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Journal d’un agriculteur : « Nous, on veut profiter de nos enfants »


AFP le 10/11/2024 à 11:05

Jérôme Caze, 37 ans, marié et père de trois enfants, à la tête depuis six ans d'une exploitation maraîchère et d'élevage de poulets et de porcs en Lot-et-Garonne, raconte depuis octobre à l'AFP son quotidien de « petit agriculteur ».

Dans ce deuxième épisode, avec son épouse Sandra et sa mère Mireille, il évoque sa vie de parent paysan, avec un rapport au travail bien différent de ses aînés.

Nurserie

Jérôme : « Depuis notre dernière rencontre, on a bien avancé pour transformer la serre en nurserie pour accueillir les futurs porcelets (une nouvelle activité dans l’exploitation, NDLR). On attend avec impatience des bébés dans trois mois.

Mais il y a encore beaucoup de travail et je n’ai pas pu avancer autant que désiré : c’était les vacances de Toussaint et les « drôles » (expression locale qui désigne les enfants, ici âgés de 10 ans, 7 ans et 14 mois) étaient à la maison.

« Aujourd’hui, je ne conçois pas mon rôle de père de la même manière que mes parents. Enfant, on n’a manqué de rien avec ma soeur. On n’avait pas de voiture neuve mais on vivait bien, on a fait des études. Mais ce n’était pas le même rythme pour mes parents, ils cravachaient. Ils produisaient de grosses quantités de légumes toute l’année pour fournir en direct sept supermarchés. Ils ne pouvaient pas laisser le travail : une semaine, ils plantaient, ramassaient, l’autre semaine, ils préparaient le champ suivant pour replanter… »

« Ma mère, je ne la voyais pas »

Mireille : « Moi, je n’ai pas élevé mes enfants. C’était comme ça. Le matin, à 6 h, il fallait que je décolle pour faire la tournée des magasins. C’était notre gagne-pain. Il fallait pouvoir faire vivre la famille et on n’avait pas d’autre choix que de rembourser les emprunts. On a beaucoup investi mais le produit arrivait à se vendre. »

Jérôme : « Je ne la voyais pas le matin. Et je devais m’occuper tout seul de ma petite soeur avant que mon père, qui travaillait aussi, ne nous emmène à l’école. Pendant les vacances, on préparait la table, le repas. Tu es mature très vite mais quand ça se passe mal, comme lorsque ma petite soeur a lourdement chuté à vélo, tu deviens responsable alors que tu n’as pas l’âge de l’être. À cette époque, l’éducation était secondaire à la survie de l’exploitation.

Aujourd’hui, nous, on travaille pour pouvoir s’occuper de nos enfants. À la maison, on suit les devoirs, on les emmène plusieurs fois par semaine chacun au sport ou à la musique. Et on essaie de faire des sorties à la journée, au cinéma ou au bord de l’océan. Avec mes parents, les premières vacances, c’était quand on était adultes à La Rochelle. J’avais 20 ans. Mais au bout de deux jours, ils sont repartis faire le marché. »

Du temps pour les « drôles »

Sandra : « Avant, c’était la culture du « vaillant » : il fallait faire toujours quelque chose. Pour l’image que tu dégageais mais aussi parce qu’en t’acharnant, tu gagnais ta vie à la fin. Désormais, même si t’en chies, au bout, t’as rien de plus. Donc, on part du principe que, quitte à être dans la merde, autant profiter a minima de nos enfants. »

Jérôme : « Dans l’agriculture, tout est un défi et il y a toujours des imprévus, là par exemple, j’ai deux tracteurs en carafe à réparer, c’est pas rien. Alors quand on se lance dans une tâche, on fait aussi attention à garder du temps pour les « drôles ». On a fait le choix de ne pas faire les marchés pour pouvoir aller les chercher à l’école, pour manger ensemble le dimanche midi. On essaie d’optimiser notre temps pour profiter d’eux le soir. Et le dimanche, on a le droit de se lever un peu plus tard, à 9h, si on en a envie. Tant pis si ça donne l’image de fainéants. »

Propos recueillis par Karine Albertazzi et Thomas Saint-Cricq