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Environnement

La décapitalisation bovine pénalisera-t-elle la qualité de l’eau ?


TNC le 13/11/2023 à 05:01
eau

La décapitalisation des cheptels bovins est susceptible d'entraîner une dégradation de la qualité de l'eau. (© Emmanuelle Bordon)

La diminution continue du nombre de bovins aura de multiples conséquences, certaines attendues, d’autres moins. Parmi elles, une dégradation probable de la qualité de l’eau.

Un effet inattendu. On a déjà beaucoup parlé de la décapitalisation des cheptels, de ses conséquences pour les éleveurs et pour notre autonomie alimentaire. On a moins dit qu’elle pourrait, indirectement, avoir des effets néfastes sur la qualité de l’eau.

Le problème se trouve dans le fait qu’une baisse du nombre de bovins entraînerait une diminution des surfaces enherbées. « Celui qui n’a pas besoin d’herbe ne garde pas les pâtures », constate Maurice Braud, agriculteur et vice-président du syndicat du grand bassin versant de l’Oust (Bretagne).

Or, les prairies jouent un rôle important dans la qualité de l’eau. « Celles qui sont en interface entre l’eau et les parcelles cultivées filtrent les molécules d’azote, de phosphore et de produits phytosanitaires, explique Gérard Gruau, directeur de recherche au CNRS et biochimiste spécialiste de la qualité de l’eau. Si elles sont retournées, c’est une barrière naturelle qui disparaît. C’est d’autant plus vrai pour les parcelles situées en zone humide. »

Lui aussi est convaincu qu’une diminution du nombre de bovins entraînera inévitablement un retournement des prairies permanentes. « Cela signifie une hausse de la SAU fertilisée et traitée. Même dans un cadre global de réduction des phytos, on voit mal comment échapper à une augmentation du volume des molécules susceptibles de rejoindre les cours d’eau », explique-t-il.

Tout dépend du contexte

D’après Patrick Durand, chercheur à l’Inrae et spécialiste des effets de l’agriculture sur la qualité de l’eau, les incidences de la décapitalisation seront variables en fonction des territoires. « Par exemple, dans un système extensif de montagne, une diminution du nombre de bovins entraînerait un abandon des parcelles. Il en résulterait une amélioration de la qualité de l’eau », explique-t-il.

Quant aux systèmes de polyculture élevage de plaine, l’évolution de la qualité de l’eau dépendra de la situation initiale et des modifications qui y sont apportées. « Toutes les prairies ne sont pas favorables, explique Patrick Durand. Les systèmes dans lesquels une prairie temporaire de quelques années est intégrée à une rotation comprenant aussi du maïs et du blé perdent beaucoup d’azote, parce qu’ils sont très fertilisés. Et plus généralement, ils favorisent les transferts de molécules, détaille-t-il. Mais si on considère les systèmes avec des rotations bien gérées, qui provoquent peu de transferts et jouent un rôle de filtre, il y aura une forte dégradation si elles sont remplacées par des cultures annuelles ».

La course à l’agrandissement

Plus globalement, « la réduction des cheptels bovins fera peut-être gagner en résidus de molécules vétérinaires dans l’eau mais on y perdra sur les phytos, l’azote et le phosphore, résume-t-il. Et si on les remplace par des systèmes granivores (volaille ou porc) et/ou des cultures intensives, on perd sur tous les plans ».

Enfin, la baisse du nombre d’éleveurs, qui entraîne un accroissement de la taille des troupeaux, n’est pas non plus une bonne nouvelle parce qu’elle entraîne souvent une baisse des surfaces pâturées par animal.

Maurice Braud se dit quant à lui très inquiet pour la Bretagne, où la qualité de l’eau est un sujet important et sensible. Dans cette terre d’élevage, il déplore la course à l’agrandissement des exploitations et l’augmentation des surfaces destinées à cultiver des Cive, qui remplacent progressivement des prairies permanentes. « Les bovins entretiennent les fonds de vallées et les zones humides, qui sont indispensables pour la qualité de l’eau. On a fait énormément d’efforts sur la réduction des phytos ; ils vont être réduits à néant », se désole-t-il.

Inciter les agriculteurs à laisser des parcelles en herbe

Peut-on, à l’heure actuelle, savoir où l’on va ? Pour Gérard Gruau, il est difficile de prévoir les évolutions dans le détail. Mais les outils de cartographie permettent de s’en faire une idée. Des indicateurs de convergence des flux existent déjà, ainsi qu’un recensement des zones concaves. Il est donc possible de calculer le surplus de risque et d’établir une carte des zones les plus sensibles. Il suggère que l’on pourrait « rémunérer les agriculteurs pour qu’ils laissent en herbe ces parcelles sensibles ».

De son côté, Patrick Durand plaide pour que les méthaniseurs soient alimentés non pas avec des Cive mais avec de l’herbe, « plus faciles à cultiver et d’un bon rendement dans le méthaniseur », ce qui donnerait aux agriculteurs une bonne raison de garder les parcelles enherbées.