Au salon de l’agroalimentaire, focus inédit sur l’Afrique
AFP le 24/10/2024 à 07:38
Un sujet "prioritaire" : le salon international des entreprises agroalimentaires organisé cette semaine près de Paris (Sial) a mis un accent inédit sur l'Afrique, terre de consommation et de production prometteuse à condition que les produits soient transformés sur place.
Devant le boom démographique attendu sur le continent, « c’est un sujet qui devient prioritaire », selon Nicolas Trentesaux, le directeur des salons Sial : il y a « un enjeu fort de structuration de la filière agricole et de l’industrie agroalimentaire ».
Sur le Sial 2024, présenté comme le plus grand salon professionnel alimentaire au monde, l’Afrique a représenté 2 à 3 % des 7 500 exposants, « alors que demain ce sera 25 % de la population. Il y a un décalage ».
De la production à la transformation puis la distribution, « toute la chaîne d’approvisionnement est à inventer », estime M. Trentesaux, qui a organisé une journée Afrique « pour essayer d’ouvrir les yeux à tout le monde, voir comment on peut aider et comment les industriels des pays plus matures peuvent comprendre comment investir là-bas », a-t-il expliqué à l’AFP.
« Les investissements dans l’agriculture ont commencé par les Chinois qui ont investi beaucoup dans les terres. Ce n’est pas le moment de laisser passer le train », ajoute-t-il.
Parmi les exposants, une entreprise sud-africaine de fruits séchés, récemment rachetée par Pepsico ; plus loin, une société malgache dont les bocaux de haricots verts « cueillis et rangés à la main » sont destinés aux marques de supermarchés français.
A côté, Tropicaux, entreprise créée par des Guinéens installés aux Etats-Unis, proposait ananas et mangues séchés de Guinée-Conakry.
« La transformation sur place est la seule façon de générer de la plus-value. Avant, la récolte pourrissait, ou était exportée fraîche puis transformée en jus vendu quatre fois plus cher. Ce revenu nous échappait! », explique Mamadou Souaré, directeur commercial. L’usine et sa centaine d’employés fabriquent « un produit bio, qui a tous les standards, » exporté à 90 % aux Etats-Unis.
Tendance de demain
Transformer sur place est une préoccupation partagée, par exemple par le secteur des noix de cajou, trésor de l’Afrique de l’Ouest largement préparé en Inde ou au Vietnam.
La région assure 45 % de la production mondiale, mais moins de 10 % du volume est transformé là, ont expliqué les animateurs de Prosper Cashew, qui vise à rapatrier ces opérations. Mais le projet, soutenu par le département américain à l’Agriculture (USDA), n’est pas sans défis, financier notamment.
« Aucune banque ne vous fait crédit quand vous êtes dans le domaine agricole car c’est trop risqué », a souligné l’économiste togolais Kako Nubukpo, ex-commissaire à l’agriculture de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa).
Adapter la production aux normes des acheteurs est un autre défi, objet par exemple de Racines : présente au Sial, cette PME française aide depuis 40 ans des producteurs africains d’hibiscus, manioc, piment… à accéder au marché européen.
Le Sial Paris a vu, depuis sa création en 1964, toutes les traditions culinaires mondiales se transformer peu à peu en tendances. Sont désormais regardés de près les produits africains: gombo, gari, racines ou céréales sans gluten… Cette année une boisson mauricienne à base de moringa a gagné un des « prix de l’innovation ».
Encore faut-il les faire connaître, a relevé Bruno Sané, qui a lancé aux Etats-Unis un couscous de fonio, une céréale riche en fibre, qu’il voit comme « le quinoa de demain ». Après 20 ans dans l’agroalimentaire (Unilever…), il s’impatiente : pour changer la donne, « il faut du volume », insiste-t-il, car seul le volume permettra de faire baisser les prix du fonio pour les Africains eux-mêmes, souvent contraint à manger du riz importé, cinq fois moins cher.
Au Sial, les échanges publics organisés sur l’Afrique n’ont en tout cas pas attiré les multinationales. En revanche, plusieurs intervenants ont relevé l’importance du marché intérieur, premier débouché des entreprises agri/agro locales. Ils ont aussi insisté sur les enjeux sanitaires des modes de production, comme Nicolas Bricas, socio-économiste de l’alimentation au Cirad, institut dédié à l’agronomie tropicale, qui a mis en garde contre la « bombe à retardement effroyable qu’est la consommation de résidus de pesticides en Afrique ».