Accéder au contenu principal

Laurence Marandola, une paysanne face au « combat de la décennie »


AFP le 12/11/2024 à 11:05

Première femme à porter seule la parole de la Confédération paysanne, Laurence Marandola se fait la voix d'une « agriculture paysanne », lancée dans le « combat de la décennie » face à l'agro-industrie et aux traités de libre-échange qui la mettent selon elle en péril.

Alors que la colère agricole monte dans le pays et que des manifestations se profilent à partir de vendredi, la porte-parole de la Confédération paysanne tente de trouver un peu de temps pour veiller sur son troupeau de lamas.

Dans sa ferme d’Auzat nichée au pied des montagnes ariégeoises, où l’AFP l’a rencontrée, la paysanne de 55 ans s’occupe d’une petite trentaine de bêtes et cultive des plantes médicinales et aromatiques, ainsi que des pommiers. Quand elle n’est pas sur son exploitation d’une quarantaine d’hectares, elle saute dans le train de nuit en gare de Tarascon-sur-Ariège, à vingt minutes de sa ferme.

« Mépris démocratique »

De là, elle se rend aux réunions et mobilisations de son syndicat, sur le pont pour lutter contre la perspective d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay et Bolivie).

« C’est le combat de la décennie pour protéger l’agriculture française, européenne et latino-américaine », assène la militante, tranchante au moment d’évoquer les potentielles conséquences néfastes de cet accord.

« Le signer est inaudible, on sent bien que l’ensemble du monde agricole est contre, et il risque quand même d’être signé en toute opacité, au mépris de toute décision démocratique », ajoute l’éleveuse qui connaît bien l’Amérique du Sud.

Car, avant de porter la voix du troisième syndicat agricole français, la native de Haute-Savoie a voyagé, passant seize années en Bolivie, au contact des paysans andins.

« Toutes proportions gardées c’est la même évolution qu’ici : l’effondrement massif du nombre de paysans partout, des fermes qui grossissent, l’agro-industrie qui s’est implantée partout », résume-t-elle.

Un vécu qui est venu renforcer une conscience militante née lors d’une jeunesse influencée par l’expérience des agriculteurs de sa famille, « cette angoisse qu’il y avait en eux » face à l’essor du libre-échange.

Elle dit avoir également été marquée par les mobilisations altermondialistes des années 1990, citant pêle-mêle le démontage du McDonald de Millau, les grandes manifestations de Seattle en 1999 ou le Forum social mondial de Porto Alegre, où elle s’est rendue en 2001.

Alors au moment de s’installer en Ariège, lors de son retour en France en 2007, elle s’est naturellement rapprochée de la Confédération paysanne. « Il n’y avait pas d’autre syndicat possible pour moi ».

Une organisation particulière, qu’elle refuse de qualifier d’alternative « en laissant un autre modèle continuer à se déployer (…), qui fait disparaître une masse de paysans qui n’arrivent pas à vivre de leur travail ». « On ne promeut pas un modèle alternatif, mais un modèle d’agriculture paysanne qui veut se généraliser », assure-t-elle.

Lutte féministe

Pour Hélène Delmas, co-porte-parole du syndicat en Occitanie, Laurence Marandola incarne en outre le fait que « la Confédération paysanne a toujours pris à coeur de faire attention à la place des femmes dans le monde rural », dans « un milieu agricole assez macho ».

Une façon d’englober son combat pour « un projet de société » dans un cadre plus large, des luttes féministes à celle contre l’artificialisation des terres et, récemment, l’autoroute A69 controversée entre Toulouse et Castres.

Laurence Marandola pointe du doigt « la course à l’échalote » des autres syndicats qui annoncent de grandes mobilisations quelques mois après les blocages qui avaient largement touché le Sud-Ouest.

Le Premier ministre d’alors était venu rencontrer un des leaders de la contestation, Jérôme Bayle, une image qui avait « glacé » Laurence Marandola. « Ce qui m’a choquée, c’est cette image de Gabriel Attal qui sort de Matignon, qui va poser un papier sur une botte de foin, qui va trinquer, en faisant croire que tout était résolu, (…) c’était d’un mépris de classe redoutable ».

La tension remonte à l’approche des élections aux chambres d’agriculture, en janvier. Laurence Marandola ne s’y représentera pas, alors qu’elle arrivera en mai au bout des quatre mandats nationaux, limite fixée par la « Conf’ ».

L’éleveuse exclut d’emblée tout avenir politique, elle veut rester impliquée dans le monde militant. « Mais d’abord, je vais m’occuper de redresser les choses sur la ferme », glisse-t-elle.