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Foncier

Les prairies permanentes, un casse-tête en Bretagne pour les agriculteurs


AFP le 20/02/2024 à 09:55
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En Bretagne en 2022, près de 20 % de la surface agricole utile (SAU) était en prairies permanentes. (© Franck Barske de Pixabay)

Romain Barret comptait s'installer en maraîchage au 1er avril. Mais il a été contraint de reporter son installation au 1er novembre, sans certitude, en raison d'une mesure sur les prairies permanentes qui contrarie son projet.

Avec deux associés, « on reprend une ferme de 30 hectares qui est tout en prairies », à Poullan-sur-Mer (Finistère) « et notre intention est d’en mettre la moitié en cultures pour des légumes bio », explique le futur agriculteur. « Actuellement, on ne le peut pas ».

En effet, entrée en vigueur au 1er janvier, une mesure européenne sur les « prairies permanentes » (PP), des prairies de plus de cinq ans, soumet à autorisation toute conversion en culture d’une parcelle en PP. Et cette autorisation n’est envisageable que si l’agriculteur compense en ensemençant en prairie une autre parcelle de son exploitation.

S’il ne le fait pas ou ne le peut pas, il entre alors dans le régime de la dérogation. Pour l’ensemble de la Bretagne, explique Sébastien Clozel, en charge du dossier à la chambre d’agriculture de Bretagne, seuls 300 ha par an peuvent bénéficier d’une dérogation, avec un maximum de 10 ha par exploitation, au nombre de 25 000 dans la région.

La règle est modulée selon les régions. En Bretagne, « c’est une règle totalement inadaptée à la polyculture élevage pratiquée ici », considère Edwige Kerboriou, productrice de lait en système herbager et vice-présidente en charge de l’environnement à la chambre d’agriculture.

En Bretagne en 2022, près de 20 % de la surface agricole utile (SAU) était en prairies permanentes. Mais cette surface de PP a diminué de 4,6 % entre 2018 et 2023. Or, « le maintien des prairies permanentes permet le stockage de carbone » et la biodiversité, rappelle le ministère de l’agriculture.

« Contraintes très fortes »

Dans cette grande région d’élevage, cette nouvelle règle « entraîne des contraintes très fortes », relève Sébastien Clozel. « On a vu des projets de transmission d’exploitations capoter », faute pour les repreneurs de pouvoir mener leur projet à bien.

Le 1er février, le premier ministre Gabriel Attal a annoncé la suspension pendant un an de cette règle, le temps de « nous remettre autour de la table pour mieux protéger nos prairies essentielles à nos paysages et à la lutte contre le changement climatique », a-t-il dit.

Face à cette suspension temporaire, « ce qui risque de se passer, c’est que, dans le doute, on attache la charrue et on retourne ses prairies ! » pour ne pas avoir de souci de conversion à l’avenir, craint Adrien Henry, 30 ans, installé depuis 2016 sur 130 ha, dont 120 de prairies, à Coatarscorn (Côtes-d’Armor). Lui ne le fera pas. Mais, estime-il, « On (l’administration, ndlr) « bride » et ça fait peur (…) On a besoin d’avoir de la souplesse, de pouvoir réorganiser son exploitation selon ses besoins » et selon les étapes de la vie, évoquant en exemple les accidents de santé.

« On peut garder les prairies sept, huit, voire dix ans », abonde aussi Edwige Kerboriou. « Là, on risque d’avoir l’effet inverse (à celui recherché) et c’est dommage ».

Retourner une prairie avant l’heure, par anticipation, c’est « une aberration économique et agronomique », peste M. Clozel.

Adrien Henry reconnaît aussi que des exploitations « se végétalisent (en produisant des céréales à la place de prairie, par exemple) en Bretagne au détriment de l’élevage car c’est plus rémunérateur ».

Edwige Kerboriou plaide pour que les réductions de surfaces en PP soit évaluées au plan national, où aucune régression n’est observée à ce niveau, et non pas par région. « On se retrouve pénalisé (en Bretagne) aujourd’hui pour d’autres régions de France où l’on a tout détruit », dit-elle, évoquant les régions céréalières. « Du coup, ce sont les plus vertueux qui se retrouvent les plus coincés », regrette Adrien Henry.

Si le gouvernement « veut arranger les choses, il va falloir décider vite car les mises en culture (de printemps), ça va venir vite », avertit Edwige Kerboriou.

Quant à Romain Barret, « on n’a aucune certitude d’avoir l’autorisation » pour pouvoir passer au maraîchage, regrette-t-il. « On crée pourtant trois emplois quand l’actuel propriétaire travaille seul sur sa ferme ».