de la rapidité de développement de celle-ci ».
Trois systèmes de production à l’étude
Pour étudier la durabilité des systèmes, un autre essai a été mené, cette fois sur la plateforme expérimentale de Beauvais. Il met en comparaison trois systèmes, que présente Aurélien Mille, d’UniLaSalle Beauvais :
– 1. Système témoin : colza – blé – maïs ensilage – blé, avec 3 apports de lisier ou fumier, et un export de paille de blé sur la rotation, l’autre est restitué au sol.
– 2. Système dit « alimentaire prioritaire » : c’est le même système que le témoin, où les Cipan sont remplacées par des Cive, toute la paille de blé est exportée, et les apports de lisier/fumier sont remplacés par 5 apports de digestat et le colza est associé à des plantes compagnes.
– 3. Système dit « biomasse prioritaire » : entièrement dédié à la production de biomasse avec un enchaînement de Cive et l’introduction de betteraves fourragères, ainsi que 5 apports de digestat aussi.
À noter : « entre 2017 et 2020, nous avons des soucis de chénopodes dans la parcelle, dont nous n’avons pas réussi à nous débarrasser, précise Aurélien Mille. D’où le choix de modifier la rotation des systèmes 2 et 3 pour les campagnes suivantes. Dans le système « alimentaire prioritaire », le premier blé a été remplacé par une orge de printemps, et on a ajouté une Cive dans la rotation (avoine + vesce + repousses de colza). Afin de diminuer la pression adventices, le système biomasse prioritaire a également été revu avec l’introduction de prairies (ray-grass, trèfle incarnat et trèfle violet) pendant 2 ans et demi ».
Jusqu’à 20 jours de stress hydrique selon les systèmes
Parmi les observations de cette plateforme, « on remarque que l’introduction de prairies pendant 2 ans et demi permet de produire autant de biomasse que l’enchaînement de Cive : 24 t de MS/ha en tout, avec une double fauche par an ». Comme précisé avant dans l’autre essai, « l’augmentation du rendement en méthane du système passe par la maximisation de la production de biomasse, c’est le facteur principal. Le potentiel des différentes espèces arrive en second plan », confirme Aurélien Mille.
Concernant le carbone du sol, « c’est le système témoin qui stocke le plus, suivi du système alimentaire prioritaire. Le système biomasse a, lui, tendance à déstocker. Pour les systèmes alimentaire et biomasse, cela s’explique par de moindres restitutions, et les apports de digestat ne compensent pas suffisamment cette baisse. À noter : tous les produits résiduaires organiques (fumier, lisier…) représentent environ 35 % du carbone restitué, et la culture du colza est reconnue pour restituer beaucoup de carbone (environ 25 %) ».
Sur le plan du stress hydrique, « la date de semis a évidemment un gros impact. La période de mai à début août est celle qui présente le risque le plus important, mais les bornes pourraient bien s’étendre avec le changement climatique. Dans l’expérimentation, c’est le système biomasse qui présente le plus fort risque avec 20 jours de stress hydrique, compte tenu de la forte proportion de Cive et des cultures d’été : c’est trois fois plus que pour le système témoin. Le risque a, néanmoins, pu être revu à la baisse : de 20 à 6 jours avec l’introduction des prairies, tout en maximisant la biomasse exportée ».
D’autres résultats seront publiés à la clôture du projet, prévu à la fin de l’année, et le projet MethaBiom (2024-2026) est ensuite programmé pour prendre le relais.