Du bidon d’urine à l’engrais durable, une expérience qui compte faire des émules
AFP le 19/09/2024 à 14:35
Récupérer son panier de légumes et déposer quelques litres d'urine au passage : l'Amap des « Radis Actifs », installée à Châtillon (Hauts-de-Seine), met désormais certains de ses adhérents à contribution grâce à un point de collecte d'urine.
Équipés à leur domicile de bidons de 5 litres, de « pipinettes » ou d’« urinettes » (des récipients intermédiaires), les adhérents de cette association pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap) peuvent depuis mercredi faire don de leurs urines, destinées à Simon Ronceray, paysan installé dans le Loiret sur une exploitation bio de 60 hectares.
Une vingtaine d’entre eux se sont pour l’instant portés volontaires. Le projet, nommé « ENVILLE » et porté par le programme « Ocapi » de l’école d’ingénieurs des Ponts et chaussées vise à transformer l’urine en engrais utilisable localement.
« Cela s’est pratiqué dans le passé de manière totalement banale », affirme Louise Raguet, responsable du projet, en référence à l’époque antérieure aux engrais chimiques, quand « les excréments humains » étaient utilisés.
Selon elle, recycler à des fins agricoles l’urine humaine, qui contient notamment du phosphore, permet de réduire l’utilisation des engrais chimiques qui « dépendent des ressources fossiles ».
Autre bénéfice écologique : « réduire la pollution des rivières », l’urine étant notamment composée d’azote, qui finit habituellement dans les cours d’eau, même après le traitement des eaux usées.
A Châtillon, les volontaires – « les Amapipi » – amènent donc leur bidon de 5 litres face à une machine qui, une fois le contenant dévissé, aspire l’urine et le stocke dans une cuve de 300 litres, que Simon Ronceray vient prélever une fois par mois.
Incompatible avec le bio
« C’est extrêmement facile », témoigne Martine Velter, 77 ans, qui a tout de suite trouvé « extrêmement intéressant » ce projet qui laisse entrevoir une agriculture avec « moins de produits phytosanitaires ».
Un temps de maturation est ensuite nécessaire pour permettre l’utilisation de l’urine comme fertilisant. « Trois, six, neuf mois selon ce que vous voulez en faire et la culture sur laquelle vous voulez l’utiliser », explique Simon Ronceray, ingénieur agronome de formation.
Mais pour l’instant, il n’épand pas l’urine accumulée sur ses cultures, par peur « de perdre la certification bio ». « Les substances utilisables en agriculture bio sont mentionnées dans un cahier des charges », explique-t-il. Or l’urine humaine « n’est pas mentionnée » parmi ces substances.
L’agriculteur se contente donc de l’utiliser sur des « potagers personnels » et des « haies agroforestiaires », mais aimerait voir la réglementation du bio évoluer : « c’est une des ressources nécessaires pour faire la transition agricole française et faire en sorte que l’agriculture française soit plus autonome ».
« L’urine d’une personne collectée sur une année permettrait de fertiliser 500 mètres carrés de champ. Cela fixe l’ordre de grandeur (…) c’est une ressource colossale », affirme le chercheur Fabien Esculier, coordinateur du programme Ocapi.
L’objectif des porteurs du projet est donc de parvenir à faire des émules un peu partout en France, afin de pousser l’idée d’une utilisation de l’urine comme engrais agricole.
Ce type d’initiative s’inscrit dans le mouvement « low-tech », qui vise, à favoriser les techniques simples et peu gourmandes en ressources naturelles, par opposition au « high-tech ».
« Penser les solutions à la transition écologique ne passe pas forcément par des technologies très élaborés », résume en une phrase Anthony Briant, directeur de l’Ecole nationale des ponts et chaussées, présent à l’inauguration mercredi.
Fabien Esculier cite en exemple dont s’inspirer les composts de proximité qui ont émergé « il y a une quinzaine d’année » à Paris et qui sont « aujourd’hui plus de 1 000 dans l’agglomération parisienne ».
Première adjointe à la mairie de Châtillon, Elodie Dorfiac (EELV) se montre optimiste quant à la capacité de ce projet à susciter l’intérêt. L’élue confie avoir été appelée mercredi matin « par un très gros centre de dialyse » qui lui aurait fait part de son envie de « s’engager dans un projet de recherche équivalent ».