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Maintien du cheptel et gestion de l’azote : la difficile équation néerlandaise


TNC le 19/08/2024 à 16:05
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Les Pays-Bas bénéficient d'une dérogation à la directive Nitrate depuis 2005. (© Creative Nature)

Avec la densité de bétail la plus élevée d’Europe, la gestion des effluents d’élevage est un sujet brûlant aux Pays-Bas. Entre injonction à diminuer le cheptel pour préserver l’environnement, et investissements colossaux engagés dans des systèmes intensifs, les éleveurs néerlandais sont entre le marteau et l’enclume.

Les Pays-Bas, c’est moins d’un pourcent de la surface de l’Union européenne. Et pourtant, le petit pays regroupe 10 % des vaches de l’Union !

L’azote, c’est un vieux loup de mer pour les éleveurs néerlandais. Depuis plus de 15 ans, la Hollande fait l’objet d’une dérogation à la directive Nitrates fixée par l’UE. Pas moins de 6 aménagements ont été mis en place entre 2005 et 2022, pour permettre aux éleveurs d’épandre entre 230 et 250 kg d’azote organique par hectare, suivant la nature des sols. Ailleurs dans l’Union, la limite est à 170 kg d’N organique/ha.

Les éleveurs peinent de plus en plus à faire valoir leur modèle auprès du gouvernement néerlandais, comme de l’Europe. L’année 2019 marque le début de la crise de l’azote, avec l’interdiction par le Conseil d’État de nouvelles expansions d’activité d’élevage.

Rentrer dans le cadre de la directive Nitrates

En 2022, c’est la Commission européenne qui a mis les pieds dans le plat, avec l’instauration d’un plan de réduction des volumes d’azote organiques épandus. L’objectif : atteindre les 170 kg d’N organique par hectare à horizon 2025, comme ailleurs en Europe. La mesure a créé un véritable tollé. Les éleveurs craignent que la baisse des volumes d’épandage autorisés entraîne la disparition de 30 % du cheptel hollandais. Et pour cause, le gouvernement de l’époque s’est doté d’une enveloppe de 25 milliards d’euros, destinée au rachat d’exploitations et à la mise en place de plans régionaux.

De violentes manifestations ont animé le début de l’été 2022. Le changement de majorité a récemment rebattu les cartes. Au printemps, le BBB (Mouvement agriculteur citoyen) a signé un accord avec la nouvelle coalition de droite pour fermer la porte à toute réduction de cheptel, et demande à la Commission européenne une nouvelle dérogation nitrate. La crise est toujours en cours.

Pour Femke Wiersma, élue BBB de la région de la Frise, « il n’est pas logique que les Pays-Bas aient la même réglementation nitrates que les pentes de l’Autriche, ou les terres séchantes de l’Espagne ». Pour l’élue, les terres hollandaises sont parmi les plus fertiles d’Europe, et méritent d’être amendées en conséquence.

Et pour cause, l’azote est historiquement et culturellement le carburant de l’agriculture hollandaise. Jelle Hakvoort, éleveur en agriculture biologique en témoigne. « Mon grand-père épandait dans les 500 kg d’N/ha, et les jeunes d’aujourd’hui n’ont jamais vu leurs parents travailler autrement qu’avec de l’engrais. Pour beaucoup d’agriculteurs, il est inconcevable de faire pousser de l’herbe sans azote ».

Difficile de désintensifier les terres les plus chères d’Europe

Avec des terres parmi les plus chères d’Europe, difficile pour les éleveurs de désintensifier. « Lorsqu’on sait qu’un hectare coûte entre 80 et 150 000 €, on n’a pas envie de tirer un trait sur les dernières tonnes de matière sèche hectare. Sinon ça n’est pas rentable », tranche Martijn Huijzer, éleveur de vaches laitières. « On nous a demandé de produire beaucoup il y a quelques décennies. Aujourd’hui, les gens sont engagés dans cette voie avec de gros investissements à supporter », poursuit l’éleveur.

La plupart des éleveurs sont coincés. Contraints de diminuer les épandages d’effluents, ils trouvent des combines pour maintenir les cheptels en place. Beaucoup payent pour se débarrasser du lisier. Mais c’est la double peine. Non seulement, il faut payer pour voir le lisier s’en aller, mais en plus les éleveurs compensent l’azote organique par de l’azote minéral.

Car les seuils tolérés pour les épandages d’azote minéral restent hauts. Sur prairie de fauche, un maximum de 300 à 385 kg d’N est autorisé selon la nature des sols (azote organique + minéral). « Quitte à fertiliser à ces niveaux, autant utiliser les effluents plutôt que de l’azote chimique », estime Martijn incrédule.

D’après un sondage réalisé auprès de nos lecteurs, rares sont les éleveurs français à atteindre ces niveaux de fertilisation. Les trois quarts des répondants utilisent moins de 100 kg d’N/ha, et moins de 6 % des éleveurs français épandent plus de 200 kg d’N/ha et par an.

Plus qu’une guerre contre l’azote, les éleveurs hollandais ont l’impression d’une guerre à l’élevage. Il est vrai que la fracture entre les villes et les campagnes est profonde. Et la question de l’azote n’est pas la première inflexion demandée au système intensif. En 2015, Friesland Campina, la principale laiterie du pays, a sommé ses éleveurs de faire sortir leurs vaches à coups de prime pâturage. Une manière d’entretenir le paysage néerlandais et de susciter la bienveillance du consommateur. Mais la simple vue des vaches en pâtures n’aura pas suffi à réconcilier les deux camps.