L’objectif de la multiperformance pas encore atteint sur Syppre Champagne
TNC le 05/11/2024 à 18:05
La multiperformance économique, environnementale et de productivité. C'est ce que visent les cinq plateformes expérimentales Syppre de France. Après 8 années d'essais, l'objectif n'est pas atteint pour la plateforme champenoise et les équipes nous expliquent ces résultats.
Lancé en 2015, Syppre est un dispositif piloté de concert par Arvalis, Terres Inovia et l’Institut technique de la betterave (ITB). Son ambition ? « Associer l’expertise des trois instituts techniques aux compétences des partenaires locaux pour mettre au point dans cinq grands bassins de production de l’Hexagone (Béarn, Berry, Champagne, Laurageais et Picardie) les systèmes de cultures de demain. »
Présentation de la plateforme Syppre Champagne
Située sur le pôle agricole de Terralab, ancienne base aérienne, la plateforme champenoise s’étend sur 13 ha en sols de craie. Elle compare un système témoin, qui correspond à un système de culture existant optimisé, à un système innovant prometteur. Chacune des cultures des deux systèmes est présente chaque année, le dispositif compte ainsi 15 modalités, avec 3 répétitions.
Le système « innovant » co-construit avec les agriculteurs intègre différents leviers comme la diversification des cultures, l’introduction de légumineuses en culture principale, en culture associée et en interculture pour apporter de l’azote, ou encore l’augmentation des durées de couverture du sol pour simplifier le travail du sol (labour : une fois en 10 ans) et favoriser la fertilité, etc. En 2019, a également été ajouté l’objectif de se passer du glyphosate.
En comparaison, le système témoin fonctionne avec une rotation sur 5 ans : colza, blé, orge de printemps, betterave, blé ; 3 labours en 5 ans et le reste en techniques culturales simplifiées (TCS) avant blé.
Les performances économiques à la peine
À date, les équipes témoignent d’un objectif de multiperformance non atteint pour la plateforme Syppre Champagne. Globalement, le système innovant livre « des résultats satisfaisants pour les indicateurs relatifs à l’environnement et à l’utilisation des intrants. Cela s’explique principalement par la mise en place de cultures de diversification (pois, chanvre), peu gourmandes en intrants ».
Cependant, « ces cultures de diversification, et essentiellement le pois, conduisent à une dégradation importante des performances économiques ». Sur les 7 dernières campagnes, la marge directe (avec aides) du système innovant est inférieure de 38 % en moyenne au témoin.
« En cause : les dégâts d’oiseaux très conséquents subis par la plateforme, ainsi que des problèmes de bactériose, conduisant à un abandon quasiment systématique du pois ces dernières années. »
En 2023, le pois, le colza et le chanvre (remplacé tardivement par des betteraves) du système innovant ont été complètement détruits, limitant fortement l’acquisition de connaissance sur la plateforme. En lien également avec les nombreux dégâts d’oiseaux, le tournesol a été remplacé par le chanvre à partir de 2019 et les équipes prévoient de substituer le pois d’hiver par la lentille dès 2025.
Outre les performances économiques, les cultures qui ne fonctionnent pas dégradent également le stockage de carbone du système (réduction de la biomasse produite). Les équipes décrivent alors un bilan assez médiocre ( + 44 t eq CO2 entre 2018 et 2023 pour le système innovant, par rapport au témoin selon Carbon Extract), la diminution des GES permise par les pratiques étant contrebalancée par le déstockage accentué du carbone du sol.
Abandon du strip-till en betteraves compte-tenu des objectifs fixés
En betteraves, trois modalités sont présentes sur Syppre Champagne : labour sur le système témoin et techniques culturales simplifiées (strip-till ou déchaumage profond) sur le système innovant. L’emploi du strip-till visait à diminuer les risques liés à la battance, parfois observée sur les sols de craie, et à réduire lesémissions de GES.
Les équipes signalent toutefois de « ne pas avoir trouvé le bon compromis pour cette technique sur betteraves ». « En effet, la règle imposée de se passer de glyphosate nécessite de retravailler le sol superficiellement en sortie d’hiver, rendant le sol meuble et menant à la formation de buttes par le strip-till. Ce qui a rendu impossible le guidage de la rampe de localisation et de la bineuse dans ces conditions et obligatoires les interventions phytosanitaires », explique Ghislain Malatesta de l’ITB.
Or, sur la plateforme, de par son historique, les adventices sont présentes en grand nombre et sécuriser la conduite du désherbage reste une priorité. « Cela est d’autant plus vrai pour la modalité de betteraves en anté-prédécent chanvre, où le salissement en chénopodes s’est montré particulièrement important. »
Les équipes ont donc préféré « abandonner le strip-till avant betteraves au profit d’un déchaumage profond, ne dégradant pas significativement les performances liées aux émissions de GES. En revanche, le risque de battance peut être moins maîtrisé. Aucune re-semis de betteraves n’a toutefois été réalisé à cause de ce phénomène depuis le lancement de la plateforme en 2016, contrairement au colza, pour lequel cela s’est produit une fois ».
En plus de la localisation et du binage, les équipes Syppre ont également intégré en 2024 la technologie Smart pour les betteraves du système innovant. Tout ceci a permis de réduire l’IFT herbicides à 1,5 contre une moyenne de 4,6 entre 2020 et 2023 (entre 3,8 et 7).
Un semis de colza précoce et avec un précédent légumineuses
La technique du strip-till est également utilisée sur colza dans le système innovant, pour un semis précoce (à partir de la mi-aôut). Autres spécificités du « colza innovant » : les équipes ont choisi un précédent légumineuses à graines (pois d’hiver ou lentilles) afin de lui apporter de la vigueur au colza. Et du fenugrec lui est associé, uniquement à proximité de la ligne de semis grâce à des micro-granulateurs, dans l’idée de pouvoir biner et localiser les interventions de désherbage.
Pour le système témoin, le semis est désormais réalisé à la même date (au début de l’expérimentation, plutôt fin août), après un labour, et le colza est associé à de la féverole, semée en plein.
Parmi les enseignements, les mesures de biomasse réalisées en entrée d’hiver montrent un meilleur développement à l’automne pour la conduite innovante : 44 g/pl contre 23 g/pl (témoin). Les équipes Syppre attribuent cette robustesse à une date de semis plus précoce et aux restitutions d’azote du précédent (pois de printemps ou pois d’hiver), estimées à environ 40 u.
Il faut toutefois noter deux années sans récolte de colza sur la plateforme : en 2021, à cause de la forte pression altises et de l’élongation, et en 2023, suite à un semis plus tardif (1er septembre), une mauvaise implantation avec le strip-till dans le sec et d’importants dégâts de pigeons.
Entre les campagnes 2016/17 et 2023/24, la plateforme met en avant une baisse de la dose d’azote et de l’IFT pour la conduite innovante avec un résultat économique équivalent :
– 135 u N/ha dans le système innovant, contre 170 u dans le témoin ;
– un IFT égal à 5,5, contre 7,0 : cette baisse concerne majoritaitement les insecticides ;
– une marge directe à 277 €/ha, contre 287 €/ha (en excluant la récolte 2023, compte-tenu des dégâts d’oiseaux).
Outre la démarche « colza robuste », la plateforme permet également à Terres Inovia d’étudier l’intérêt des couverts végétaux pour limiter la pression des coléoptères d’automne. L’idée : utiliser l’interculture pour diluer les adultes de grosses altises et les charançons du bourgeon terminal dans le territoire grâce à des crucifères plus attractives. Le radis chinois se démarque parmi les espèces testées (moutarde d’Abyssinie, brune ou blanche, radis fourrager, cameline…). De plus, il est facile à détruire. Attention toutefois compte-tenu de la sensibilité à la hernie des crucifères et aux nématodes.
Le désherbage mécanique, dépendant des conditions météo
Pour réduire l’usage des herbicides, le désherbage mécanique est un autre levier mis en œuvre sur la plateforme avec notamment la herse étrille sur orge de printemps, chanvre et blé. Son usage reste toutefois très dépendant des conditions météo, indique Raphaël Raverdy, d’Arvalis. « En orge de printemps, l’efficacité s’est révélée partielle en 2020 et satisfaisante en 2022, mais en 2021, un désherbage chimique a été nécessaire et les deux dernières campagnes (2023 et 2024), la herse n’a même pas pu être utilisée ».
« Le constat est assez similaire sur chanvre avec une efficacité partielle en 2021 et 2022, et pas d’utilisation possible en 2023 et 2024. »
En effet, pour un passage de herse étrille réussi, il faut pouvoir « intervenir sur un sol ressuyé et avec un temps sec (4 jours sans pluie après l’intervention) et sur des adventices au stade jeune (2-3 feuilles max), rappelle l’expert Arvalis. La vitesse idéale est comprise entre 6 et 8 km/ha avec une agressivité des dents moyenne à forte ».
Dans la lutte des adventices, Raphaël Raverdy souligne également l’intérêt de combiner les leviers agronomiques tels que le décalage de la date de semis, l’ajustement de la densité de semis, l’utilisation de variétés compétitives ou encore l’usage du labour quand c’est nécessaire.
Comme précisé avant, les équipes misent aussi sur l’allongement des rotations, en essayant d’alterner au maximum les cultures de printemps et d’hiver. Par rapport au début de la plateforme, la position du colza dans la rotation a également été revue pour écarter le chanvre des betteraves face à la pression chénopodes.
Dans tous les cas, l’ambition de Syppre n’est pas de trouver la recette miracle, mais bien de tester et de proposer des pistes d’amélioration des performances environnementales et économiques.