Lutter contre l’épuisement professionnel des agriculteurs
TNC le 06/01/2025 à 17:54
Les facteurs responsables sont certes toujours là – manque de revenus et de main-d’œuvre, prix bas, charges élevées, toujours plus de normes et de formalités administratives, d’exigences et de critiques de la société, d’aléas climatiques, sanitaires, de marché… – mais si l’on essayait, cette année, de prendre davantage soin de soi ? Objectif pour les agriculteurs : lutter, et si possible prévenir, l’épuisement professionnel.
Pour cela, Benjamin Rolland propose une méthode en trois temps : 1- identifier les signaux d’alerte de l’épuisement en agriculture, 2- comprendre les mécanismes qui interviennent et 3- agir pour lutter, et prévenir, le burn-out.
Coach agricole, il a créé la société Objectif Terres d’avenir et accompagne les agriculteurs dans leur développement professionnel et personnel. Après de nombreuses années de conseil aux entreprises du secteur, il s’est formé à cette discipline et est membre d’AgriCoaching,réseau de promotion de ce type d’accompagnement dans ce domaine d’activité, et « les situations à forts enjeux humains ».
46 % des agriculteurs stressés, 34 % épuisés professionnellement
« Il existe peu de statistiques en la matière. Nous savons juste que ce phénomène est fréquent, et qu’il a encore progressé en 2024 : on estime que 46 % des exploitants agricoles connaissent un stress important, avec un risque d’épuisement professionnel pour 34 % d’entre eux », constate Benjamin Rolland. Or, les répercussions peuvent être lourdes, pour la personne elle-même bien sûr, moralement et physiquement.
De lourdes répercussions sur les personnes et l’exploitation.
Et pour l’exploitation, au niveau « technique », avec un impact possible sur les cultures et les animaux, en termes de production, sur le plan sanitaire, etc. , donc sur les « résultats économiques, la trésorerie », et potentiellement les relations humaines, entre associés, avec les salariés, la famille, dans le couple… « Il est plus facile de réagir avant d’en arriver à de telles conséquences », prévient-il. Trois phases se succèdent.
D’abord, la charge mentale augmente, entraînant « une saturation du cerveau : on a beaucoup de choses à faire et du mal à s’y retrouver dans toutes ces tâches ».
Un mécanisme en plusieurs phases
Elle génère du stress, c’est-à-dire « une réaction d’adaptation de l’organisme face à une menace ou un défi ». « Au départ positif, le stress engendre la production d’hormone qui permet de mobiliser fortement les ressources de l’organisme (cœur, muscles, cerveau). S’il se prolonge trop longtemps, il devient négatif car la production d’hormones (cortisol notamment) surstimule l’organisme, ce qui consomme beaucoup d’énergie, parfois jusqu’à l’épuisement. À ce stade, ce qu’il est important de comprendre, c’est qu’il devient difficile de s’en sortir seul car cela ne dépend plus de la volonté », détaille le coach.
Jusqu’à échapper à la volonté.
S’ensuit « une perte d’énergie et de motivation », source d’épuisement pouvant aller jusqu’au burn-out(état de fatigue et détresse intense, NDLR). Résultat : « une perception faussée de la réalité impactant les décisions, une baisse significative d’efficacité (déficit de concentration, dispersion), souvent sous-estimée, un risque d’usure élevé, pouvant mener à un cercle vicieux. » Les individus touchés sont dans une sorte de bulle, qui les isole des autres.
Quels facteurs de risque ?
Les facteurs de risque sont externes, inhérents à la profession (imprévus ou aléas météo, sanitaires, etc., contrôles, incertitudes économiques et financières conjoncturelles ou structurelles, à l’origine d’une surcharge de travail qui peut être également causée par un départ d’associé ou de salarié…) – Benjamin Rolland rappelle que ce n’est pas en général le métier d’agriculteur qui pose problème, mais ses conditions d’exercice – ou liées à la personne (maladie, divorce, décès d’un proche, tensions relationnelles au sein du couple, familiales, dans le collectif de travail…).
D’autres sont internes, certains profils étant plus sensibles que d’autres. « Ceux ayant besoin de tout maîtriser par exemple, précise Benjamin Rolland, et qui ont donc du mal à déléguer, les perfectionnistes et les passionnés, que rien n’arrête ! »
Les signaux d’alerte
Plusieurs signes sont à surveiller. Ils peuvent être physiques comme les troubles du sommeil (8 inscrits au webinaire « Prévenir l’épuisement professionnel en agriculture », organisé fin décembre par Benjamin Rolland, sur les 10 ayant répondu au questionnaire diffusé en amont, disent en souffrir), des raideurs et douleurs dans le dos, la nuque (80 % en seraient victimes), une perte d’énergie (80 %), des troubles de l’alimentation (20 %).
« Gare aux accidents ! », le secteur agricole étant déjà accidentogène, alerte le coach. Les signaux peuvent être également mentaux tels que des difficultés de concentration (60 %), à prendre des initiatives et à innover (40 %), des oublis, inattentions, erreurs inhabituelles. Voire émotionnels : motivation en berne (80 %), tensions relationnelles et irritations (60 %), sensation de « ne pas courir assez vite » (50 %), vulnérabilité au stress (20 %), découragement et vision négative (10 %).
Tendance au déni.
« Les interactions sociales risquent de se compliquer », pointe-t-il. Il met également en garde sur « les mécanismes de protection, comme le déni, qui empêchent de voir ce qu’il se passe. » Sur une échelle de 1 (en pleine forme) à 10 (complètement à bout), 60 % des répondants cités ci-dessus se situent au-delà de 5, et 100 % sont au-delà de 6 par rapport au niveau d’épuisement maximum atteint dans leur carrière.
Comment s’en sortir ?
Toujours dans cette enquête, les exploitants ont remonté plusieurs de leurs questionnements sur l’épuisement professionnel, dont certains sont éloquents : Comment m’organiser face à toutes les tâches à abattre en une journée sans stresser, et gérer ma charge mentale ? /Existe-t-il des outils techniques pour faciliter l’organisation du travail ? /Quels sont les leviers pour éviter de tomber bas sans changer de métier ? /Comment ne pas transmettre ces difficultés à ses enfants en même temps que l’exploitation ? (« on sent ici la notion de responsabilité », souligne Benjamin Rolland) /Comment m’en sortir ? Quel accompagnement puis-je solliciter, qui peut m’accompagner ?
D’abord, un travail sur soi.
Que faire justement ? Si des solutions peuvent être trouvées auprès de tiers (associés, salariés, clients, fournisseurs, prestataires…), ou de votre environnement social, économique, financier, etc., l’essentiel vient de soi. « Un changement de posture s’impose, pour passer du mode réactif de pompier, à proactif de chef d’entreprise-pilote, explique Benjamin Rolland, ce qui signifie être acteur et accepter de s’arrêter, pour prendre du repos et du recul pour être plus concentré et efficace. » Car « ce n’est pas la réalité qui va changer mais votre façon de réagir ».
D’une posture réactive à proactive
Il invite à « apprendre à évaluer régulièrement son niveau d’épuisement et son état général, et à respecter les fondamentaux : bien manger, dormir, se soigner, mais aussi veiller aux relations avec les autres », car celles-ci peuvent nous soutenir dans les moments difficiles. Il exhorte également à admettre qu’on ne peut pas tout faire, que seules les tâches indispensables doivent être réalisées, mais pour cela il faut suffisamment de recul.
Par conséquent, il faut les lister, les quantifier, prioriser, programmer, avec un suivi régulier pour ajuster si nécessaire. Tout visualiser est sécurisant : on sait ce qui est prioritaire, ce sur quoi se focaliser, ce qu’on ne fera pas ou plus tard. « Vous éprouverez alors la satisfaction d’avoir accompli ce que vous aviez prévu », fait remarquer Benjamin Rolland.
Reprendre son rôle de chef d’entreprise, refaire du pilotage stratégique.
Le coach spécialisé dans l’agriculture illustre ces propos par la citation d’un producteur de lait qu’il suit : « Ce n’est pas le travail qui vient à moi, mais moi qui vais au travail ». Ainsi, vous pourrez redonner toute sa place au pilotage stratégique, à l’analyse, à la recherche de correctifs, aux décisions, alors que le stress cantonne au travail proprement dit, aux aspects de production.
C’est capital dans l’environnement agricole, en évolution constante, qui nécessite d’adapter son système en permanence en fonction notamment des opportunités et menaces, et de ses propres ressources, dont « la main-d’œuvre souvent limitante ».
Recharger régulièrement ses batteries
D’où l’importance de recharger régulièrement ses batteries, particulièrement avant de gros chantiers, à travers une activité de relaxation, sportive, culturelle, associative, entre amis, peu importe. « Il faut savoir ce qui vous ressource », conseille Benjamin Rolland, évoquant là encore l’un de ses clients qui n’a « pas trouvé de remède, sauf le vélo ».
Il incite, par ailleurs, à « se protéger des sollicitations extérieures et de soi-même », en se mettant des limites horaires, physiques, psychiques. « Vous n’êtes pas superman, ni superwoman », plaisante-t-il, recommandant de surveiller, en outre, les addictions qui font perdre du temps et peuvent causer des soucis plus graves.
Admettre de ne pas tout faire, vous n’êtes ni superman ni superwoman !
Quelques participants au webinaire ont pris la parole pour témoigner. L’une d’eux, installée depuis 7 ans, s’attache à suivre au moins une formation par an pour résoudre un problème qu’elle a identifié. Elle a ainsi appris à mieux organiser son bureau physique et numérique, ce qui a bien allégé sa charge mentale et son stress. « L’environnement physique influe sur la santé mentale », insiste Benjamin Rolland. Une autre participante fait appel à un appui externe pour l’administratif et les ressources humaines.
Elle déplore cependant le rôle de certains services de l’administration agricole dans l’épuisement professionnel des agriculteurs : prompts à exiger démarches et documents, à faire respecter les normes et contrôler, ils sont lents à instruire les dossiers et apporter des réponses aux producteurs. « Deux poids deux mesures entre la performance qu’ils nous imposent et celle dont ils font preuve, argue-t-elle. Compliqué de prendre de la distance. »
Accepter de se faire aider
Alors que le stress, l’épuisement, favorisent généralement l’isolement, il faut au contraire informer vos proches, en particulier votre conjoint, vos parents, vos enfants, de ce que vous vivez. N’hésitez pas à aller chercher du soutien auprès d’eux, de vos collègues et en dehors : médecin généraliste, psychologue et/ou assistant social (de la MSA par exemple, qui propose entre autres l’aide au répit, une prise en charge du service de remplacement, plusieurs séances de psychothérapie), coach…
Vous n’y arrivez pas seul.
« Pas toujours évident d’accepter d’être soutenu, fait remarquer Benjamin Rolland, pourtant cela rebooste et souvent, vous ne pourrez pas y arriver seul. » Il encourage à identifier trois actions à mettre en place, et à initier la plus simple d’entre elles. Et plus globalement de chercher un projet à mener qui puisse redonner de la motivation, de la confiance et de l’estime de soi, mais aussi un équilibre au sein de son système d’exploitation, et de sa famille. Avant de conclure : « Pour que votre entreprise fonctionne bien, il s’agit d’abord que vous alliez bien. »
Source : webinaire « Prévenir l’épuisement professionnel en agriculture », organisé le 17 décembre 2024 par Benjamin Rolland, coach spécialisé en agriculture.