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Académie d'Agriculture de France

Autonomie française et européenne en semences


Christian SABER et Alain TOPPAN, membres de l'Académie d'Agriculture de France le 07/10/2024 à 10:00
Tractor miniature with coins on fertile soil land

(©Getty Images)

Les semences sont la base des productions végétales destinées, en particulier, à l'alimentation animale et humaine. Elles offrent aux agriculteurs une combinaison génétique connue et stable, et une qualité de mise en œuvre : pureté, état sanitaire, vigueur germinative, calibrage. Elles représentent donc un potentiel de production entouré d'un service. Pour apporter ces garanties aux utilisateurs, une réglementation s'est mise en place depuis plus d'un siècle : lutte contre la fraude, création d'un catalogue et d'un réseau officiel d'essais des variétés, harmonisation européenne pour la commercialisation. Grâce à cette réglementation, les agriculteurs connaissent la qualité et le potentiel génétique de ce qu'ils sèment, tandis que les sociétés semencières disposent d'un cadre stable garant de leur pérennité.

Une balance commerciale très positive pour la France

En 2022-2023, la France est le premier pays exportateur de semences de grandes cultures, avec un montant de 2,176 milliards d’euros, recouvrant une grande diversité d’espèces végétales. Grâce à ces exportations, son excédent commercial, pour les semences, dépasse le milliard d’euros. La balance commerciale est très positive pour les semences de maïs et de sorgho, les semences potagères et florales, celles des plantes oléagineuses, et pour les plants de pommes de terre. En revanche, certains marchés sont en déficit, en particulier les semences fourragères. La solidité des exportations françaises repose sur une large diffusion à travers le monde : en 2021-2022, les semences potagères et florales ont été commercialisées dans 151 pays, les plants de pomme de terre dans 81 pays, les semences de maïs dans 72 pays, les semences de céréales, fourragères et oléagineuses (colza et tournesol) dans plus de 50 pays. Certaines espèces sont multipliées en priorité pour des marchés extérieurs. Environ 40 % des exportations sont réalisées par des entreprises étrangères qui ont fait le choix de produire en France pour approvisionner le marché européen.

Pourquoi une telle attractivité du territoire français ?

L’attractivité du territoire français découle de la combinaison de plusieurs facteurs : conditions pédoclimatiques, organisation de la filière, densité et diversité des entreprises, compétence du réseau des agriculteurs-multiplicateurs et pureté variétale des productions.

Des sols et des climats adaptés : La France présente une diversité de sols et de climats favorables à de nombreuses espèces, aussi les surfaces en multiplication des semences et plants représentent 372 000 hectares en 2023. Les plus importantes sont consacrées aux céréales à paille et aux protéagineux, puis viennent le maïs et le sorgho, les plantes oléagineuses, les plantes fourragères et à gazon, le lin et le chanvre, les plantes potagères et florales, les pommes de terre et les betteraves.

Les céréales à paille (blé tendre, blé dur, orge, triticale) et les protéagineux (féverole, pois protéagineux) – qui sont des semences pondéreuses – sont principalement multipliées dans leurs zones de culture ; de même, les plants de pomme de terre sont produits dans leurs régions traditionnelles de culture : Hauts-de-France, Normandie et Bretagne. Les semences de lin textile sont multipliées dans les régions de climat océanique des Hauts-de-France et de Normandie. La production de semences de betteraves et de chicorées résulte d’une montée à graines dans la deuxième année de leur cycle de vie, dans des conditions climatiques favorables, en particulier dans le Sud-Ouest. Les semences de maïs et de sorgho requièrent des conditions chaudes pour la maturité des grains. Pratiquement, toutes les régions françaises accueillent des productions de semences.

Pourquoi castre-t-on le maïs ? La productivité des semences hybrides de maïs dépend du choix des croisements entre deux variétés. Or le maïs est une plante à la fois mâle et femelle et elle peut s’autoféconder. Pour éviter ces autofécondations, la variété choisie pour être femelle est castrée, c’est-à-dire que l’on supprime ses panicules qui produisent du pollen et qui sont situées au sommet de la plante. Cette castration peut être manuelle ou mécanique. Les rangées femelles seront donc obligatoirement fécondées par les rangées mâles qui les encadrent.

Des zones protégées : La France est reconnue pour la qualité des semences multipliées sur son territoire. Certaines espèces produisent un pollen très léger qui peut être transporté par le vent sur des dizaines de kilomètres. De plus, différentes espèces « cousines » peuvent se féconder entre elles : betteraves sucrières, betteraves fourragères, betteraves potagères, bettes ou poirées. Les professionnels concernés déterminent donc des zones géographiques dans lesquelles une seule espèce du même genre est autorisée à la multiplication, ce qui permet d’éviter des croisements indésirables.

Des milliers de variétés multipliées : En 2022, 113 espèces ont été multipliées en France (dont 73 espèces potagères), et donc des milliers de variétés, pour répondre aux besoins des marchés français et internationaux. Cette capacité à produire une telle diversité, face aux besoins qualitatifs et quantitatifs, est le fruit d’une organisation rigoureuse entre les établissements producteurs et les agriculteurs-multiplicateurs.

Près de 17 000 agriculteurs-multiplicateurs spécialisés : En 2023, la multiplication des semences et des plants (pommes de terre) a été assurée par près de 17 000 agriculteurs-multiplicateurs en contrat avec les établissements producteurs. Leur production, contractuelle, permet d’ajuster la multiplication des semences et des plants aux besoins variétaux, quantitatifs et qualitatifs de leur commercialisation. L’activité de multiplication requiert des conditions et des compétences particulières, car les cycles de développement des espèces sont très différents : ainsi, pour les betteraves et la plupart des espèces potagères, la production de semences est très éloignée des cultures de production commerciale, car le cycle végétatif est long (souvent bisannuel1) et délicat. Par ailleurs, les conditions agronomiques doivent être parfaitement maîtrisées : état sanitaire de la parcelle, homogénéité de la culture, maîtrise totale des adventices, irrigation souvent indispensable, réussite des pollinisations, gestion des isolements, castrations, conditions contrôlées pour la récolte, le séchage, le stockage, la conservation et la livraison.

Un encadrement technique au service des multiplicateurs : Les agriculteurs-multiplicateurs français sont organisés en syndicats spécialisés (FNAMS, AGPM, ANAMSO, SNAMLIN, FN3PT) qui leur apportent des informations et des soutiens techniques, disposent de stations expérimentales et de laboratoires de contrôle qualité  et mènent une politique de communication active vers les agriculteurs-multiplicateurs.

Des établissements de production de semences dans les territoires : En 2023 :

  • 253 entreprises de production de semences sont localisées en milieu rural, en raison des installations de serres, de pépinières, de parcelles d’essais et de démonstration, de stations de semences, c’est-à-dire d’unités industrielles pour la réception, le séchage, le classement, le triage, le traitement et le conditionnement des semences.
  • 142 entreprises se sont développées pour produire des semences de 114 espèces pour les besoins de l’agriculture biologique.

Des entreprises de sélection très actives : 69 entreprises de sélection participent à la recherche et la création variétale. De statuts divers (PME familiales, coopératives, entreprises semencières, filiales d’entreprises étrangères), elles investissent en moyenne 11 % de leur chiffre d’affaires dans la recherche et le développement. Elles sélectionnent au total 55 espèces de grandes cultures et fourragères, et 39 espèces potagères. Plus de 450 nouvelles variétés sont créées et homologuées chaque année. Cette activité est stratégique : en 2020, cinq sociétés françaises (Limagrain, Florimond Desprez, RAGT Semences, Lidéa et In Vivo) font partie des 20 premières sociétés mondiales dans le domaine des semences. L’international permet la croissance de la filière française, et donc le financement de l’effort de recherche.

Les facteurs de risque sur la souveraineté semencière

Les risques de perte de compétitivité liés aux technologies : En France et en Europe, les polémiques et les blocages règlementaires sur les plantes génétiquement modifiées (appelées couramment OGM) ont fait craindre une perte de compétitivité au niveau de la recherche variétale, des semences et de l’agriculture. Seules les barrières à l’importation de récoltes transgéniques ont amorti cette perte (c’est là une forme de protectionnisme). Aujourd’hui, les nouvelles technologies d’édition génomique (NTG) se développent rapidement. Plus rapides, plus précises, moins coûteuses, plus faciles à mettre en œuvre, elles permettent d’accélérer les travaux de sélection qui demandaient classiquement 5 à 10 années, d’autant que l’adaptation au changement climatique nécessite des réactions rapides. Pour bénéficier des NTG, de nombreux pays modifient leur législation, mais l’Europe prend du retard, en ayant des difficultés à s’extraire de la réglementation et du contexte liés aux OGM. Cela conduit à une insécurité juridique et à un risque économique pour les entreprises européennes.

La dépendance de l’Europe vis-à-vis des brevets : C’est là le principal enjeu de souveraineté de la filière semence. Or, en raison de l’absence de clarté sur la réglementation des NBT, l’essentiel des découvertes dans ce domaine a eu lieu en dehors de l’Europe : les brevets ont été ainsi déposés par un petit nombre d’entreprises ou d’instituts de recherche nord-américains ou chinois. L’industrie semencière risque donc de dépendre d’offres contractuelles proposées par des sociétés étrangères, qui bénéficieront ainsi de la valeur ajoutée sur les semences.

La réglementation phytosanitaire rend la France et l’Europe moins compétitives : C’est le cas pour les productions de semences, en particulier potagères et florales. La production de semences saines souffre également de l’interdiction de certaines molécules phytosanitaires sur les produits de consommation, alors même que les enjeux sont très différents. Les agriculteurs-multiplicateurs sont donc à la recherche permanente de solutions techniques.

Le changement climatique, des risques à anticiper : Le changement climatique affecte les conditions de production dans la plupart des régions : variations climatiques excessives, limitation des ressources en eau, apparition de nouvelles maladies et de nouveaux ravageurs ; toutefois, si nos régions sont impactées, d’autres zones géographiques moins tempérées le sont encore davantage. En 2024, l’interprofession SEMAE a réalisé une étude concernant l’impact du changement climatique, en 2030 et 2050, sur la production de semences de chaque. L’étude indique un risque accru lié à la disponibilité de l’eau dans les stades critiques, et d’autres risques liés à l’augmentation des températures et aux périodes de gel. Cette analyse va permettre à la profession semencière de mettre en place des stratégies d’adaptation, par culture et par région : création de variétés plus résilientes, décalage des dates de semis, optimisation de l’irrigation.

Une opportunité : l’agroécologie : La filière est très concernée par l’agroécologie, car la résolution de nombreux défis environnementaux passe par l’amélioration génétique. En ce qui concerne la propriété intellectuelle, depuis plusieurs années, des acteurs publics et privés, réunis dans PlantAlliance, développent des partenariats pour contribuer à une génétique végétale au service des agriculteurs de demain. Il s’agit, aux niveaux français et européen, d’exploiter la diversité génétique en sélection variétale pour concevoir des systèmes de cultures agroécologiques innovants ; l’un des principaux enjeux est d’apporter une meilleure résilience face aux aléas climatiques.

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