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Traité UE-Mercosur : que peut faire la France pour préserver ses éleveurs ?


TNC le 13/11/2024 à 14:10
BovinbrEsil

Malgré l'opposition de la France, l'Union européenne souhaite ratifier l'accord UE-Mercosur avant la fin de l'année. (© Alf Ribeiro)

Alors qu’Ursula von der Leyen semble déterminée à sceller un accord commercial entre l’Europe et les pays d’Amérique du Sud, Interbev s’associe aux interprofessions de la volaille, des céréales et de la betterave et du sucre pour porter son opposition.

Longtemps portée par la filière viande, la grogne contre le traité de libre-échange UE-Mercosur fédère au-delà des productions animales. « Nous voulons parler d’une voix unie », lance Jean-François Guihard, président d’Interbev, accompagné par des représentants d’Intercéréales, de l’interprofession de la volaille et de la betterave. Alors que la Commission européenne presse le pas pour la ratification d’un accord, les interprofessions ne cessent de rappeler le danger qu’il représente pour les filières agricoles françaises.

La ministre de l’agriculture, Annie Genevard, a promis que le traité ne serait pas signé à l’occasion du G20 de Rio la semaine prochaine. Mais les observateurs se tournent maintenant vers un autre temps fort du calendrier : le Sommet du Mercosur qui se tiendra du 6 au 8 décembre.

L’aloyau sud-américain va déstabiliser le marché

En l’état, le traité prévoit un contingent supplémentaire de 99 000 tec de viande bovine à droits de douane réduits ou nuls. Pour Patrick Bénézit, président de la fédération nationale bovine (FNB), pas question de minimiser ces volumes. « Lorsqu’on regarde le marché, on se rend compte que le Mercosur n’est pas un simple fournisseur de viande, mais un fournisseur d’aloyaux », avertit l’agriculteur. Pré carré de la filière allaitante, ce morceau porteur de valeur ajoutée tire vers le haut les prix des carcasses. « Le marché de l’aloyau, c’est 400 000 tec en Europe. Si l’on importe 99 000 tec d’aloyau, on va totalement déstabiliser la filière viande », insiste Patrick Bénézit. « Il faut bien avoir en tête que les Européens ne mangent pas de la viande au sens large, mais des morceaux bien spécifiques », acquiesce Jean-Michel Schaeffer, président d’Anvol (interprofession de la volaille de chair), qui craint également que l’importation de filets de poulet ne vienne déstabiliser la filière volaille.

Les Européens ne mangent pas de la viande, mais des morceaux bien spécifiques

Le marché de la viande ne serait pas le seul concerné. Betterave sucrière, maïs… L’accord prévoit un contingent supplémentaire de 190 000 t de sucre, 8,2 millions d’hectolitres d’éthanol ainsi que l’équivalent de 3,4 Mt de maïs grain. Des volumes « qui ne répondent absolument pas aux besoins de l’Union européenne », insiste Alain Carré président d’AIBS (Association interprofessionnelle de la betterave et du sucre). « Les États membres peinent déjà à intégrer la production ukrainienne qui vient déstabiliser le marché. L’arrivée de sucre sud-américain prendra la place des marchés français chez nos partenaires traditionnels d’Espagne ou d’Italie », tranche l’agriculteur.

Les interprofessions redoutent également un effet cocktail pour les agriculteurs français : « les betteraviers ou les maïsiculteurs, ce sont aussi parfois des producteurs de volaille ou de bovins qui vont subir tous les aspects du traité de libre-échange », insiste Alain Carré.

Une concurrence déloyale qui ne passe pas

Mais plus que la déstabilisation du marché, c’est la concurrence déloyale qui ne passe pas pour les représentants de filières. Le standard de production brésilien est bien loin des normes européennes. « Nous ne sommes pas à une molécule près », insiste Patrick Bénézit. « Le Mercosur n’a pas de normes en termes de bien-être animal, pas d’interdiction pour l’utilisation de farines de viande. De même pour les activateurs de croissance… ». Et la production de fourrage n’est pas en reste. « 77,5 % des produits phytosanitaires utilisés au Brésil pour la culture du maïs sont interdits en France », rappelle Franck Laborde d’Intercéréales. « On ne peut pas accepter de telles distorsions de concurrences, alors que l’on s’oriente vers une agriculture européenne de plus en plus normée », ajoute Patrick Bénézit.

La France peut-elle empêcher l’accord ?

Si tous s’accordent sur le caractère déloyal de l’accord, a-t-on pour autant les moyens de s’y opposer ? La question est complexe. Après deux décennies de négociation, la Commission européenne fait le pari d’isoler les questions purement commerciales des questions politiques pour les remettre dans les mains de l’Europe. Une manière de contourner les droits de veto des Etats, en ouvrant la possibilité d’une ratification à la majorité qualifiée (15 états sur 28).

Mais Stéphane Travert, député de la Manche, insiste « la France reste un poids lourd. Il faut profiter des semaines qui viennent pour sensibiliser les interprofessions des autres pays pour créer une minorité de blocage ». À défaut, le député voit d’autres issues. « Des recours juridiques sont envisageables. On peut imaginer un procès en annulation, car le mandat initial portait sur la mise ne place d’un accord mixte, nécessitant l’accord de l’Union, mais aussi des Etats membres ». En bref, « tout est question de volonté politique », insiste le député.

En cas d’accord, les interprofessions n’entendent pas se contenter des systèmes de contrôle actuels. « Il faut des clauses miroirs, mais aussi se donner les moyens de les contrôler », insiste Patrick Bénézit. « Il est essentiel d’avoir des organismes de certification, qui aillent dans les Etats partenaires pour inspecter les filières. Lorsque les Chinois font le choix de la viande française, ils viennent inspecter nos abattoirs », insiste Jean-Michel Schaeffer.

Patrick Bénézit poursuit « la ratification de l’accord serait un vrai symbole négatif pour l’agriculture française », alors que la menace de manifestations agricoles d’ampleur se fait de plus en plus grande.