« Au Brésil, l’État a compris l’atout stratégique qu’est la canne à sucre »
TNC le 04/01/2024 à 13:02
Géant de la planète sucre, le Brésil a fait du secteur un atout stratégique, au service de son mix énergétique et de ses engagements climatiques.
Comment le Brésil, gros producteur de canne, est-il devenu leader sur le marché mondial du sucre ? C’est ce qu’est venue expliquer Caroline Rayol, analyste en intelligence stratégique et ancienne conseillère aux affaires étrangères pour le président Lula, lors d’une conférence organisée le 15 novembre pour la sortie de l’ouvrage Géopolitique du sucre.
D’abord, la plante elle-même présente un avantage stratégique : « la canne est une culture efficace », qui produit moins de sucre par hectare que la betterave, mais beaucoup de biomasse. « 100 % des usines brésiliennes de sucre et d’éthanol sont autosuffisantes grâce à la cogénération à partir de la bagasse de la canne. »
Sans oublier que la canne est une culture pérenne, plantées tous les 6 ans, « ce qui réduit le coût de production », ajoute la spécialiste.
Seconde explication du leadership brésilien : une industrie « très dynamique, innovante et structurée ». Le centre technologique de la canne, lancé par les industriels du secteur en 1969, a « développé plus de 4 000 variétés de canne, adaptées à des microclimats, des microterritoires et des microsols ».
D’où une productivité importante et qui continue de progresser. La filière investit par ailleurs fortement dans l’innovation, notamment en termes de logistique et d’agriculture de précision.
« Des politiques publiques cohérentes »
Troisième facteur déterminant : la volonté politique de développer la filière. Caroline Rayol souligne que quels que soient les gouvernements, l’État brésilien a compris depuis des années combien le secteur sucrier et éthanolier est stratégique.
De fait, « la canne permet de produire des dérivés renouvelables du pétrole (plastique, produits chimiques, cosmétiques, biogaz, hydrogène), donc d’être moins dépendant du pétrole importé », présente « un impact positif sur la balance commerciale » du Brésil, et y génère « deux millions d’emplois ».
L’État investit ainsi énormément dans le secteur, « oriente sa diplomatie vers l’ouverture de nouveaux marchés », et « met en place des politiques publiques cohérentes et favorables à la culture de la canne : stations-services obligées de vendre de l’éthanol, 70 % de voitures « flex » grâce à une réduction d’impôt, programme de réduction des émissions du secteur du transport…
Et demain ? Entre économie, environnement et nouvelles orientations stratégiques, quelles sont les perspectives pour le Brésil sucrier et éthanolier ? Lors de la Cop 26 de 2021, le pays a réhaussé son objectif de réduction des gaz à effet de serre, passant de 43 % à 50 % d’ici à 2030.
Bien que « très ambitieux », c’est possible, en passant par la production de 50 milliards de litres d’éthanol chaque année », avance Caroline Rayol : « on en produit aujourd’hui 30 milliards, mais si on utilise toute la bagasse de la canne (actuellement implantée, NDLR) pour produire de l’éthanol, on pourrait atteindre 45 milliards », chiffre l’experte.
Qui conclut par ce commentaire : « la betterave vaut la canne, c’est un atout stratégique pour la France ! Je ne comprends pas pourquoi chez vous, l’Etat et les médias n’ont pas un récit positif pour défendre la culture de la betterave ! ».