Dans le sol vivent des bioagresseurs, comment les contrer ?
Philippe VIAUX, membre de l'Académie d'Agriculture de France le 11/02/2025 à 10:00
Il faut surveiller attentivement les bioagresseurs liés au sol, car même s'ils sont peu pénalisants dans un premier temps, le développement de leur population peut s'amplifier rapidement au point d'interdire l'utilisation d'une parcelle pour certaines cultures. La rotation des cultures annuelles est la meilleure arme dont dispose l'agriculteur pour lutter contre les bioagresseurs telluriques. Pour les plantes pérennes (vigne, arboriculture), il faut espacer dans le temps les replantations. Le broyage des résidus de cultures (cannes de maïs, de tournesol, les feuilles en arboriculture), le ramassage et le compostage des feuilles (vigne, arboriculture) permettent de lutter contre la contamination lors de la nouvelle saison. En maraîchage, il est intéressant d'introduire tous les 4 ou 5 ans une culture de blé (ou d’autres graminées annuelles) pour rompre le cycle des parasites, car il a peu de bioagresseurs communs avec les légumières.
De nombreux organismes qui concourent à l’activité biologique des sols favorisent une bonne fertilité. Inversement, les bioagresseurs nuisent aux cultures et limitent fortement les rendements, ou même détruisent complètement les cultures ; ce fut le cas du phylloxera (un puceron ravageur se développant sur les racines), qui à partir de 1865 détruisit presque totalement le vignoble français. Dans un milieu naturel, le concept de bioagresseurs n’a pas lieu d’être, car un écosystème est en équilibre ; mais il y a peu d’écosystèmes naturels non anthropisés (même une prairie naturelle peut être largement détruite par des campagnols, faute de prédateurs). L’agriculteur, pour obtenir une récolte régulière et de bonne qualité, essaye de contrôler les bioagresseurs, d’autant qu’ils peuvent demeurer pendant de nombreuses années dans le sol.
Ces bio agresseurs peuvent être :
- les plantes adventices, d’abord présentes sous forme de graines qui, en se développant, vont concurrencer la culture par incidences sur la lumière, l’eau et les éléments minéraux ;
- les champignons, connus souvent pour leur présence sur les parties aériennes des plantes ; ils font une partie de leur cycle dans le sol et pour certains attaquent directement les racines ;
- les ravageurs que sont les animaux phytophages, de toutes tailles.
Maîtriser les adventices par des rotations et le travail du sol
Les plantes adventices concurrencent et donc obèrent le rendement des cultures. Leur développement dans les cultures peut être limité par des herbicides sélectifs et du désherbage mécanique (hersage, binage, etc.) ; le travail du sol en interculture (déchaumage, labour, faux semis) atténue aussi fortement les risques d’infestation. Mais ces actions ne sont jamais parfaites, car quelques adventices arrivent à produire des graines, qui génèreront un nouveau cycle de nuisances. La maîtrise des adventices est donc importante non seulement pour la culture en place, mais aussi pour les cultures suivantes.
Adventices annuelles. La durée de vie dans le sol des graines d’adventices annuelles est généralement assez longue, parfois supérieure à une dizaine d’années. Il faut donc être particulièrement vigilant sur les infestations d’espèces dont la durée de vie dans le sol est élevée.
Toutes les semences d’adventices ne donneront pas forcément une plantule : une quantité significative de graines enfouies disparaît par sénescence, par prédation ou parasitisme ; d’autres germeront mais n’iront pas au bout de leur cycle. Ainsi, en l’absence de réinfestation, on observe une diminution du stock de semences, appelé taux annuel de décroissance (TAD).
Une espèce à TAD élevé disparaîtra rapidement si elle ne produit pas de graines chaque année (par exemple le vulpin ou le ray-grass) ; dans ce cas, une succession culturale bien gérée et un bon désherbage mécanique peuvent rapidement conduire à une diminution du stock de semence. Les adventices à TAD élevé devront être traitées par un labour amenant l’enfouissement profond de leurs graines : perdant leur pouvoir germinatif la première année, elles ne pourront plus germer lorsqu’elles seront remontées en surface par un labour l’année suivante. A contrario, ces espèces se multiplient en technique de travail du sol simplifié.
Pour une espèce à TAD faible (matricaire, coquelicot, etc.), le stock semencier étant plus persistant, le travail du sol peut être moins important ; dans ce cas, on pourra jouer sur certains paramètres de la rotation.
Adventices vivaces. Les adventices vivaces, tels les chardons, chiendents, liserons, rumex, avoine à chapelet, etc., sont difficilement maîtrisables par la rotation : ces espèces se reproduisent à la fois par graines et par rhizomes (tiges souterraines) ou par d’autres organes de multiplication végétative ; difficiles à détruire, elles peuvent pénaliser fortement le rendement des cultures.Pour les maîtriser, on aura recours à du labour et/ou au passage d’outils à dents en période sèche (en général en été ou en automne). Dans certains cas, les herbicides sélectifs (pour action dans les cultures) ou les herbicides totaux (en interculture) se révèlent indispensables. Cette pratique est justifiée, car le passage répété d’outils mécaniques est coûteux en énergie, et donc en émissions de gaz à effet de serre. Le travail du sol trop fréquent a par ailleurs pour effet de perturber la vie des organismes du sol (entre autres les vers de terre, les mycorhizes, etc.) et dégrade sa structure.
Maîtriser les maladies cryptogamiques
Les champignons, aussi bien bénéfiques (mycorhizes) que pathogènes, sont très présents dans les sols, aussi, répéter une même culture dans une parcelle conduit au développement de maladies cryptogamiques. De nombreux champignons pathogènes des parties aériennes des plantes font une partie de leur cycle dans le sol et sont, de ce fait, des sources de contamination pour la saison suivante (cas du sclérotinia, champignon parasite du colza et du tournesol). Dans le cas de cultures pérennes, les feuilles contaminées par les champignons pathogènes tombant à l’automne, les champignons passent l’hiver au sol et sur les déchets végétaux, car les mycéliums restent à l’intérieur des feuilles ; d’où l’intérêt de broyer les feuilles à l’automne dans les vergers, et/ou de les ramasser et les composter (par exemple, pour limiter la tavelure). Pour les cultures annuelles, leur diversification (donc l’allongement des rotations) est une des méthodes les plus efficaces. Pour limiter les pathogènes, il faut éviter de revenir avec la même culture trop fréquemment sur la même parcelle, et le délai de retour peut être particulièrement long : ainsi dans une parcelle affectée par aphanomyces (champignon pathogène provoquant la pourriture des racines du pois), on conseille un délai d’au moins 6 ans pour les pois. De plus, certaines maladies peuvent être hébergées par plusieurs cultures d’une même famille, et même par des cultures de famille différentes (cas du sclérotinia) ; dans ce dernier cas, l’allongement des rotations a peu d’efficacité. Dans certaines exploitations maraîchères, on peut être amené à cultiver beaucoup d’espèces d’une même famille (beaucoup de crucifères, divers choux) ; dans ce cas, il ne faut pas hésiter à introduire dans la rotation du blé ou une autre céréale pour rompre le cycle des maladies. Il faut noter aussi que certains engrais verts (plantes de service) et certaines adventices peuvent aussi favoriser les maladies ou les ravageurs liés au sol. En général, il ne faut pas que la culture qui suit un engrais vert soit de la même famille.
Un exemple de maladie cryptogamique dont la lutte est particulièrement difficile : le sclérotinia:
Le sclérotinia se développe aussi bien sur du colza, du tournesol, du soja ou des pois, ce qui rend difficile la lutte agronomique par la rotation, et justifie d’utiliser d’autres méthodes de luttes : chimique ou biologique). Cette maladie – qui fait une partie de son cycle dans le sol – est préjudi-ciable au colza et au tournesol, car elle détruit les tissus de la tige. La partie supérieure et les fleurs n’étant plus alimentées en eau et éléments minéraux, elle se dessèche et les graines restent petites. Certaines années humides, ce pathogène peut occasionner jusqu’à 30 % de perte de rendement. La lutte contre ce champignon est restée jusqu’ici essentiellement chimique (traitement des parties aériennes), et la résistance du sclérotinia aux fongicides est régulièrement signalée depuis 1994.
Depuis 2001, il existe une méthode de lutte biologique à base du champignon Coniothyrium minitans ; cette lutte est essentiellement préventive, car elle vise à détruire les sclérotes, un organe de conservation dans le sol du mycélium de sclérotinia. Un sclérote mesure entre 2 et 20 mm de long sur 3 à 7 mm de large Il germe au printemps dans les premiers centimètres de sol, pour donner du mycélium et former des apothécies. À maturité, chaque apothécie libère en quelques jours plusieurs millions d’ascospores qui, véhiculées par le vent, atteignent tous les étages foliaires des plantes de la parcelle et des parcelles voisines. La germination des ascospores donne un mycélium qui forme un duvet blanc à la surface des feuilles. Pour le colza, ses siliques deviennent blanches et se dessèchent. Pour le tournesol, à la floraison, le champignon colonise le dos du capitule, puis la fleur, qu’il détruit entièrement. Les sclérotes apparaissent dans les tiges (de colza, de tournesol, etc.) puis tombent au sol au moment de la récolte, pouvant persister dans le sol de 6 à 10 ans avant de germer.
Maîtriser les ravageurs du sol
Le sol recèle une faune très abondante et très diverse. Nous avons vu (voir publication de l’Académie d’Agriculture de France : fiche 01.08.Q05 : Le sol agricole : un milieu vivant) que la majorité des espèces joue un rôle bénéfique dans le sol, mais certaines sont des ravageurs qui font non seulement baisser les rendements mais peuvent aussi déprécier la qualité des récoltes ; c’est en particulier le cas des cultures légumières (pomme de terre, carottes, etc.). On rencontre dans le sol un grand nombre d’espèces ravageuses : limaces, larves de taupins et de tipules, nématodes, etc. ; certaines transmettent des virus aux cultures. Contre ces ravageurs, les luttes chimique ou biologique sont parfois limitées. Les méthodes agronomiques peuvent avoir une certaine efficacité, mais, inversement, certaines pratiques culturales comme la simplification du travail du sol peuvent favoriser certains ravageurs : l’augmentation de l’activité biologique observée en technique simplifiée concerne aussi des espèces qui peuvent se révéler nuisibles, comme les campagnols. On constate aussi, au moment des implantations, des problèmes de limaces (sur toutes cultures), de thrips et de sitones sur pois (les larves de sitones se développent dans les nodosités des légumineuses comme les pois et les féveroles), etc
Lutter contre les nématodes phytophages
Les nématodes sont très présents dans les sols agricoles, certains sont même utilisés dans la lutte biologique. Mais ce sont parfois des ravageurs qui causent d’importants dégâts, directs en piquant les racines et indirects en servant de vecteurs à des viroses (comme sur les betteraves). La lutte chimique est impossible en grandes cultures, en maraîchage et même en vigne, les produits chimiques s’étant révélés très toxiques pour l’ensemble de la faune du sol.
En culture de betteraves. Dans le sol, les adultes de nématodes (Heterodera schachtii) produisent des oeufs regroupés dans des kystes qui se conservent dans le sol durant 5 à 6 ans. L’éclosion des oeufs a lieu dans les kystes, les larves font plusieurs mues dans le sol puis pénètrent dans les radicelles de betterave grâce à leur stylet. Dans la plante, les sécrétions salivaires du parasite provoquent le développement de cellules géantes qui entravent la circulation de la sève et provoquent la mort des radicelles. La plante réagit alors en formant de nouvelles radicelles, donnant naissance à un chevelu dense.
Certains engrais verts permettent de faire baisser fortement les populations de nématodes parasites, selon le mécanisme suivant : les racines de ces engrais exsudant une substance stimulant l’éclosion des oeufs, les nématodes se développent dans l’engrais vert mais deviennent incapables de se reproduire car ces engrais sont détruits avant la formation des kystes. Comme toujours, on peut jouer sur la rotation en ayant un délai de retour de la betterave supérieur à 4 ans, et en évitant les cultures hôtes comme le colza.
Il existe des variétés de betterave tolérantes aux nématodes.
En cultures légumières. Les tomates ou piments sont sensibles aux nématodes à galles (du genre Meloidogyne). Pour les préserver, on fait appel à certaines variétés (comme le sorgho fourrager Piper) qui révèlent un puissant effet nématicide : les nématodes étant attirés dans leurs racines, on détruit la plante trois semaines après l’implantation, puis on enfouit les résidus. Ainsi, les nématodes ne peuvent accomplir leur cycle, ce qui entraîne une forte diminution de leur population dans le sol, protégeant ainsi des cultures de tomates ou de piments.
Lutte contre le court-noué de la vigne. Pour lutter contre les nématodes Xiphinema index vecteurs du virus GLFV (Grapevine fanleaf virus), la seule solution consiste à arracher la vigne puis en replanter une nouvelle après six ans minimum puisque ces nématodes sont capables de survivre dans le sol quatre ans après l’arrachage.
Pour raccourcir, le choix de porte-greffe tolérant est possible, toutefois il est néanmoins conseillé d’utiliser des crucifères efficaces contre les nématodes avant la replantation.
Une rotation longue et diversifiée pour contrôler les bioagresseurs telluriques
Nous avons déjà vu dans les fiches 01.08.Q02 et 01.08.Q03 La matière organique, son rôle élément essentiel de la fertilité, ainsi que dans la fiche 01.08.Q06 Interactions sol-plante (l’ensemble de ces fiches ont été publiées par l’Académie d’Agriculture de France), l’importance de la rotation pour maintenir ou améliorer la fertilité : bien étudiée, elle permet de limiter au maximum les bioagresseurs, en particulier ceux liés au sol. Toutefois, il n’est pas toujours facile de mettre en place une rotation parfaite du point de vue agronomique, car :
- des impératifs économiques peuvent limiter la commercialisation de certains produits agricoles ;
- le nombre de critères agronomiques à prendre en compte est important, et il n’est pas toujours possible de tenir compte de tous.
Une autre solution consiste à faire des mélanges d’espèces ou de variétés, aussi bien en culture annuelle qu’en arboriculture. Ces mélanges se heurtent cependant souvent à des problèmes de mise en oeuvre en particulier à la récolte) tant pour les grandes cultures que pour le maraîchage. Enfin, les engrais verts (les plantes de services) doivent être choisis en fonction de la culture suivante, pour limiter ou empêcher la propagation des bioagresseurs.
Une solution d’avenir : la lutte biologique (biocontrôle) contre les bioagresseurs telluriques
Jusqu’à présent, la lutte contre les bioagresseurs a utilisé majoritairement des produits phytosanitaires (traitements de semences par exemple). Mais comme pour de nombreux bioagresseurs, il n’existe aucune solution chimique, on a imaginé depuis les années 1960 de se tourner vers le biocontrôle, qui s’inspire d’observations faites dans la nature et fait appel à des agents vivants ou issus du vivant. Ces produits de biocontrôle sont aujourd’hui largement commercialisés, même s’ils sont loin de pouvoir répondre à tous les défis des bioagresseurs. Mais la lutte biologique (au sens large) peut aussi faire appel à des méthodes sans recours à des organismes vivants : rotations adaptées, désherbage mécanique ou utilisation de plantes de service à visée de protection des cultures. La recherche variétale fournit par ailleurs, déjà, des solutions efficaces. Ce sont des combinaisons de toutes les méthodes (y compris la lutte chimique) qui apportent le meilleur résultat. Pour la filière légumière, maîtriser les populations de bioagresseurs telluriques sans produits phytosanitaires est crucial face à la forte demande sociétale, aussi cette filière est une des premières à chercher des alternatives aux intrants de synthèse pour mieux gérer ces bioagresseurs. La diversité des conditions de cultures (plein champ/abris et sol/hors-sol) et la grande diversité des espèces cultivées justifient l’intense activité de recherche dans ce domaine.
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