Accéder au contenu principal

Le Parc marin d’Iroise, modèle contesté d’aire protégée « à la française »


AFP le 05/10/2024 à 11:20

« Là, un aileron ! » Armés de téléobjectifs, les agents de l'Office français de la biodiversité (OFB) guettent l'horizon en quête des grands dauphins de l'île de Sein (Finistère). Une activité essentielle pour le Parc naturel marin d'Iroise (PNMI), souvent érigé en modèle d'aire protégée « à la française ».

A l’issue de la journée, les deux techniciens de l’environnement et leur stagiaire, embarqués sur un semi-rigide, pensent avoir repéré entre 25 et 30 grands dauphins sédentaires sur la quarantaine qui fréquentent les eaux de l’île. Le décompte précis sera fait à terre, quelques semaines plus tard, en comparant les photos d’ailerons prises ce jour-là avec le catalogue répertoriant chaque individu.

« Chaque dauphin a un aileron spécifique. C’est un peu leur carte d’identité », explique Mickaël Buanic, un des agents. « Celui-là, c’est le numéro 341, c’est une femelle qui était avec son jeune », illustre-t-il, en montrant un aileron, marqué d’une encoche, sur l’écran de son appareil photo.

La population de ces cétacés n’a cessé d’augmenter depuis les années 70 où on n’en comptait plus que trois. On en répertorie désormais 41 contre 19 en 2012.

« Comme c’est un des prédateurs supérieurs, en suivant cette population, on a une idée de l’état du milieu dans lequel il vit », explique M. Buanic. « Si on a le prédateur supérieur de la chaussée de Sein qui se porte bien, on peut imaginer que son milieu est en bon état écologique aussi. »

Ces suivis permettent donc de connaître l’état de la biodiversité mais aussi d’ « accumuler de la connaissance pour donner des orientations ». « Si on ne connaît pas ce qu’il y a dans le milieu, on ne peut pas avoir les bonnes bases pour mettre en place des mesures de protection », explique l’agent.

« Très bons rapports » avec les pêcheurs

Créé en 2007, dans une vaste zone au large de la pointe bretonne, le PNMI est souvent érigé en modèle d’aire marine protégée (AMP) « à la française », notamment pour son conseil de gestion qui associe notamment élus, pêcheurs, plaisanciers et associations environnementales.

« Se débarrasser des hommes n’est pas dans notre objectif », explique Philippe Le Niliot, directeur adjoint du Parc. « Ça veut dire qu’on doit faire cohabiter les hommes avec leurs ressources ».

« Il y a beaucoup de critiques en ce moment pour dire : OK, c’est protégé, mais en même temps, c’est exploité. Nous, on considère que ce n’est pas parce que c’est exploité, que ce n’est pas protégé », ajoute-t-il.

Les pêcheurs, qui y exploitent le plus grand champ d’algues français, semblent y trouver leur compte. « On a de très, très bons rapports », insiste Philippe Perrot, pêcheur-ligneur et vice-président du Parc, qui vante un « dialogue à l’allemande ». « On s’appelle dès qu’on voit quelque chose qui pourrait froisser », dit-il.

« AMP de papier »

La gestion du parc ne fait cependant pas l’unanimité, les associations environnementales critiquant une « AMP de papier » qui « ne protège pas grand chose ».

« Tout est autorisé sauf quand, par hasard, c’est interdit », ironise Christophe Le Visage, représentant de l’association Eau et Rivières de Bretagne au conseil de gestion.

L’obligation d’instaurer des zones de protection forte (ZPF) ne devrait pas changer grand chose, selon lui, tant la notion a été vidée de sa substance par le gouvernement. « On va passer des AMP de papier à des ZPF de papier kraft », résume-t-il.

Au Parc marin, on met en avant l’interdiction de la pêche sur la chaussée de Sein ou les zones de jachère sur le champ d’algues de Molène ainsi qu’une discussion en cours pour protéger les grands dauphins des captures accidentelles.

« Au quotidien, on doit convaincre les usagers des effets bénéfiques de la protection sur l’environnement côtier », justifie M. Le Niliot.

Un argument qui ne convainc pas Joachim Claudet, chercheur au CNRS, spécialiste des aires marines protégées. « Quand l’État veut réglementer la vitesse sur les autoroutes, il ne demande pas à chaque automobiliste de choisir à combien il va rouler », remarque-t-il.

« Et c’est ce qu’on demande aux parcs naturels marins. J’ai l’impression que l’État cherche à ne pas décider quand il veut qu’il ne se passe rien ».