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Accord UE-Mercosur : quel impact pour l’agriculture ?


AFP le 15/11/2024 à 09:46

Le projet d'accord de libre échange UE-Mercosur promet d'ouvrir un peu plus le marché européen aux produits latino-américains, une perspective qui alarme le secteur agricole. Bruxelles jure qu'il s'agira de « petits volumes », ce qui n'enlève pas le risque que certaines filières soient déstabilisées.

Trois sujets restent sur la table des négociations : l’UE demande aux pays du Mercosur des engagements sur la déforestation et le climat tandis que le Brésil demande notamment à pouvoir protéger ses industries jugées stratégiques, comme l’automobile. Le volet agricole, lui, est acté depuis 2019.

Quels volumes agricoles sont en jeu? La Commission européenne parle de « petits volumes » en comparant les quotas prévus à ce que l’UE produit annuellement.

Les produits du Mercosur dont les droits de douane seront réduits voire éliminés seront de 99 000 tonnes maximum pour la viande bovine, soit 1,6 % de la production de l’UE. Pour la viande porcine, ce sera 25 000 tonnes (0,1 % de la production de l’UE), pour les volailles 180 000 tonnes (1,4 %), le sucre 190 000 tonnes (1,2 %).

Bruxelles assure que l’accord représente des opportunités pour des produits européens aujourd’hui freinés en Amérique latine : le vin (actuellement taxé jusqu’à 27 %) ou les fromages, qui peuvent bénéficier de « l’essor d’une classe moyenne ».

Le gouvernement espagnol, qui soutient l’accord, met ainsi en avant le vin ou l’huile d’olive. Les syndicats agricoles de ce pays s’alarment tout de même, en particulier pour l’élevage.

Secteurs exposés

Même si les volumes concernés sont faibles par rapport à la production européenne, ils peuvent ébranler des filières.

Pour Patrick Bénézit, vice-président de l’interprofession de la viande bovine (Interbev), les pays du Mercosur fournissent déjà le gros des importations d’aloyaux, des morceaux « nobles ». La production d’aloyaux en Europe, « c’est 400 000 tonnes issues de races à viande, donc voir débouler 99 000 tonnes, ça a un impact ».

Les producteurs de poulet redoutent que les Brésiliens se concentrent sur les morceaux les plus rentables, les filets.

Pour la filière du sucre, déjà bousculée par les facilités accordées à l’Ukraine, les 190 000 tonnes ne représentent qu’1,2 % de la production européenne, mais la moitié des exportations françaises vers les autres pays de l’UE, qui représentent la grande majorité des exportations totales du pays.

Cela ne « fera que déstabiliser ce marché », en particulier pour la France, explique Alain Carré, cultivateur et président de l’interprofession (AIBS) Les filières de l’éthanol, du miel, du porc… sont aussi à risque, souligne Stefan Ambec, économiste à l’institut de recherche Inrae, qui évoque notamment le risque d’une baisse des prix payés aux agriculteurs européens.

Quelles normes ?

« Les coûts de production diffèrent et le problème est que les normes sanitaires et environnementales ne sont pas les mêmes. »  La Commission l’assure : « Tout produit du Mercosur doit respecter les normes strictes de l’UE en matière de sécurité alimentaire. » L’accord de libre-échange Ceta avec le Canada par exemple ne remplit pas ses quotas d’exportation de viande depuis six ans faute de production aux normes, fait valoir un fonctionnaire européen.

Les « conditions de production » dans le Mercosur ne seront pas forcément les mêmes qu’en Europe, admet Bruxelles.

Les opposants à l’accord demandent des « clauses miroir » : que les règles s’imposant aux agriculteurs européens en matière sociale, environnementale ou de bien-être animal s’imposent aussi aux producteurs du Mercosur afin d’éviter des distorsions de concurrence.

C’est « vendu comme un accord de nouvelle génération prenant en compte les aspects environnementaux et climatiques mais les engagements sont faibles : il n’y a aucune conditionnalité », note Stefan Ambec.

Quels contrôles ?

Comment s’assurer que les normes sanitaires seront respectées ? « En théorie, la viande traitée par exemple aux antibiotiques et hormones de croissance ne peut entrer, mais en pratique la traçabilité est imparfaite », explique Stefan Ambec. « Il y a des audits d’abattoirs organisés avec la Commission, mais on ne suit pas facilement le bétail avant cette étape. Le traçage de la naissance à l’abattage, dans le Mercosur, cela n’existe qu’en Uruguay. »

Et de fait, un audit de l’UE vient de révéler des failles dans les contrôles de la viande bovine au Brésil, incapables de garantir l’absence de l’hormone œstradiol, interdite en Europe. En attendant que les procédures soient revues, le Brésil a suspendu ses exportations.

« Frein d’urgence »

L’accord comprend « une clause de sauvegarde », une sorte de « frein d’urgence » en cas d’augmentation soudaine des importations ou d’effets pervers sur le marché, souligne Bruxelles.

Mais cette clause « ne définit pas » de conditions précises, note M. Ambec : de quoi compliquer son déclenchement (le rétablissement des droits de douane) sans mesures de rétorsion.