De gendarme à éleveur laitier : « Un bond qu’il faut oser sauter »
TNC le 14/11/2024 à 05:38
Gendarme pendant neuf ans, Édouard Ventroux est devenu éleveur de vaches laitières en Ille-et-Vilaine, à des centaines de kilomètres de la Moselle où il habitait. « Un pas, ou plutôt un bond », qu’il a mis plusieurs années à « oser sauter », quittant la sécurité de l’emploi et du salaire pour un métier, certes passionnant, mais plein d’aléas. Installé depuis un peu plus d’un an, il ne regrette pas sa reconversion (d'ailleurs aujourd'hui, c'est la journée nationale de la reconversion professionnelle). « Le soir, on est content de soi, de son travail, c’est très plaisant », met-il en avant.
« Le plus dur est d’oser sauter le pas, qui est grand. De salarié à exploitant agricole, c’est plutôt un bond. » Non issu du milieu agricole, Édouard Ventroux était attiré par le métier d’agriculteur depuis longtemps. Gendarme pendant neuf ans à un poste à responsabilités, il a cependant hésité à quitter la sécurité de l’emploi et le « confort » d’un salaire tombant tous les mois. Sans compter qu’il allait devoir peut-être changer de département, voire de région. Ce bond angoisse autant qu’il motive, un challenge passionnant à relever, selon lui.
« C’est le coût de la liberté », enchaîne le jeune homme, parti de Moselle pour s’installer en bovins lait, en juin 2023, à Saint-Pierre-de-Plesguen (commune déléguée de Mesnil-Roc’h), au nord de Rennes en Ille-et-Vilaine, et qui au bout d’un peu plus d’un an « ne pourrait déjà plus avoir de patron ». S’il a mis plusieurs années à se décider, c’est aussi pour prendre « le temps de réfléchir » afin d’être sûr de sa décision justement et de bien préparer son projet d’installation en élevage.
Un challenge qui angoisse autant qu’il motive
Mais également de trouver la bonne ferme à reprendre. Inscrit au répertoire départ installation, Édouard en visite six, dont certaines plusieurs fois et avec d’autres personnes pour tout observer avec attention, pas avec son seul regard. Il arrête son choix sur celle de Saint-Pierre-de-Plesguen. Une exploitation bovine laitière alors que pour sa reconversion professionnelle en agriculture, il suit une formation de BPREA en maraîchage d’un an (à noter : sans aucun bagage agricole, il n’a pas pu bénéficier de la VAE ou validation des acquis de l’expérience).
« Tuilage de sept mois » avec le cédant
« Au départ, je n’avais pas d’attirance particulière pour les animaux, je ne connaissais pas trop les productions animales, j’ai découvert les vaches lors des visites d’exploitations, ça m’a plu. » Essentiel alors, pour lui, même s’il s’est beaucoup renseigné par lui-même en consultant notamment des références techniques, de réaliser un stage de parrainage pour se familiariser non seulement avec la structure et le cheptel, mais surtout à la conduite un troupeau.
Je ne connaissais pas du tout les vaches !
« Un tuilage de sept mois » avec le cédant, qui avait « à cœur de céder son exploitation à un jeune » même si un Nima, qui n’avait « jamais semé de prairies, ni fait de roundballers », lui faisait un peu peur au départ. « Tout s’apprend », rétorque Édouard, pour lequel cette période s’est avérée bénéfique : il a pu se faire la main sereinement en profitant des conseils et de l’expérience de l’agriculteur en place. « Il m’a transmis beaucoup d’infos et m’a aidé à m’intégrer localement, dans la filière, sur le territoire. »
« S’entourer de ses pairs » et « sortir du milieu agricole »
Édouard a été très bien accueilli dans la commune, les agriculteurs voisins le conseillant volontiers, grâce à leur connaissance des terres alentour en particulier. L’utilisation de machines en commun a, par ailleurs, facilité son intégration locale. « Il faut s’entourer », appuie le jeune exploitant, qui fait partie d’un Ceta pour échanger avec d’autres producteurs, et « sortir du secteur agricole pour élargir le champ de vision et montrer aux gens, qui ne le voient pas forcément, comment nous travaillons. »
D’autres atouts de l’exploitation ont séduit le futur éleveur, pour qui il faut cependant avoir conscience que « la ferme parfaite n’existe pas » : la surface en herbe, groupée en îlots, car il voulait faire pâturer les vaches, la possibilité de s’installer en individuel mais avec un salarié à mi-temps, « très compétent, un regard extérieur qui apporte une vraie plus-value à l’entreprise », la présence d’une maison d’habitation sur place pour le « côté pratique ».
« Une structure qui dégage tout de suite un revenu »
En poste en gendarmerie dans l’est de la France, le jeune éleveur, qui a de la famille près de Nantes, souhaitait ne pas être loin d’elle pour ne pas se sentir trop isolé. « Nous savions qu’avec l’élevage laitier, nous ne pourrions pas retourner souvent là-bas. » Important aussi : « les conditions économiques ». Il fallait une structure viable, qui tourne, à un prix raisonnable. « Les bâtiments étaient fonctionnels, pas de travaux dans l’immédiat, avec un troupeau qui permettait de dégager du revenu tout de suite. » « Peut-être parce que je ne suis pas du monde agricole, la marge par vache me parle plus que le litrage que chacune produit. »
Je regarde plus la marge que le litrage par vache.
Le jeune producteur a simplifié l’organisation du travail avec l’élevage des veaux mâles par des vaches nourrices durant 15 jours et la délégation de certains chantiers culturaux (traitements et semis de maïs par exemple). « Le matériel, plus performant, garantit un travail de qualité. On ne peut pas être partout. La prestation de services pour les cultures permet de se concentrer sur le suivi du cheptel. On ne peut pas déléguer le rôle de l’éleveur ! »
« Un métier complet et stratégique »
Aujourd’hui, Édouard ne regrette pas de s’être reconverti dans l’élevage, même s’il a cumulé installation, en pleine saison des foins, déménagement et naissance de son deuxième enfant. « Ça fait beaucoup d’un coup ! » Être son propre patron, comme il l’a déjà dit, ce qui « facilite l’organisation de la vie professionnelle et personnelle », avec les « responsabilités » qui vont avec. « Le métier d’éleveur est très complet, avec un volet stratégique intéressant et exigeant à la fois. Il faut savoir notamment se poser les bonnes questions, mener les bonnes réflexions. »
Savoir se reposer.
« Quand on se couche le soir, on sait qu’on n’a pas rien fait. On est content de soi et c’est ça qui me plaît tous les jours », résume-t-il. Tout en insistant sur l’importance de se reposer pour « être en forme physiquement et moralement ». « Il y a des hauts et des bas dans une exploitation. Avec le vivant, on ne maîtrise pas tout, on a parfois des déceptions. Il faut être d’attaque pour affronter ces épreuves, un peu de repos redonne de l’énergie et du courage pour repartir. Il est tout à fait normal de prendre des pauses, des jours de congés de temps en temps, y compris en agriculture ! »
Il reconnaît malgré tout que « partir de zéro » dans le métier n’est pas facile. « Il faut faire ses preuves pour être reconnus, qu’on nous fasse confiance. » Le montant des investissements, les sommes engagées, donnent aussi le vertige. « Pas mal de choses à payer, avant même de démarrer », pointe Édouard qui déplore, en outre, les lenteurs administratives pour bien des démarches. Certains l’ont pris pour un peu pour un fou, même dans son entourage, mais désormais tous sont fiers de lui.