P. et A. Mollet : « Dissocier l’exploitation de la famille »
TNC le 03/12/2024 à 05:06
Le faire accepter de l’entourage familial, et s’y préparer soi-même, au niveau de la fiscalité, du foncier, de la maison d’habitation… La transmission d’une ferme à un tiers s’anticipe et se réfléchit sans doute encore davantage qu’à un membre de sa famille. Le témoignage de Pascal Mollet et son épouse Anne au salon Tech’Élevage, organisé du 19 au 21 novembre en Vendée, le prouve.
« Pour la famille, c’est un peu comme si nous dilapidions notre patrimoine », témoigne Pascal Mollet, 58 ans. Éleveur de vaches laitières à Grosbreuil en Vendée, il s’apprête à transmettre à un tiers la ferme familiale depuis quatre générations, aucun enfant ni proche ne souhaitant la reprendre. Aujourd’hui pourtant, « le contexte a changé, les transmissions en agriculture ne sont pas que familiales », fait-il remarquer.
Un outil de travail, même installé en couple.
« Une entreprise agricole, comme toute entreprise, doit être dissociée de la famille. Il s’agit d’un outil de travail, même si l’on s’installe en couple », insiste lors d’une table ronde au salon Tech’Elevage le futur retraité agricole. Sans successeur, parce que ce n’est pas une situation facile, on peut vouloir continuer le plus longtemps possible, repousser au maximum le moment de céder au repreneur extérieur, voire de laisser partir la ferme à l’agrandissement ou pire être démantelée.
« La fiscalité ne se prévoit pas du jour au lendemain »
Il faut se forcer au contraire à y réfléchir, bien en amont, pour se préparer au mieux à cette cession d’exploitation hors cadre familial, et trouver la bonne personne pour prendre le relais. Et « ne surtout pas se dire qu’on va durer éternellement, appuie Pascal, si on veut ne pas être trop usé et profiter de sa retraite d’agriculteur», après une carrière qui met souvent physique et moral à rude épreuve. Plus largement, « il s’agit d’anticiper pour transmettre la ferme dans les meilleures conditions », argue-t-il.
Savoir s’arrêter pour profiter de sa retraite.
Il y a plein de points de vigilance, dont les exploitants n’ont pas conscience ou qu’ils sous-estiment. La fiscalité d’abord, très importante en raison des conséquences financières, et qui « ne s’envisage pas la veille pour le lendemain », prévient l’exploitant. Cela revient à « organiser sa structure pour minimiser les impacts », explique Jean-Philippe Arnaud, chargé de mission transmission à la chambre d’agriculture des Pays de la Loire.
« Sécuriser le foncier »
« Sans anticipation, il y a moins de leviers possibles », alerte-t-il. En Gaec avec son épouse, Pascal attire l’attention sur les comptes courants associés : « On a tendance à laisser traîner, mais cela peut impacter fortement la cession. » Sur le volet juridique plus globalement, il invite à « penser à long terme ». Deuxième élément majeur : le foncier, qui dans son système d’élevage est « primordial ». Depuis deux ans, lui et sa femme « s’attellent à le sécuriser ».
« Parfois, on reprend 1 ha ici, 50 ares là, sans formalités particulières, juste un accord oral. Or, le jour de la transmission, tout doit être carré et à jour ! », mettent-ils en garde, conseillant d’ailleurs d’aller voir les propriétaires. « Tant qu’on ne leur demande pas s’ils veulent vendre, ils ne se posent pas la question », constate Pascal. Et rares sont ceux qui font spontanément la démarche de proposer leurs terres à la vente.
La maison et la ferme, un tout !
« On entend souvent « On ne savait pas que tu étais intéressé, mais pourquoi pas » », rapporte l’éleveur qui a acheté 40 ha ces deux dernières années. Avec sa femme Anne, il met en avant un troisième aspect essentiel dans une transmission d’exploitation : la maison d’habitation qui peut en faire partie ou que les cédants tiennent à conserver. Eux ont commencé à la rénover pour la céder avec le reste. « Elle est dans la ferme, elle va avec, c’est un tout », considèrent-ils.
« Témoignage et formation nous ont réveillés »
Pascal a rejoint ses parents, alors producteurs de bovins viande, il y a 37 ans, en 1988. Anne a remplacé le père en 1999. Pas du milieu, elle se « sentait bien dans l’agricole ». Au départ en retraite de la mère, ils se sont associés avec un tiers pendant 12 ans. Lorsque celui-ci a quitté le Gaec, ils ont préféré travailler en couple, même si « ce n’est pas toujours simple », reconnaît Anne. Mais « dans l’ensemble, ça fonctionne plutôt bien, on se dit les choses peut-être plus facilement », s’empresse-t-elle d’ajouter.
Le plus dur : débuter le cheminement.
Si l’heure de la retraite approche, et que la réflexion est déjà pas mal engagée, le plus dur a été de débuter ce cheminement. L’an dernier au salon Tech’Elevage, le témoignage de Georges Marhic, un ami, sur la cession de son élevage laitier, a été le déclic. « Ses propos nous ont réveillés, d’autant qu’il est plus jeune que moi ! », lance Pascal. Le couple décide de participer à une formation de la chambre d’agriculture. Cette formation les a « aussi réveillés » : autrement dit, elle « a éveillé » leur attention sur des sujets qu’ils avaient mis de côté, et qui peuvent s’avérer primordiaux.
Comprendre ce qu’il manque pour une transmission optimale.
« Elle a fait ressortir ce qu’il manquait pour une transmission optimale », résume Pascal. « Elle devrait être obligatoire », complète Anne. Tous deux encouragent les agriculteurs, à la retraite dans les 4-5 ans, à la suivre. « Nous avons pu identifier ce qu’il fallait faire évoluer pour satisfaire un candidat à l’installation », raconte le producteur laitier. « Faut être attrayant, savoir se vendre », martèle-t-il. Ainsi, les postulants seront plus nombreux. Une structure qui attire, une fierté pour les cédants et surtout la possibilité de choisir entre plusieurs porteurs de projets.
« Oser se former et échanger avec d’autres cédants »
Les futurs retraités conseillent aux couples d’agriculteurs de venir se former à deux, et avec les autres associés éventuels : « Tous sont concernés par le départ d’un membre de la société. Cela permet d’entendre les mêmes informations, et de poursuivre les discussions à la ferme, à la maison. Écouter directement les conseils des spécialistes a plus de portée que lorsqu’ils sont répétés. »
Jean-Philippe Arnaud confirme : « Beaucoup de paramètres sont à caler entre associés, au sein du couple a fortiori, de vraies problématiques d’organisation, de partage des responsabilités, des résultats, etc. se jouent entre ceux qui partent et ceux qui restent. »
Un départ mais tous les associés concernés.
« La maison d’habitation en est l’illustration parfaite, poursuit-il. J’entends encore un mari m’assurer vouloir vendre et sa femme, stupéfaite, répliquer : Oh non, je veux la garder ! » C’est pourquoi la chambre d’agriculture va proposer une formation spécifique sur le renouvellement d’associé.
Quant aux échanges entre participants, ils ont été « enrichissants ». « Nous n’étions que dix mais chaque ferme avait ses particularités, et chacun des attentes et un regard différent », se souvient Pascal, citant comme exemple : « Certains sont attachés à la valeur patrimoniale de l’exploitation, d’autres à sa valeur économique », détaille-t-il. Et de plaisanter : « Mais il y a toujours un fond d’argent dans l’histoire. »
Jean-Philippe Arnaud regrette cependant que les agriculteurs ne fassent pas davantage la démarche de se former, sur cette thématique en particulier. « Ils doutent à tort de ce que ça va réellement leur apporter alors qu’au final, la plupart sont satisfaits. » Alors le conseiller les incite à « oser sauter le pas ».
« Des projets pour avancer même à la retraite »
Prochaine étape : s’inscrire au RDI (répertoire départ installation) afin que « la ferme soit visible plus largement ». « Nous communiquons aussi un peu sur les réseaux sociaux », précisent les éleveurs. Ils ont déjà des projets pour après, « il faut en avoir pour avancer », pointe Anne : accompagner les successeurs s’ils le désirent, sinon « nous couperons le cordon avec l’entreprise » : « nous profiterons de tout le temps libre dont nous disposerons pour nous installer dans notre nouvelle maison et voyager en France et à l’étranger, chez nos amis notamment dispersés un peu partout. »
Couper le cordon avec la ferme.
Pascal et Anne semblent prêts à franchir le cap, ils font tout pour en tout cas, car parfois « on croit l’être, mais l’est-on vraiment ? », interroge l’agricultrice. « On peut être sûr de vouloir vendre mais malgré cette envie, lorsqu’un acheteur se présentera, notre position sera-t-elle toujours aussi ferme ? » Autant de questionnements qui illustrent la très grande part de psychologie dans les transmissions agricoles. « Anticiper, c’est mieux mais encore faut-il être prêt, rebondit Jean-Philippe Arnaud. Il est évident que l’anticipation permet davantage de satisfaire ses envies. »