Des commandes à l’arrêt, l’emploi menacé : les constructeurs souffrent
TNC le 13/11/2024 à 17:45
Le marché français du machinisme devrait baisser de 12 % en 2024 selon le syndicat Axema. La conjoncture agricole et les mauvaises récoltes bloquent sa reprise. Des conséquences sociales sont redoutées.
« La grande question, c’est quand le point bas sera atteint et quand est-ce que cela va repartir ? » s’interroge Jean-Christophe Regnier, en charge de la commission économique d’Axema, le syndicat des constructeurs français, et directeur général de Lemken France.
Le syndicat, qui fédère 249 sociétés et représente 93 % de l’offre hexagonale d’agroéquipements, a présenté ce mercredi 13 novembre son bilan de conjoncture économique pour 2024. Un bilan sombre : le marché français est en recul de 12 %. Et les prévisions pour 2025 sont prudemment pessimistes, avec un nouveau repli attendu de 5 %. « Si on tombe aussi bas, c’est aussi qu’on était monté très haut », médite Jean-Christophe Regnier.
Les industriels du machinisme français attendent de toucher le fond de la piscine en espérant repartir à la surface. Difficile de prévoir l’avenir. « Nous sommes d’habitude sur des cycles de 3 ans de hausse puis de baisse. Là, nous avons eu six années consécutives en progrès. C’est une situation à laquelle nous n’avons jamais fait face », commente Christian Fischer, vice-président d’Axema et directeur commercial France chez Kuhn.
Les carnets de commandes se vident
Si l’année 2023 avait été une année record en termes de facturation, la baisse des prises de commande laissait présager d’une année 2024 maussade. D’autant qu’elles ont encore chuté ces derniers mois. « Le mois de septembre, avec – 37 % par rapport à septembre 2023, est cataclysmique », déplore David Targy, le directeur des affaires économiques et internationales d’Axema.
2024 est donc partie pour être « la pire année au niveau des commandes en France depuis 2010 ». Ce qui n’annonce pas un rétablissement rapide. « Les prises de commande ne se traduisent par du chiffre d’affaires que 3 à 6 mois plus tard », explique David Targy.
Parmi les entreprises qui ont répondu à l’enquête d’Axema, 59 % ont un carnet de commandes qui assure moins de 3 mois de chiffre d’affaires. « Il y a peu, nous étions plutôt sur plus de douze mois. Gérer et adapter l’outil de production avec ces variations, c’est un vrai casse-tête », analyse Olivier le Flohic, vice-président d’Axema et directeur commercial de New Holland France.
Le monde entier est impacté
Les ventes à l’exportation, un relai de croissance quand le marché français patine, sont en recul de 23 %. Tous les pays dans le monde sont touchés, avec une baisse des importations de 12 % aux USA, de 22 % en Allemagne, de 20 % en Italie… Le marché des tracteurs neufs chute partout en Europe, spécialement dans les Pays de l’Est, la Scandinavie et l’Italie, à l’exception de « petits » marchés où il progresse (péninsule ibérique, Belgique et Grèce).
Le chiffre d’affaires des constructeurs français est donc en baisse de 14,5 % depuis début 2024 par rapport à 2023. Celui de la distribution de matériel agricole, les concessionnaires, ne recule, lui, que de 3,1 %. « Sur le marché de gros, un assainissement des stocks à lieu mais le marché de détail résiste », constate Jean-Christophe Regnier.
La filière du machinisme agricole se dirige vers un tout petit millésime au niveau des immatriculations de véhicules neufs par rapport à 2023. Les estimations tablent sur 23 100 tracteurs standards (- 12 %), 4 600 chargeurs télescopiques (- 12 %), 1 400 moissonneuses-batteuses (- 8 %) ou encore 2 600 presses à balles rondes (- 5 %). Seules les ensileuses automotrices tirent leur épingle du jeu avec une hausse de 5 %, mais après une année 2023 catastrophique.
Des ajustements sur l’emploi
« Il est à noter que les tracteurs de forte puissance, de plus de 200 ch et surtout de 300 ch, progressent », précise Jean-Christophe Regnier. La bonne santé des matériels de transport est, elle, à prendre avec des pincettes : « La nouvelle réglementation du freinage au 1er janvier 2025 a incité des agriculteurs à immatriculer des véhicules anciens ».
Conséquence de ces chiffres inquétants : « De premiers ajustements sur l’emploi sont opérés », annonce Axema. 21 % des constructeurs sondés par le syndicat envisagent des baisses d’effectifs sur les 12 prochains mois, 54 % ont déjà réduit leurs effectifs d’intérimaires et 15 % ont instauré une activité partielle. 10 % sont « très pessimistes » pour le futur, un niveau jamais atteint.
Les causes de ce marasme sont multiples. La conjoncture agricole n’est pas favorable aux investissements. En productions céréalières, 2024 est la 3e pire année depuis 30 ans en termes de rendement mais aussi de production. Les revenus sont en berne et les marges souvent négatives.
Les prix ne flambent plus
Difficile dans ces conditions de débourser des sommes rondelettes pour s’équiper, quand le prix des machines a augmenté de 31,5 % entre janvier 2019 et septembre 2024. Cette flambée se calme (l’augmentation n’est que de 1,7 % depuis le début 2024) mais « les prix ne reviendront pas à leur niveau de 2019, c’est impossible, tranche David Targy. Les coûts de production diminuent depuis 2023 mais restent encore 30 % plus élevés qu’en 2020 ».
« Sur la baisse des prix, c’est à chaque industriel de s’ajuster. Il peut y avoir des campagnes commerciales pour soutenir la production mais cela ne peut durer qu’un temps », estime Jean-Christophe Regnier.
Les constructeurs et les agriculteurs sont finalement dans le même bateau : ils dépendent du ciel et espèrent une météo enfin clémente. « Il y a besoin d’une bonne récolte, ou juste d’une récolte normale, cet été pour repartir », conclut Jean-Christophe Regnier.