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Bassines : nouvelles manifestations à risque pour la « défense de l’eau »


AFP le 19/07/2024 à 10:00

« Faire bassine arrière » : quinze mois après les affrontements à Sainte-Soline, plusieurs milliers d'opposants aux réserves d'irrigation, rassemblés depuis mardi dans les Deux-Sèvres, doivent manifester vendredi dans la Vienne voisine malgré l'interdiction des autorités.

Cette « grande marche » destinée à « arracher un moratoire » sur la construction des retenues d’eau leur fait craindre « des actes d’une grande violence » : plus de 3 000 gendarmes ont ainsi été mobilisés pour « protéger » exploitations et installations agricoles.

Entre 5 000 et 7 000 personnes, venues de France et de l’étranger, ont rejoint depuis mardi le « Village de l’eau », rassemblement organisé jusqu’à dimanche par le collectif Bassines Non Merci (BNM), les mouvements écologistes Les Soulèvements de la Terre et Extinction Rébellion, l’union syndicale Solidaires et l’association altermondialiste Attac, avec la participation de 120 structures militantes.

Le campement est situé à Melle, à proximité également de la « bassine » de Sainte-Soline. Une autre manifestation est annoncée samedi au terminal agro-industriel du port de La Rochelle (Charente-Maritime).

À partir de 8h30, plusieurs centaines de manifestants ont quitté le campement pour rejoindre, à vélo ou en voiture, d’autres lieux de rendez-vous avant la manifestation prévue à Saint-Sauvant (Vienne), sur le site d’une future « bassine », bravant l’interdiction des autorités.

« Les forces de l’ordre, après sommations, ont donc été contraintes de faire usage de grenades lacrymogènes », a écrit la préfecture des Deux-Sèvres sur le réseau social X, sans donner d’estimation du nombre de manifestants.

Selon des journalistes de l’AFP, un déluge de gaz tiré en cloche s’est abattu sur la zone mais il n’y a pas eu de heurts entre les gendarmes et les manifestants qui insistaient sur la dimension « pacifique » de leur action.

« L’ambiance est festive, mesurée, avec des gens qui ont vécu Sainte-Soline et qui n’ont absolument pas l’intention de revivre la même chose. La consigne, c’est qu’on ne va pas à l’affrontement », a déclaré Julien Le Guet, porte-parole de BNM.

« La journée va être longue mais on va essayer d’arriver au but », espérait Séverine, 55 ans, en coupant à travers champs. « Bravo, on y est arrivé », se félicitait un autre, parvenu jusqu’à un parking à plusieurs kilomètres du Village de l’eau.

Plus loin, Myriam, 30 ans, contrôlée dans sa voiture par les gendarmes, s’interrogeait « sur l’utilité de se faire confisquer des sardines de tente, des masques ffp2 pour le Covid », en dénonçant « l’absurdité de la situation ».

« Enjeu vital »

Selon les autorités, 450 « black blocs », dont plus d’une centaine d’individus « fichés S » rattachés à l’ultragauche ou à l’écologie radicale, avaient rejoint le campement cette semaine.

Un syndicat agricole, la Coordination rurale (CR), a de son côté appelé à venir défendre les fermes du territoire contre les « groupuscules écologistes ».

Une centaine d’agriculteurs se sont rassemblés vendredi matin à proximité de Melle, où ils ont prévu de se rendre pour être reçus par le maire qui accueille le Village de l’eau, selon la présidente nationale de la CR Véronique Le Floc’h. « Pourquoi ils laissent dans nos campagnes toute cette guerre civile ? On voit que c’est de l’éco-terrorisme, de l’antipaysan », a-t-elle affirmé à l’AFP.

Les autorités ont interdit ces différents rassemblements et procédé à des contrôles et fouilles systématiques toute la semaine.

« On est vraiment sur une logique d’intimidation, de répression, de criminalisation de notre mouvement, alors qu’on se bat pour un enjeu vital qui est celui de la défense et d’un juste partage de l’eau, et qu’on souhaite juste exercer notre liberté de manifestation qui est un droit fondamental », estime Johanne Rabier, membre du collectif BNM dans la Vienne.

Comme à Sainte-Soline, où elle avait mis en cause l’action des gendarmes, la Ligue des droits de l’homme a déployé des observateurs sur les lieux.

Les militants « anti-bassines » assurent ne pas vouloir « prendre pour cible les agriculteurs et leurs fermes », accusant les autorités « d’attiser les peurs et les tensions » et qualifiant la Coordination rurale « d’apprentis miliciens ».

Le « cadre d’action » des manifestations annonce cependant des « formes de désobéissance de masse » destinées à « impacter concrètement leurs cibles » : « bassines » vendredi, « complexe agro-industriel » samedi.

Deux camps irréconciliables

Les  partisans des bassines en font une condition de survie des exploitations face aux sécheresses récurrentes, là où leurs détracteurs dénoncent un « accaparement » de l’eau par l’agro-industrie.

Deux camps irréconciliables entre lesquels la lutte s’est intensifiée depuis deux ans, sur le terrain et devant la justice administrative qui a récemment apporté de l’eau au moulin des opposants en jugeant que les volumes des prélèvements pour l’irrigation étaient excessifs dans le Marais poitevin.

La mobilisation de cette semaine attise encore les tensions. « Une fois de plus, nous sommes très en colère », fustige la Coop’ de l’eau, groupement de 450 agriculteurs qui portent le projet des 16 retenues.

Le sujet divise aussi les syndicats agricoles. La Confédération paysanne, qui participe au Village de l’eau, dénonce les « méga-bassines » comme une source d’inégalités dans l’accès à l’eau, tout en appelant au dialogue pour « sortir de l’impasse et de la confrontation destructrice ».

La Coordination rurale soutient au contraire « tous les projets de retenues d’eau agricole pour faire face au changement climatique » – certains de ses membres ont été condamnés pour avoir construit une réserve sans autorisation en Lot-et-Garonne.

La FNSEA/JA, premier syndicat, défend aussi l’outil mais appelle « au calme et à la responsabilité » de chacun, refusant « d’aboyer » à quelques mois des élections professionnelles.