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Filière betteravière

Sucre : « c’est la dépendance à l’importation qui se profile à l’horizon »


TNC le 05/12/2023 à 10:40
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Thierry Pouch, co-auteur de Géopolitique du sucre, évoque les défis de la filière betteravière française. (© TNC)

Produit très banalisé voire décrié, le sucre fait partie de notre quotidien mais repose sur des équilibres fragiles, dépendants du climat, du commerce, et de la politique des États pour encourager ou non leur production. Co-auteur, avec Sébastien Abis, de « Géopolitique du sucre » publié en novembre, Thierry Pouch revient sur les enjeux de la filière betteravière française.

Si certains grands pays producteurs de sucre, comme le Brésil, défendent ardemment leurs positions sur le marché mondial, l’Europe ne semble pas avoir la même stratégie vis-à-vis de ses betteraviers. La France, premier producteur de betterave à sucre de l’Union européenne, représente 30 % de la production européenne de sucre. Cette filière joue un rôle important pour l’économie nationale, avec 23 700 planteurs en 2022 sur 402 000 ha, et une contribution positive à la balance commerciale française. « C’est important car il s’agit non seulement de production de sucre, mais aussi de productions non alimentaires : l’industrie chimique, l’industrie pharmaceutique, mais également les énergies renouvelables, avec la production de biocarburants », rappelle Thierry Pouch, chef économiste aux Chambres d’agriculture France.

La souveraineté alimentaire contrariée par la réglementation

Malgré ses atouts économiques, la production de betteraves se heurte en Europe à une réglementation plus contraignante en matière de protection des plantes. Début 2023, la Cour de Justice de l’UE a entériné l’interdiction définitive des néonicotinoïdes en enrobage de semences, une décision qui « peut porter préjudice à la production de betterave, puisque ce seraient des rendements un peu plus affaiblis le temps qu’on trouve des variétés de betteraves un peu plus résistantes au changement climatique, mais surtout aux parasites qui endommagent les cultures. On va sans doute perdre en volume, ce qui va contraindre les industries de la transformation à s’approvisionner à l’extérieur », explique Thierry Pouch.

En dépit d’un marché mondial porteur, avec une demande en sucre qui progresse de 3 millions de tonnes par an, la multiplication des contraintes réglementaires et agronomiques pourrait donc mener à une diminution des volumes produits en France et en Europe. « Le basculement du vert vers le rouge est d’autant plus préoccupant que nous sommes dans un contexte maintenant différent, c’est-à-dire un contexte de guerre, de conflit géo-économique, qui amène les autorités européennes à réfléchir un peu plus sur ce qui a changé et sur ce qu’on veut faire de notre agriculture, et en particulier la production de betteraves », constate Thierry Pouch.

Un risque accru de dépendance…

Ainsi, malgré la crise sanitaire puis la guerre en Ukraine, qui ont mis en lumière les multiples dépendances européennes, le risque d’accentuer les dépendances en matière agricole reste tangible, amplifié, en outre, par les accords de libre-échange. En cas de chute de la production européenne de sucre, « la conséquence directe serait une ouverture des frontières commerciales pour répondre aux besoins intérieurs de l’UE, et on sait que l’UE a signé un accord de libre-échange avec le Mercosur dans lequel on trouve le Brésil qui est un des premiers producteurs de sucre », explique Thierry Pouch.

Et cette dépendance serait d’autant plus incompréhensible dans un contexte de changement climatique et de nécessaire développement des énergies renouvelables, la production betteravière contribuant à la production de bioéthanol.

… et d’augmentation des prix

Quelles seraient, au-delà des impacts économiques, les conséquences géopolitiques d’une diminution de la production de betteraves à sucre dans l’UE ? « Dans le contexte géopolitique qui a considérablement changé, les conséquences, en ouvrant nos frontières puisqu’on produirait moins et qu’on aurait moins de rendement, sont qu’on aurait une dépendance vis-à-vis des géants de la betterave comme la Russie, ou de géants de la canne à sucre comme le Brésil ou l’Inde », une dépendance qui serait coûteuse, pour le sucre et pour les autres produits non alimentaires issus de cette industrie sucrière, ajoute Thierry Pouch. « On se placerait sous des menaces d’embargo, ou de choc climatique dans un pays, qui entraveraient la circulation du sucre, donc il y aurait des phénomènes d’augmentation des prix si les volumes sont moins disponibles, soit pour des raisons géopolitiques, soit pour des raisons climatiques », ajoute l’économiste.

Les leviers pour éviter cette situation sont évidemment multiples : techniques, agronomiques, mais aussi politiques. Si l’on réduit la consommation alimentaire de sucre, pour suivre les recommandations sanitaires, on peut maintenir les volumes disponibles, suffisants pour un usage non alimentaire de cette production de betterave et de sucre et pour répondre aux besoins industriels. « Mais le principal levier est vraiment de prendre conscience que, si on continue sur cette trajectoire, c’est la dépendance à l’importation qui se profile à l’horizon, avec des conséquences multiples, en termes d’emploi, en termes de facturation des importations, et en termes de menaces évidemment », conclut Thierry Pouch.