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Champs électromagnétiques en élevage : une enquête mesure l’ampleur des dégâts


TNC le 02/09/2024 à 05:19
VachesligneElectriqueS.Leitenberger

Le ministère de l'agriculture a enquêté les éleveurs situés à moins de 2 km d'installations électriques, d'antennes ou éoliennes. (© S. Leitenberger)

Une enquête réalisée par le ministère de l’agriculture s’est penchée sur les troubles électromagnétiques constatés sur les élevages à moins de 2 km d’antennes et installations électriques. Résultat : 37 % des éleveurs allaitant et 53 % des éleveurs laitiers ayant répondu au questionnaire déplorent des conséquences sur leur troupeau.

Entre charlatanisme et faits scientifiques, la question des champs électromagnétiques en élevage suscite de vifs débats. Tout d’abord parce que les études sur le sujet sont rares. Après des décennies de polémique, le ministère de l’agriculture a réalisé une enquête au cours de l’été 2023. L’objectif : interroger les éleveurs installés à moins de 2 km d’antennes téléphoniques, installations électriques et éoliennes.

50 % des éleveurs laitiers à mois de 2 km d’un dispositif électrique constatent des troubles

Avec 1 015 contributions valides, elle permet d’avoir un premier aperçu des troubles générés par ces dispositifs. Les résultats sont impressionnants. Un éleveur allaitant sur trois installé à moins de 2 km d’une installation ayant répondu au questionnaire déclare des perturbations. Du côté des vaches laitières, un éleveur sur deux relève des troubles sur son cheptel. Les chiffres restent à prendre avec du recul. L’intitulé de l’enquête peut avoir le défaut de « rendre plus nombreuses les réponses des personnes estimant subir un préjudice en rapport avec l’objet du questionnaire », met en garde le rapport. ​

Parmi les éleveurs laitiers installés à moins de 2 km d’une antenne, 60 % constatent des troubles sur leur troupeau. De même pour 43 % des éleveurs laitiers à proximité d’une ligne à haute tension, 48 % à proximité d’un transformateur, et 50 % proches d’une éolienne. Sans parler de l’effet cocktail.

Certains éléments, comme les caractéristiques de sol, ou les modifications récentes de l’installation électrique jouent comme des facteurs aggravants. Mais comment interpréter ces données ?

Encore très peu d’explications scientifiques

En 2015, un avis de l’Anses constatait « l’absence de preuves scientifiques démontrant l’impact des ondes électromagnétiques sur la santé des animaux d’élevage ». Et si la bibliographie ne nie pas les effets potentiels, elle peine à les expliquer, voire à les reproduire. « Chez les bovins, les publications ne montrent pas d’effets majeurs ou univoques sur la fertilité, la production laitière et la santé dans les exploitations exposées en conditions non contrôlées ou semi-contrôlées. Il est rapporté lors des essais en conditions contrôlées (CEM de 30 µT, 30 jours) une baisse possible de la production laitière, du taux butyreux et une augmentation de l’ingestion ». En bref, difficile pour les chercheurs de se prononcer sur leur impact, étant donné que leurs mécanismes d’action sur l’organisme restent très flous.

Même constat concernant les courants parasites. « La sensibilité des animaux à ces courants est clairement démontrée en situation expérimentale, mais leur impact sur le niveau de performance et l’état sanitaire des animaux dans le contexte multifactoriel des élevages reste mal connu ».

Ce qui est certain, c’est que les seuils de perception des courants électriques varient selon les espèces. Les bovins présentent notamment une très faible résistance corporelle. Cela veut dire que leurs corps ont une faible capacité à s’opposer au passage d’un courant électrique : la résistance corporelle des humains est 5 à 10 fois supérieurs à celle des bovins.

Le contexte ne leur est pas favorable. Entre prolifération des charpentes en métal, cornadis et armatures dans les fondations… Les matériaux conducteurs pullulent. Même constat pour les installations électriques en bâtiment, sans parler de l’essor de la production d’électricité sur les fermes. Et le développement des installations ne se limite pas aux exploitations : « 70 % des 100 000 hm de lignes à haute tension exploitées par RTE passent en milieu rural […] et Enedis exploite 760 000 transformateurs électriques pour adapter la tension aux différentes étapes du transport de l’électricité qui sont autant de sources de nuisance pour les animaux d’élevage », rappelle le rapport du ministère. Côté antennes relais, « au 1er octobre 2023, l’agence nationale des fréquences radio dénombre un peu plus de 123 000 antennes de différents types ».

Nombre d’éleveurs se tournent vers la géobiologie

Faute de justifications scientifiques, les éleveurs cherchent des réponses ailleurs. Assez étonnamment, les structures de conseil traditionnel sont peu sollicitées pour faire face aux problèmes électriques. « Les vétérinaires n’apparaissent pas comme les interlocuteurs privilégiés dans ces situations complexes, presque à l’identique avec les techniciens », remarque le rapport ministériel. La géobiologie a, quant à elle, le vent en poupe. « L’élément marquant est le nombre de commentaires signifiant l’intervention de géobiologues et le fait que dans près de la moitié des témoignages, il est affirmé (à tort ou à raison) que ces intervenants sont à l’origine de la résolution des problèmes », poursuit le rapport. De quoi relancer le débat sur la géobiologie, car si les éleveurs y voient des résultats, nombre de chercheurs reprochent à la discipline l’absence totale de fondements scientifiques. Alors, effet placebo ou efficacité réelle ?

Quoi qu’il en soit, de nombreux programmes de recherches sont actuellement dans les tuyaux, explique l’Inrae. Parmi eux, le projet AgroE, soutenu par l’Ademe, visant à évaluer l’impact de l’implantation d’éoliennes à proximité des exploitations agricoles. Un autre projet, mené par le Cniel et l’Institut de l’élevage, met au point des outils de mesure, afin de constater l’exposition des vaches laitières aux champs électriques et magnétiques, ainsi que d’harmoniser les méthodes d’évaluation. Le Bureau de recherches géologiques et minières a également mis au point des protocoles de mesure et de cartographie. Mais le temps de la recherche reste long, et il faudra encore patienter quelques années avant d’objectiver ce débat électrique.