Une simplification des normes en agriculture est-elle possible ?
TNC le 26/01/2024 à 13:13
Parmi leurs motifs de colère, une partie des agriculteurs évoquent, en plus des revenus trop bas, une « profusion de normes », des « surtranspositions », qui pèsent sur leur quotidien et entraveraient davantage leur travail que dans les autres pays européens. Qu’en-est-il réellement ? Le gouvernement a-t-il véritablement les clés en main pour réduire, par exemple via une nouvelle loi de simplification administrative, ces contraintes qui s’exercent sur l’activité agricole ?
« Cela fait longtemps que les agriculteurs attendent ces simplifications, ils n’y croient plus trop. De plus, d’une filière à l’autre, les leviers politiques ne peuvent pas être de même nature. », expliquait le sociologue François Purseigle, spécialiste du monde agricole, dans Ouest France, le 19 janvier. Pourtant, tout au long de la semaine de mobilisation des agriculteurs, l’exigence d’une diminution et d’une clarification des normes est restée en haut de la liste des revendications, du moins pour la FNSEA, Jeunes agriculteurs, et la Coordination rurale. Le slogan des manifestations de novembre, « On marche sur la tête », traduisait en partie ces incohérences administratives, entre durcissement des normes françaises, et absence de clauses miroirs dans les accords de libre échange, donnant la possibilité de faire entrer des produits non soumis aux mêmes exigences.
La complexification administrative, une réalité ?
Oui, pour Benoît Grimonprez, Professeur de droit privé à l’Université de Poitiers. Dans un article publié le 25 janvier par le Club des Juristes, il explique cette accumulation des normes relatives au domaine agricole par deux facteurs.
Premièrement, une « politique en silos ». « Les problématiques rurales sont si transverses qu’elles sont saucissonnées entre le foncier, le commerce, les aides économiques, la fiscalité, l’énergie, l’environnement, l’urbanisme, la santé… Toutes ces matières, accumulées, finissent par s’engorger et devenir illisibles », écrit Benoit Grimonprez. C’est ainsi que, si tout le monde s’accorde sur les nombreuses vertus des haies (biodiversité, lutte contre l’érosion des sols…), les agriculteurs n’en font pas « parce qu’il y a 14 textes réglementaires » qui les encadrent, expliquait Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, le 10 janvier, ajoutant que « la simplification passe par le renoncement à certaines normes anciennes qu’il faut nettoyer ».
Deuxièmement, de nombreuses normes s’avèrent être produites par les filières elles-mêmes : « les normes de commercialisation, notamment, sont fixées par les organisations interprofessionnelles. Idem pour les labels dont beaucoup sont cogérés par les producteurs », explique le juriste.
Des normes sociales qui pèsent davantage en France
Si les responsables agricoles pointent souvent une « surtransposition » de la France, prompte à rendre les normes de Bruxelles encore plus strictes sur le territoire national, ce n’est plus le cas depuis un certain nombre d’années, pointe Benoit Grimonprez. En revanche, « pèsent en réalité davantage dans la balance du ressentiment les normes sociales (salaires, cotisations) et fiscales qui, elles, sont très hétérogènes dans l’espace européen et font que nous avons sûrement des coûts de production plus élevés qu’ailleurs », ajoute-t-il.
« Pas de fatalité à la dérive réglementaire actuelle »
Quels seraient, alors, les leviers pour rendre la réglementation plus digeste ? « Un changement profond de politique consisterait à basculer dans une logique de résultats », suggère Benoit Grimonprez. Il s’agirait ainsi de responsabiliser davantage les agriculteurs en leur fixant des objectifs environnementaux à atteindre. Ce qu’ils demandent d’ailleurs régulièrement.
Autre levier, « la décentralisation de la politique agricole », et « les normes tombées d’en haut pourraient être remplacées par des normes venues d’en bas, c’est-à-dire des territoires, sous la forme, par exemple, d’un contrat global de transition », explique Benoit Grimonprez pour qui, « dans l’idéal, on aurait des engagements collectifs pris par des groupements agricoles sur des obligations juridiquement contraignantes, obligations que ces instances seraient ensuite chargées de faire respecter par chaque producteur individuel ». Un système qui aurait, en plus, l’avantage d’apaiser les tensions avec l’administration, aujourd’hui en charge des contrôles.
En attendant, les contraintes pèsent sur le moral des agriculteurs, en l’absence de contrepartie véritablement identifiée, que cette reconnaissance soit sociale, ou économique.