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« Les décisions des pays impactent directement le marché du colza »


TNC le 23/08/2024 à 17:30
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Les décisions politiques impactent le marché du colza, aussi bien en termes d'évolution de prix que d'effets sur les filières, notamment françaises. (© danheighton, AdobeStock)

Choix du Canada de triturer localement son canola, réflexion en Europe autour des biocarburants, impact des pays de l’Opep sur les cours du pétrole, etc. : quelle influence les décisions politiques peuvent-elles avoir sur le marché du colza ? L’analyste Arthur Portier (Argus media France/Agritel) répond à nos questions.

Terre-net : Quel est le poids de la géopolitique dans l’évolution des prix du colza ?

Arthur Portier : Sur le marché du colza, la géopolitique est aujourd’hui à mettre un peu en retrait par rapport aux autres marchés. Même s’ils évoluent de pair, on n’est pas sur le secteur céréalier, de par la composante d’utilisation du colza : elle est principalement énergétique* et n’est donc pas critique du point de vue de l’alimentation humaine. Dans ce contexte, ce sont plus les décisions politiques qui peuvent avoir un impact sur le marché que les décisions géopolitiques.

En quoi les décisions des pays peuvent-elles influencer le marché du colza ?

Elles l’influencent directement. Par exemple, si des décisions sont prises pour annuler, ralentir ou autoriser les importations de colza OGM, aussi appelé canola, ça peut changer la donne sur les marchés. Il y a aussi l’exemple du tournesol de l’Ukraine, qui a décidé de rembourser la TVA sur les exportations d’huile de tournesol mais de ne pas la rembourser sur les exportations de graine, donc de conserver la valeur ajoutée.

Récemment, un peu à l’image de ce qu’a fait l’Ukraine, la Canada a décidé de favoriser l’utilisation de son canola au sein du pays. Alors qu’ils exportaient massivement leur production de graine, ils ont décidé de construire bon nombre d’usines pour triturer localement le canola, et derrière d’utiliser puis exporter les huiles et les tourteaux.

Ça, c’est une décision majeure puisque nous, en Europe, qui sommes importateurs de graines de canola notamment, nous devrons moins nous fournir au Canada. Ce genre de décision peut avoir un impact sur la filière française même, au-delà des prix, puisque ça peut déréguler l’ensemble des industries françaises.

Quel est l’impact sur le marché du colza des décisions politiques prises à l’égard de l’énergie et des biocarburants ?

Au moment de la guerre en Ukraine, des voix se sont élevées, notamment en Allemagne, pour décrier l’utilisation de matières premières agricoles comme le blé, le colza et le maïs dans l’utilisation énergétique que l’on en fait : l’éthanol pour certains et le biodiésel pour d’autres. Il s’avère que les Allemands, après leur politique énergétique dont chacun pourra juger le bilan, ne parlent plus de ces sujets-là.

Mais ça a remis sur le devant de la scène le fait que l’utilisation de certaines matières premières agricoles à destination du secteur énergétique, c’est aujourd’hui essentiel. Évidemment, si des pays souhaitent augmenter ou ralentir le taux minimum d’incorporation (de biocarburants dans les essences et le diésel, NDLR), on pourra avoir véritablement un changement sur l’offre et la demande de ce bilan colza.

On doit aussi regarder de près les décisions que prennent les pays de l’Opep par rapport au pétrole…

Les pays de l’Opep – les principaux pays producteurs ou exportateurs de pétrole – sont un facteur à suivre puisqu’en fonction des coupes de production ou non, il va y avoir un impact sur le pétrole. Le pétrole va avoir un impact direct sur le biodiésel et le biodiésel sur l’huile de colza, qui, elle, va avoir un impact direct sur la graine de colza.

Ça fait partie des éléments que nous regardons, mais le but tous les jours est de pondérer quelle va être l’information la plus importante : parfois, l’Opep qui va faire remonter les prix du pétrole n’aura pas d’incidence majeure sur les prix du colza, si par exemple les estimations de production sont bonnes chez les pays exportateurs. Et parfois, même avec un pétrole à 75 $/baril comme ça a été le cas dernièrement, vous pouvez avoir un colza à 500 €/t parce que les fondamentaux du marché du colza le prônent.

Comment voyez-vous le marché du colza dans les 10, 20 ans qui viennent ?

Le marché du colza est chahuté et restera chahuté. C’est un équilibre fragile, car il repose sur des industries qui vont écraser la graine pour vendre derrière des tourteaux et des huiles, donc c’est un marché qui peut être chahuté à tout moment par une décision politique, par exemple au sein de l’Europe sur la partie biodiesel et consommation, ça peut fragiliser certaines structures et certaines industries au niveau européen. Le fait que le Canada construise des usines peut aussi fragiliser nos infrastructures.

On a un marché qui, d’un point de vue prix, va rester extrêmement volatil parce qu’il évolue et évoluera toujours au sein du complexe oléagineux. Mais d’un point de vue production, consommation et structuration de la filière, il faut évidemment prendre des pincettes et regarder ça avec une certaine vision pour s’assurer que cette filière perdure et s’accélère encore dans les prochaines années, considérant les éléments de production d’un côté, avec la réglementation qui peut parfois faire défaut – ça a été le cas sur l’interdiction de certaines molécules en France – mais aussi d’un point de vue consommation, où on le sait, le challenge entre le feed, le fioul et le le food (alimentation animale, carburant et alimentation humaine, NDLR) est un point qui est dans les esprits de bon nombre d’opérateurs.

Les choix politiques en matière énergétique, et notamment de motorisation des véhicules, sont un enjeu fort dans les pays industrialisés. Est-ce que les choix de l’Europe, qui hésite à inciter ou contraindre au passage à l’électrique, influenceront directement le marché ?

À ce jour, tant que des décisions ne sont pas prises sur le choix énergétique et notamment de motorisation par les différents États, le marché le regarde évidemment, mais ça n’a pas un impact majeur. Il faudra mesurer l’impact d’un passage, par exemple, au tout-électrique, qui parait aujourd’hui utopique mais qui causera automatiquement moins de consommation de diesel et donc de biodiesel. Ce sont des éléments qu’il faut également regarder, même si on pourra ajuster avec un taux d’incorporation de biodiesel peut-être plus important.

On entend aujourd’hui certains industriels et certains organismes stockeurs faire la promotion du biodiesel avec 100 % d’huiles végétales. Ce sont des avancées qui permettent de croire encore à cette filière. Je peine à croire qu’on passera au tout-électrique à horizon 10 ans et que ça chahute le marché du biodiesel.

*À l’échelle européenne, 70 % de l’huile de colza issue de la trituration est destinée à l’industrie du biodiesel.