« UE-Mercosur », le traité mal-aimé de la France
AFP le 12/11/2024 à 12:05
Un quart de siècle de gestation pour une adoption aux forceps... ou un enterrement ? A quelques jours d'un G20 et à quelques semaines d'une réunion des cinq pays du Mercosur que certains dirigeants voient comme des occasions de parvenir à un accord, le projet de traité controversé UE-Mercosur fait toujours face à une vive opposition française.
Qu’est-ce que le traité UE-Mercosur ?
Créé en 1991, le Mercosur, abréviation du « marché commun du sud » (Mercado Comun del Sur), rassemble cinq pays, Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay et depuis 2023 la Bolivie, auxquels l’UE veut s’associer pour accroître ses échanges commerciaux.
Le projet de traité, dont les discussions ont commencé en 1999, entend supprimer la majorité des droits de douane entre les deux zones en créant un espace de plus de 700 millions de consommateurs.
S’il était adopté, il permettrait aux pays sud-américains d’écouler vers l’Europe de la viande, du sucre, du riz, du miel, du soja… En face, l’UE exporterait ses voitures, ses machines, ses produits pharmaceutiques… D’où le fréquent surnom d’accord « viande contre voitures ».
Après un accord « politique » en 2019 scellé entre l’UE et les pays du Mercosur dont les détails étaient restés inconnus, l’opposition de plusieurs pays dont la France a bloqué son adoption définitive.
Pourquoi l’Europe veut-elle un accord ?
Parce qu’il offrira à de nombreuses entreprises européennes un débouché de 270 millions de consommateurs. L’Allemagne et l’Espagne poussent pour l’adopter.
Le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez a cité fin octobre « le sommet du G20 », les 18 et 19 novembre à Rio de Janeiro, et « le sommet du Mercosur » du 5 au 7 décembre comme « dates clés » pour un accord.
Au-delà de sa dimension économique, « ce projet d’accord a pris une dimension géopolitique beaucoup plus importante » qu’en 1999, observe Elvire Fabry, chercheuse à l’institut européen Jacques Delors : « Le Brésil s’est énormément rapproché de la Chine, ce qui a conduit à plus d’alignement politique entre les deux pays. » L’enjeu crucial de la transition climatique pousse par ailleurs à se rapprocher de cette zone du monde, riche en lithium, en cuivre, en fer, cobalt…
Que lui reprochent ses détracteurs ?
D’ouvrir la voie à une déferlante de viande en provenance de champions de l’élevage comme le Brésil et l’Argentine, sans respecter les normes sanitaires européennes.
« L’élevage français ne sera pas concurrentiel par rapport à l’élevage brésilien », craint l’économiste Maxime Combes, opposé à ce traité.
L’accord prévoit des quotas d’exportation de 99 000 tonnes d’équivalent-carcasse et la suppression de tous les droits de douane sur quelque 60 000 tonnes de viandes importées du Mercosur.
Sur le respect des normes environnementales ou de sécurité alimentaire, « il y a une difficulté réelle à suivre chaque carcasse de viande, on ne sait pas tracer », estime Maxime Combes.
Le gouvernement français fait pression pour que l’accord comporte les dispositions de l’accord de Paris sur le climat et que les engagements pris en matière climatique soient contraignants. Le président Emmanuel Macron a redit en octobre que le traité n’était pas acceptable « en l’état ».
Les producteurs laitiers, les viticulteurs ou encore le secteur des spiritueux profiteraient d’un tel accord, au contraire des éleveurs bovins.
Interrogée par l’AFP, Manon Aubry (du parti La France insoumise, gauche radicale), première vice-présidente de la commission des affaires commerciales au Parlement européen, a indiqué à l’issue d’une réunion lundi avec les négociateurs de la Commission européenne que le texte ne serait pas adopté au G20. Mais elle craint que ce soit « reculer pour mieux sauter ».
Les négociations peuvent-elles capoter ?
En fonction du contenu qui sera retenu pour l’accord final, la Commission européenne s’interroge sur le mode d’adoption du texte, entre un vote à la majorité et un vote à l’unanimité, un choix d’autant plus stratégique à l’heure où d’autres Etats ont fait part d’inquiétudes à l’instar des Pays-Bas, de l’Autriche, de l’Irlande et de la Pologne.
« Selon le périmètre de l’accord final, il serait soumis soit au niveau du Conseil de l’UE à la majorité qualifiée et du Parlement à la majorité simple, soit également dans les Etats membres par un vote des assemblées, à l’unanimité », décrypte Elvire Fabry.
Paris aurait des difficultés à s’opposer au traité en cas de vote à la majorité, d’autant que « la position française est moins forte et son poids politique pèse moins qu’avant l’été » et la dissolution de l’Assemblée nationale, selon Mme Fabry.
Une adoption du traité susciterait la colère des milieux agricoles français qui ont déjà prévu d’amplifier leurs mouvements de protestation, moins d’un an après des manifestations qui avaient en grande partie paralysé les grands axes routiers.