« Gérer les salariés, c’est de la stratégie d’entreprise »
TNC le 19/01/2024 à 07:57
Où trouver des candidats, quels points majeurs lors de l’embauche, savoir-faire et savoir-être recherchés, formation et accompagnement pour les salariés et agriculteurs… Valérie Heyser, chargée de mission emploi à l’Anefa, et Jean-Claude Foucraut, éleveur employeur et responsable professionnel, donnent des clés pour recruter et fidéliser la main-d’oeuvre dans les exploitations.
Comment trouver, embaucher et garder un salarié, motivé et performant, en élevage bovin lait notamment ? Cette question semble être devenue une préoccupation majeure pour beaucoup de producteurs.
Pour les aider, quelques conseils s’appuyant sur l’expérience de Valérie Heyser, chargée de mission emploi à l’Anefa (voir encadré) d’Ille-et-Vilaine, et de Jean-Claude Foucraut, éleveur dans le Morbihan, qui emploie deux salariés, un à temps plein l’autre à mi-temps, et responsable professionnel au niveau des employeurs de main-d’oeuvre agricole (FDSEA 56, FRSEA Bretagne, commission nationale emploi de la FNSEA et Anefa, où il est président).
Pourquoi un tel besoin de bras ?
« Travailler en famille, véritable socle de nos fermes autrefois, est de moins en moins systématique avec, en parallèle, des structures qui s’agrandissent », répond Jean-Claude Foucraut. Deux phénomènes qui expliquent le recours croissant au salariat agricole. « Le ratio aujourd’hui est : 1/3 de salariés en équivalent temps plein pour 2/3 d’exploitants familiaux, lesquels restent malgré tout prédominants ; soit, en Bretagne, des effectifs respectifs de 35 000/40 000 versus 15 000/20 000. »
De nouvelles aspirations.
Valérie Heyser constate aussi cette demande de plus en plus importante de la part des entreprises agricoles, mais pas seulement pour remplacer une main-d’oeuvre familiale en baisse selon elle. « Les agriculteurs, en particulier les nouvelles générations, veulent une charge et un rythme de travail acceptables, qui se rapprochent des autres secteurs d’activité, de même qu’un meilleur équilibre vie pro/vie perso. Le partage de l’astreinte est de plus en plus une priorité en élevage. »
Quels métiers en tension et qui recrutent ?
En premier : dans laproduction laitière. Ensuite, en ateliers porcins et avicoles. « Le machinisme est également un bon pourvoyeur d’emplois, puis les filières végétales », complète Jean-Claude Foucraut.
Même analyse du côté de l’Anefa Bretagne : « Agent d’élevage laitier occupe la première place du top 5 des offres de notre bourse d’emploi www.lagriculture-recrute.org (> 300 postes/an dans la région) et agent d’élevage porcin la deuxième (> 250 postes). »
Où chercher des candidats ?
La principale source reste l’enseignement agricole, estime l’association qui va régulièrement dans les établissements pour informer, sensibiliser, orienter, accompagner les jeunes vers le salariat agricole. « La plupart des élèves de terminales Bac pro lèvent la main quand je leur demande s’ils savent ce qu’ils feront après leur diplôme, y compris ceux qui ne sont pas issus du milieu agricole », observe Valérie Heyser.
« Certains ont déjà une proposition d’emploi, d’autres une piste même si un grand nombre préfèrent poursuivre par des études supérieures, le niveau de technicité exigé en agriculture augmentant. Les stages prévus dans leur cursus peuvent, en outre, leur offrir des perspectives d’embauche », poursuit-elle. L’organisme collabore avec les professionnels de l’emploi et de la formation, et Pôle Emploi est son premier partenaire. En plus des étudiants, elle rencontre de manière régulière les demandeurs d’emploi.
Des outils pour faciliter l’embauche ?
Cette collaboration avec le spécialiste du recrutement a favorisé la mise en place d’outils pour, entre autres, mettre en relation les personnes en recherche d’emploi et les agriculteurs en quête de main-d’œuvre.
Le principal étant la plateforme www.lagriculture-recrute.org où sont diffusées les offres et les demandes. Parce que, comme pour le renouvellement des agriculteurs, le seul vivier d’enfants d’exploitant(e)s ou de jeunes en formation agricole ne peut suffire à combler les besoins de main-d’œuvre, il importe de s’ouvrir au grand public.
D’autant que l’agriculture semble attirer de plus en plus, surtout avec l’effet Covid qui a bousculé les valeurs et le rapport au travail, et accéléré les reconversions professionnelles. « Or, ces Nima ne savent généralement pas comment entrer en contact avec le monde agricole et n’ont pas toujours les codes du secteur. Alors il faut les accompagner, c’est notre rôle », explique Valérie Heyser.
Deux initiatives ont donc vu le jour, du moins sur le territoire breton :
- « le voyage en agriculture »
Cette journée, le matin dans un élevage et l’après-midi en cultures, permet de découvrir et d’essayer le métier, en réalisant des gestes professionnels aux côtés d’un producteur. « Il ne s’agit pas que d’une visite mais bien de participer aux travaux pour rendre plus palpable la profession de salarié agricole et voir si elle peut plaire, détaille la chargée de mission. Les participants sont souvent surpris par la diversité des tâches. »
- « le module Graine d’agriculture »
Si « le voyage en agricuture » a plu, l’Anefa Bretagne notamment propose un accompagnement individualisé et adapté au projet, avec une immersion plus longue en exploitation.
Les points-clés du recrutement ?
Jean-Claude Foucraut met en avant 3 éléments majeurs.
1- Les conditions de travail
Il cite « le niveau de pénibilité/automatisation de l’élevage, les horaires, l’astreinte le week-end ou la nuit », etc.
2- La rémunération
3- L’ambiance
Un paramètre plus subjectif, difficile à faire ressentir comme à appréhender pendant l’entretien d’embauche.
Valérie Heyser en ajoute un 4e : la flexibilité. « Ce critère prend de plus en plus d’importance dans le monde du travail, estime-t-elle, avant de faire remarquer : « Que certaines choses soient négociables peut encourager quelqu’un à postuler même si ses contraintes ne sont pas totalement en adéquation avec celles de l’exploitation. » Les valeurs sont également plus prégnantes, autant partager les mêmes que son futur salarié ou employeur.
Les compétences recherchées ?
Le classement est ici établi par Valérie Heyser.
1- De la technicité (du fait de la progression de l’informatisation, du digital…)
2- Mais avec un retour de l’agronomie (« afin de pouvoir analyser l’impact de ses gestes professionnels »)
3- En élevage, une bonne connaissance du fonctionnement de l’animal.
« Des connaissances théoriques de base sont certes nécessaires, mais cela ne doit pas faire peur, aux personnes en reconversion en particulier. L’employeur doit prendre le temps d’expliquer comment effectuer chaque tâche mais aussi pourquoi il faut les réaliser de cette façon », commente-t-elle.
Jean-Claude Foucraut prend l’exemple du robot de traite, dont sont désormais équipés 15 à 20 % des éleveurs. « Les salariés ne doivent pas maîtriser tout son fonctionnement mais ses fonctionnalités quotidiennes, souligne-t-il. Il est plus utile de s’y connaître en mécanique pour réparer le matériel ou d’être au fait de la législation sur le bien-être animal. »
Après les savoir-faire, l’éleveur insiste sur les savoir-être : travailler en équipe, respecter les règles, les personnes, pouvoir dire les choses en veillant à la politesse, etc. « Essentiel dans une entreprise ! », lance-t-il. « À nous aussi, employeurs, de parler à nos salariés, de leur expliquer clairement les consignes, de nous assurer de la cohésion du collectif de travail. » « J’ai été parfois étonné de la différence entre ce que montrent, en façade, certaines fermes pourtant de haut niveau technique et économique, et ce qui se passe à l’intérieur en termes de gestion des ressources humaines. »
Les formations proposées ?
Comme l’a dit précédemment le responsable professionnel, l’employeur doit former ses salariés. Des formations externes existent aussi. « Nous avons la chance en agriculture d’avoir différents parcours possibles :
- en initial (Bac, BTS, licence, ingénieur)
« Le Bac pro est, en général, le minimum attendu par les éleveurs laitiers », indique Valérie Heyser.
- pour les reconversions professionnelles
Elle mentionne le CQP (certification de qualification professionnelle), très technique, et composé de modules (alimentation, reproduction, robotisation de la traite…).
Jean-Claude Foucraut revient sur le cas breton : « Nous disposons d’une très belle offre de formation et d’une soixantaine d’établissements agricoles publics, privés et MFR. » Un atout, considère-t-il, pour que chaque public, chaque jeune, trouve une solution qui lui convienne. « L’enseignement agricole a fortement évolué en ce sens. » Les besoins des Nima ne sont en effet pas les mêmes que ceux des enfants d’agriculteur. « Ils ne savent pas forcément conduire un tracteur et entrer avec la désileuse dans le hangar ! »
L’éleveur invite employés et employeurs à « rester humbles » : « Le métier se complexifie et on apprend tout au long de la vie professionnelle. » Et la formation continue ne s’adresse pas qu’aux salariés. Les exploitants doivent aussi se former, en particulier aux ressources humaines (management, gestion de conflits, feed-back, etc.) lorsqu’ils emploient de la main-d’œuvre.
« Ce sont souvent de bons techniciens et gestionnaires, ils doivent devenir de bons managers même s’ils n’ont qu’un employé. Cela s’apprend et de nombreuses OPA proposent des formations qui permettent une meilleure intégration des salariés », pointe Valérie Heyser, avant de rappeler : « Il faut avant tout établir une relation de confiance entre employeur(s) et salarié(s). Le savoir-être de chaque côté est donc primordial ».
« Gérer les salariés doit faire partie de la stratégie d’entreprise », conclut-elle. « Et il ne faut pas hésiter à investir pour leurs conditions de travail. Certes, ils en ont de plus en plus conscience, mais les producteurs ne mettent pas toujours à disposition les équipements les plus adaptés. »