Accéder au contenu principal
ACADEMIE D'AGRICULTURE DE FRANCE

Evaluation du bien-être des animaux


Isabelle VEISSIER, directrice de recherche Inrae, et Alice de BOYER des ROCHES: Animal bases leasures, professeur VetagroSup le 31/10/2023 à 14:58
AAF

(©Académie d'agriculture de France)

La question du bien-être des animaux est maintenant une préoccupation majeure des citoyens visà- vis de l'élevage. Or pour améliorer le bien-être, il faut pouvoir l'évaluer. Cette évaluation peut se faire dans un cadre "expérimental" pour tester et concevoir des conditions de vie respectueuses du bien-être des animaux, un cadre "terrain" pour permettre aux acteurs de l'élevage de suivre et améliorer le bien-être de leurs animaux, ou encore un cadre "réglementaire" pour que les inspecteurs des services vétérinaires vérifient la conformité à la législation de protection des animaux. Cette fiche expose les difficultés liées à l'évaluation du bien-être des animaux, mais aussi les possibilités actuelles pour procéder aux évaluations.

Le bien-être d’un individu est un état interne qui résulte des expériences positives et négatives qu’il ressent.

L’évaluer n’est donc pas chose simple, en particulier chez des animaux non doués de parole qui ne peuvent pas rapporter ce qu’ils ressentent. L’état de bien-être peut être inféré à partir du comportement ou des réponses neuroendocrines. Les indicateurs de stress ou mal-être ont été validés lors d’exposition des animaux à des situations a priori désagréables.

Ainsi les réponses de fuite ou tentatives de fuite, ou encore d’attaque, révèlent qu’un animal perçoit une situation comme dangereuse ou au moins désagréable ; c’est le cas de bovins que l’on place pour la première fois dans une cage de contention. De même, un animal malade exprime son mal-être par un comportement dît « de maladie » : isolement, baisse d’appétit, faible activité, apathie, perturbation du rythme d’activité.

La douleur est exprimée par un comportement similaire, avec en plus des indices posturaux spécifiques : tête basse, le dos voussé, queue pressée, yeux exorbités. Les réponses neuroendocriniennes de stress comprennent l’activation du système nerveux orthosympathique et de l’axe corticotrope (hypothalamus-hypophyse-corticosurrénales).


L’activation du système nerveux orthosympathique aboutit à la libération de catécholamines qui agissent entre autres sur la fréquence cardiaque ; dans la pratique, l’activation orthosympathique est mesurée au travers de l’augmentation de la fréquence cardiaque et de la diminution de sa variabilité. L’activation de l’axe corticotrope aboutit à la libération de corticoïdes, en particulier le cortisol chez les mammifères.


Le cortisol est mesuré dans le sang, la salive, l’urine, le lait, les fèces (métabolites du cortisol), pour évaluer les réponses à court terme, ainsi que dans les poils pour évaluer le stress cumulé sur plusieurs jours ou semaines. Lorsque les animaux sont exposés à des conditions contraignantes de façon répétée ou pendant longtemps, le mal-être se traduira par des modifications du fonctionnement des individus.
Au plan comportemental, cela peut se traduire par des stéréotypies (activités répétées, fixes dans leur forme et sans but apparent, voir Figure 1) : les animaux réagissent de manière exagérée, ou au contraire ne réagissent pas à une stimulation extérieure. Au plan neuroendocrinien, le fonctionnement de l’axe corticotrope peut être modifié avec une plus grande sensibilité des surrénales à l’action stimulante de l’adreno-corticotrophine hormone (ACTH ou corticotropine), ce qui peut être détecté à l’aide d’un test pharmacologique (injection d’ACTH de synthèse et mesure du cortisol libéré dans le sang). Enfin des troubles généraux peuvent apparaitre : moindre croissance, plus grande sensibilité aux maladies.


La valence positive du bien-être est plus difficile à apprécier que la valence négative. On s’intéressera au comportement de jeu ou aux interactions de l’animal avec son environnement (exploration en particulier) et au fait que l’animal semble relâché. La méthode de l’évaluation qualitative du comportement (QBA pour Qualitative Behaviour Assessment) – qui consiste à décrire la manière dont les animaux interagissent avec leur environnement physique et social à partir d’une combinaison adjectifs – aide à identifier un état émotionnel positif.

Au plan neuroendocrinien, les endorphines et l’ocytocine sont considérées comme les hormones du bonheur, mais leur utilisation en tant qu’indicateur d’état positif de bien-être n’a pas encore été complètement validée ; par exemple, l’ocytocine a été étudiée principalement dans des contextes sociaux, en s’intéressant à leur valence positive, mais bien souvent sans témoins négatifs.


Enfin des tests de biais cognitifs ont été élaborés. Le principe est qu’un individu dont le bien-être est faible (par exemple, parce qu’il a été soumis de façon répétée à des événements désagréables) a tendance à interpréter un signal ambigu de façon négative (il s’en éloignera), alors qu’un individu dont le bien-être est élevé l’interprétera au contraire de manière positive (il s’en rapprochera) (voir Figure 2).

Les indicateurs de ressenti de l’animal, listés ci-dessus, sont utilisés par les scientifiques pour identifier les situations stressantes, ou au contraire celles qui procurent du bien-être ; cependant, la plupart ne sont pas réalisables dans des conditions de terrain.
Pour se rapprocher du ressenti de l’animal, il est possible de mesurer des réactions ou des états des animaux qui ont de fortes chances d’être associés à un ressenti : par exemple, un animal très maigre a vraisemblablement eu faim, un animal déshydraté a vraisemblablement eu soif, un animal qui montrent des symptômes de maladie a vraisemblablement ressenti un malaise.

Le bien-être d’un animal est individu-dépendant.

Ce qui est perçu comme négatif, ou au contraire positif, varie, selon les individus, en fonction de l’espèce bien-sûr mais aussi du stade de développement ou encore de l’expérience passée. Ainsi, un jeune veau (jusqu’à 6 mois) préfère rester en compagnie d’animaux qu’il connaît, alors que la génisse (de plus d’un an) préfère rencontrer des partenaires divers ; un animal qui a été habitué à être approché aura moins peur lors de manipulations qu’un animal qui n’a jamais eu de contacts humains.


En général, pour déterminer si une condition procure du bien-être ou au contraire du mal-être, on travaille sur des groupes d’individus les plus homogènes possible. Quand plusieurs individus perçoivent négativement une situation, on peut en conclure que celle-ci détériore le bien-être des animaux similaires à ceux du groupe (même espèce, âge, conditions d’élevage, etc.).

Le bien-être est un concept multidimensionnel.

Le bien-être résulte à la fois de la bonne santé, du confort physique, de l’absence d’événements stressants, d’un environnement social favorable (présence de partenaires et relations positives avec ceux-ci), de la possibilité d’exprimer des comportements propres à l’espèce. Un indicateur universel de mal-être devrait pouvoir rendre compte de tous les aspects ; or les différents aspects n’ont pas le même impact sur les animaux.

Plusieurs indicateurs supposés universels ont été proposés :

  • la concentration en corticoïdes de différents tissus (sang, poils, …), mais elle ne varie pas forcément en cas de maladie ;
  • la concentration du sang en protéines de l’inflammation, mais celles-ci ne sont pas libérées lors d’un stress sans atteinte tissulaire ;
  • la longévité, mais la réforme d’un animal d’élevage dépend en partie des stratégies de l’éleveur.

Plus récemment, la longueur des télomères (séquences répétées d’ADN à l’extrémité des chromosomes) a été suggérée comme indicateur du stress cumulé. Le biais cognitif (voir plus haut) semble également prometteur. La valeur générique de ces deux indicateurs reste toutefois à démontrer. À l’heure actuelle, il n’existe donc pas d’indicateur unique pouvant dire si le bien-être d’un individu est élevé ou faible.

L’évaluation globale du bien-être d’un individu doit prendre en compte les différentes dimensions

En l’absence d’indicateur universel de bien-être, afin de faire une évaluation globale du bien-être d’un individu ou d’un groupe, il est nécessaire de considérer l’ensemble des dimensions composant le bien-être.
Celles-ci ont été organisées dans différentes grilles, comme les « 5 libertés du Farm Animal Welfare Council » ou les « 12 critères de Welfare Quality ». Il convient ensuite de définir des indicateurs propres à ces différentes dimensions (ou libertés, ou critères, selon la grille utilisée). Ainsi, dans les protocoles de Welfare Quality, des mesures ont été identifiées par critère et par type animal.
L’exemple des indicateurs utilisés pour les vaches laitières est donné en Figure 3.

À noter que pour certains critères, des indicateurs sur l’environnement des animaux ou sur les pratiques sont utilisés en l’absence d’indicateurs validés sur les animaux ; en effet, chaque indicateur doit être validé entre autres en matière de sélectivité (il mesure quelque chose en lien avec le bien-être), répétabilité (deux observateurs obtiendront le même résultat), et faisabilité (la mesure est possible dans les conditions de terrain).
Des grilles d’évaluation simplifiées ont été développés par les professionnels des différentes filières animales, comme par exemple les outils Boviwell® pour les bovins et EBENE® pour les volailles. Le Ministère de l’agriculture possède ses propres grilles visant à vérifier la conformité des exploitations à la réglementation de protection des animaux.

L’évaluation du bien-être est un jugement de valeur.

Tout exercice d’évaluation est porté par des valeurs. En particulier l’évaluation du bien-être d’un animal dépend des seuils d’acceptabilité que l’on se fixe : par exemple, est-ce qu’une boiterie légère porte fortement atteinte au bien-être d’un animal ? Il est certes possible de mesurer la force de la motivation d’un animal au travers de tests de conditionnement : l’animal apprend à réaliser une tâche (comme pousser une porte ou
appuyer sur un bouton) pour obtenir une récompense ou éviter une situation désagréable, puis la tâche est augmentée (plus de force pour ouvrir la porte ou plus d’appuis sur le bouton), et on regarde quel travail l’animal est prêt à fournir pour obtenir la récompense ou éviter la situation désagréable. Ces tests ont été développés pour mesurer des préférences, tels l’accès à un nid pour pondre chez les poules, ou l’évitement de manipulations par des ovins.

De plus, évaluer le bien-être d’un animal, par la collecte d’indicateurs pour chaque dimension, pose la question de l’importance attribuée à chaque dimension (est-ce que le fait d’être en bonne santé compense la privation de certains comportements ?). Pour connaître le point de vue des animaux, il faudrait leur proposer des choix avec des éléments pouvant intervenir sur des pas de temps différents (comme tester la frustration
comportementale par rapport à un état de maladie). Une absence de choix entre deux options peut provenir d’une non-compréhension d’un test, et non d’une absence de préférence.

L’évaluation du bien-être d’un animal dépend donc des valeurs que nous-mêmes attribuons aux éléments constitutifs de son bien-être ; or ces valeurs varient d’un évaluateur à un autre. Le projet Welfare Quality a construit un protocole d’évaluation sur la base d’avis d’experts, a publié les calculs, et en a explicité les impacts, afin que chacun puisse les confronter à ses propres valeurs ; en particulier les calculs de Welfare Quality limitent fortement les compensations, de sorte que des valeurs élevées pour une dimension ne compensent pas des valeurs trop faibles pour une autre.

Évaluer le bien-être d’un animal est donc un exercice difficile, mais pas impossible. Des indicateurs objectifs (c’est-à-dire produisant des résultats dépendant plus de l’animal que de l’évaluateur) sont disponibles : indicateurs de stress, de santé, etc.

Passer du recueil de ces indicateurs à une évaluation du bien-être (est-ce que le niveau est acceptable ? très élevé ? ou au contraire très faible ?) correspond à un jugement de valeur, qui ne peut pas être purement objectif. Les choix qui sous-tendent l’évaluation, l’interprétation des résultats obtenus avec les différents indicateurs, et leur agrégation en un résultat global, doivent donc être explicités. L’évaluation, qui aboutit généralement à donner une note ou un classement, n’est pas toujours nécessaire. Il convient de détecter les problèmes et les corriger.


Enfin, en élevage, des capteurs sont de plus en plus utilisés pour suivre le comportement ou certains paramètres physiologiques comme la température, l’objectif étant de détecter des déviations par rapport à la normale. Bien que prometteurs, ces outils ne remplacent pas l’observation des animaux pour détecter des problèmes.

(©Académie d’agriculture de France)

Académie d’Agriculture de France (academie-agriculture.fr)