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Investir 0,8 €/litre de lait pour s’installer


TNC le 25/09/2024 à 13:30
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Les capitaux mobilisés et à transmettre en vaches laitières ont grimpé de + 15 000 €/UTA/an en 10 ans. (© Tanapon, Adobe Stock)

Telle est la valeur de reprise moyenne d’une exploitation de vaches laitières, issue de l’étude de 15 cas-types d’Inosys-Réseaux d’élevage « bovin lait » des Pays de la Loire. Plusieurs facteurs peuvent la faire varier, sachant qu’une bonne estimation conditionne la réussite d’un projet d’installation.

« La réussite d’un projet d’installation agricole repose sur 3 axes :

1- une bonne estimation de la valeur de reprise de la ferme et des investissements nécessaires au démarrage de l’activité

2- un financement adapté à cette reprise et aux investissements qui en découlent, avec pour objectif de ne jamais manquer de trésorerie pour pouvoir rester autonome financièrement

3- ne pas surestimer la rentabilité du projet, notamment sa capacité de travail et comment gérer la diversité des tâches exercées par un agriculteur », met en avant Guillaume Chevalier, chargé de mission « bovins lait » à la chambre d’agriculture des Pays de la Loire, et du dispositif Inosys-Réseaux d’élevage (1) « bovin lait » dans cette région.

Capital en hausse, rentabilité en baisse

Or, les capitaux mobilisés et à transmettre en élevage bovin lait sont en forte hausse, en « valeurs nettes comptables », précise-t-il. De 2012 à 2022, ils sont passés de 220 000 à 380 000 €/UTA/an, soit + 15 000 €/UTA/an en 10 ans, selon les références économiques du Grand Ouest des chambres d’agriculture et du réseau de gestion compatibilité Accompagnement Stratégie.

Parallèlement, la rentabilité du capital mobilisé (EBE/capital) baisse de 16 à 20 % selon les années, sauf en 2022 et 2023 où elle s’est améliorée suite à l’augmentation du prix du lait. En outre, la productivité du travail s’accroît avec toujours plus de lait par unité de main-d’œuvre.

Autant « d’éléments de contexte importants à avoir en tête » quand on envisage de s’installer en vaches laitières, pointe Guillaume Chevalier, conseiller entreprise pendant dix ans auprès notamment de futurs et jeunes éleveurs. « J’ai observé des réussites mais aussi des situations compliquées », fait-il remarquer. D’où l’importance, enchaîne le chargé de mission, de « bien estimer la valeur de reprise d’une exploitation laitière et les sommes à investir ».

2 cas de figure

  • sous statut individuel

« Le cédant et le repreneur doivent se mettre d’accord sur un montant de reprise et sur l’actif correspondant à cette reprise », explique-t-il.

  • en société

Le successeur reprend ou crée des parts sociales. « Il faut donc transférer l’estimation du montant de l’entreprise à une nouvelle valeur de la part sociale, détaille le spécialiste, qui attire l’attention sur les comptes courants associés, qui devront être repris tôt ou tard par la société. « On peut parfois les oublier et être contraint d’emprunter, d’autant qu’une partie substantielle des capitaux propres peut se présenter sous cette forme, pas en parts sociales », met-il en garde.

3 méthodes pour estimer la valeur de reprise d’un élevage

Pour rappel, il y a 3 façons d’estimer et négocier la valeur de reprise d’une ferme :

  •  la valeur nette comptable

Elle est calculée à partir des composantes de l’actif du bilan. « Elle est plutôt favorable au repreneur, mais est peu utilisée. Elle sert souvent de base. »

  •  la valeur patrimoniale

C’est une approche détaillée, bien par bien, à partir d’estimations réalisées par des experts (en bâtiment, cheptel, foncier, matériel…). « Elle favorise le cédant car elle est souvent supérieure à la valeur nette comptable et à la valeur de rentabilité. »

  •  la valeur de rentabilité ou économique

Elle donne une vision globale de reprise d’un outil de production, basée sur sa rentabilité, donc « plutôt en faveur du successeur ».

Exemple de calcul

Dans les Pays de la Loire, Inosys-Réseaux d’élevage dispose de 15 cas-types, en conventionnel et bio, pour lesquels la valeur de reprise en vaches laitières a été évaluée. Jean-Claude Huchon, également chargé de mission « bovins lait » à la chambre régionale d’agriculture et ancien conseiller entreprise, prend l’un d’eux en exemple.

Point de départ : l’EBE

Il s’agit d’un élevage conventionnel spécialisé : 40 % de la SFP en maïs, 2 UMO, 650 000 l de lait vendus, à 464 €/1 000 l (conjoncture de 2023). Point de départ : l’EBE, auquel sont retirés la rémunération, les frais financiers court terme, l’inflation sur les charges vu le contexte actuel, une marge de sécurité pour aléas économiques, climatiques, sanitaires – égale à 10 % de l’EBE – (sachant que certaines banques prennent aujourd’hui 15 %), des annuités de remise en état et de fonctionnement de l’outil plus ou moins élevées.

(© Inosys-Réseaux d’élevage bovins lait Pays de la Loire)

Point de vigilance : les investissements non prévus

« Ces données sont issues de l’étude Perlaib réalisée en 2018 auprès de jeunes installés depuis cinq ans », précise Jean-Claude Huchon, avant d’enchaîner : « On s’est aperçu que les investissements non prévus pompaient une part non négligeable de la trésorerie les trois à cinq premières années d’installation, les cédants ayant levé le pied sur l’entretien du foncier (chemins d’accès aux pâtures, clôtures, chaulage), de la salle de traite, les mises aux normes entre autres. »

« Nous ne nous attendions pas à de telles tensions économiques de cette nature, ajoute-t-il. D’où la nécessité de bien évaluer l’existant. Dans le cas étudié, ces investissements peuvent varier du simple au double, voire être multipliés par 4. Nous tenions à insister sur ce point de vigilance. »

Point d’arrivée : la capacité de remboursement

En ôtant de l’EBE tous les éléments cités plus haut, on obtient la capacité de remboursement, c’est-à-dire à emprunter, ici sur 12 ans à un taux de 3,8 % (tendance à la hausse). « Les annuités peuvent paraître un peu faibles : elles sont calculées avec des bâtiments et une salle de traite non amortis suite à l’installation, sans surmécanisation et avec du matériel en propriété », indique l’expert.

Calcul de la valeur économique

En moyenne, elle tourne autour de 500 000 € (0,8 €/l de lait) mais elle peut fluctuer, selon l’état de l’outil, de 350 000 à plus de 550 000 €. « En fonction des situations, ça peut aller du simple au double ! En bio, pour comparaison, la moyenne se situe aux alentours de 0,4 €/l de lait. » Il invite à avoir « une analyse pluriannuelle de ce chiffre ». Sur 2020-2021, « en conventionnel, on était aussi à 0,4 €/l. Depuis, la valeur économique tend à augmenter avec la progression des capitaux mobilisés et du prix du lait. »

Plusieurs facteurs de variation

Jean-Claude Huchon insiste sur les facteurs de variation de la valeur économique, tels que les annuités de réinvestissement comme ci-dessus ou l’objectif de rémunération du producteur. Dans l’exemple, il est de 2 Smic annuels. À 1 Smic, la valeur économique grimpe à 1,20 €/l de lait ; à 3 Smic, elle chute à 0,3 €/l. « Au regard du temps de travail – 2 400 h/an en moyenne sur tous les cas-types, et des compétences exigées, certains éleveurs tiennent à se prélever 3 Smic », fait-il valoir.

(© Inosys-Réseaux d’élevage bovins lait Pays de la Loire)

« Les prélèvements privés sont une variable d’ajustement sur laquelle réfléchir. Attention toutefois à ne pas remettre en cause les fondements du projet. » La valeur économique et la capacité de remboursement peuvent aussi évoluer en fonction de l’EBE, de la marge de sécurité et de ladurée des emprunts.

Le conseiller apporte quelques précisions. D’une part, ces chiffres, transversaux à tous les cas-types, sont atteignables. « Ils sont un peu au-dessus de la moyenne des centres de gestion et en dessous du meilleur quart des études de groupe. Le but est de fournir un référentiel technico-économique pour l’installation en élevage bovin laitier. »

D’autre part, le ratio EBE/capitaux illustre la rentabilité d’un euro de capital mobilisé. Actuellement, « on dépasse en moyenne les 20 %. Sachant que capitaux mobilisés et rémunération sont indissociables. » Enfin, le temps de travail a été volontairement limité à 2 400 h/an pour éviter toute surcharge. « S’ensuivent des dimensions économiques peut-être pas complètement représentatives de la moyenne actuelle des installations en production bovine laitière. »

(1) « Inosys est un dispositif de production de références technico-économiques à l’échelle de l’exploitation agricole dans les domaines de l’élevage ruminant, des grandes cultures et de la viticulture. Les références sont produites par les conseillers des Chambres d’agriculture à partir de fermes classées selon la typologie Inosys et suivies annuellement.

Ces données permettent la production de cas-types, modélisation technique et économique d’une exploitation, ainsi que de nombreuses productions thématiques, en partenariat avec l’Idele pour l’élevage. Toutes les publications sont disponibles sur la plateforme commune des chambres d’agriculture et instituts techniques agricoles, R & D Agri, ainsi que sur le site web de l’Idele. » (source : site internet des chambres d’agriculture France)

Source : webinaire Inosys-Réseaux d’élevage « bovin lait » de juin dernier sur la transmissibilité des exploitations laitières.