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L. Joiris a fait le choix de l’agriculture de conservation des sols en 2002


TNC le 16/01/2025 à 12:44
LudovicJoiris

(© Ver de Terre Production/Youtube)

Installé dans l'Essonne, Ludovic Joiris s'est tourné vers l'agriculture de conservation des sols depuis 2002. À l'occasion de la dernière journée technique Lucien Seguy, il explique l'évolution de ses pratiques et son projet de transformation d'huile de lin.

Ludovic Joiris est arrivé sur l’exploitation familiale en 1999. Son père avait déjà fait le choix en 1992 d’arrêter le labour, en lien avec la réforme de la Pac et des craintes sur les subventions, ainsi que des soucis de main d’œuvre. Faisant place à des techniques culturales simplifiées, avec un travail sur 5 cm de profondeur et sans autre changement de pratiques (rotation : blé, orge, colza et parfois des pois, sans couverts végétaux).

Mais, après les hivers très pluvieux 2001-2002, Ludovic Joiris se retrouve face à un dilemme. « L’eau ne s’infiltrait plus correctement dans nos sols, plusieurs parcelles de blé ont dû être resemées, explique-t-il. On s’est alors demandé : est-ce qu’il faut revenir au travail du sol avec labour ou est-ce qu’on supprime complètement le travail du sol et on implante des couverts végétaux à la place ? ».

L’agriculteur a pris la deuxième option : « déjà équipé d’un semoir de semis direct (John Deere 750 A de 3 m), on est passé en agriculture de conservation des sols (ACS) avec des couverts et un allongement de la rotation. Elle se décline aujourd’hui ainsi : lin oléagineux/colza/blé/légumineuses (féveroles, pois ou trèfle)/blé ».

Ludovic Joiris détaille : « entre le lin et le colza, il n’y a pas de couvert, le colza est semé juste derrière la récolte de lin. Il a l’avantage d’être non appétent pour les limaces. Le colza se développe bien et il n’y a pas de faim d’azote ». L’agriculteur associe au colza des plantes compagnes (trèfle blanc nain, féverole, tournesol et repousses de lin). Entre le blé et la légumineuse, c’est un couvert composé de féverole, pois, phacélie, tournesol, avoine rude ou seigle qui est semé. Ensuite, l’interculture entre la légumineuse et le blé suivant reste sur la même base sauf pour l’avoine rude ou le seigle, remplacé par de la navette. Idem entre le blé et le lin (dans le cas du lin de printemps) ».

Avec ces pratiques, « le sol a retrouvé une porosité verticale, on observe moins de problèmes d’infiltration de l’eau, même si on a eu tout de même quelques difficultés au semis l’an dernier compte-tenu du contexte fortement pluvieux ».

Au niveau des indicateurs, « le taux de matière organique est passé de 1,7 à 2,5-3 % dans un secteur sans élevage, et encore les couverts sont moins luxuriants depuis quelques années que ce qu’on a eu avant », indique Ludovic Joiris. Il compte aussi 110 à 220 vers de terre/m², une moyenne de 35 l/ha de carburant utilisé et environ 1h30 de main d’œuvre/ha.

Du côté de l’utilisation de produit phytos, « on est dans la moyenne régionale pour la partie herbicide. En ce qui concerne l’IFT hors herbicides, c’est plus facile de réduire (- 60 %) grâce aux mélanges variétaux, plantes compagnes, etc. On n’utilise pas de régulateur de croissance hormis pour le lin d’hiver ».

« Concernant le matériel, on a toujours un semoir 750 A, en 6 m désormais. Avant, je semais les couverts avec un semoir engrais à rampes (24 m) avant récolte, ça fonctionnait bien mais on a eu des problèmes de campagnols. J’ai voulu tester le mélilot comme anticoagulant naturel pour les campagnols. Le coût de la semence étant assez élevé, j’ai préféré l’implanter avec un semoir à dents Amazone Primera, trouvé d’occasion. Et finalement, ce n’est pas forcément le mélilot qui a joué contre les rongeurs, mais plutôt le passage de la dent pour casser leurs passages préférentiels en surface, ça les perturbe. Depuis on n’a pas de moins problème et je prends soin aussi de broyer les cannes de colza. »

« Ainsi, je garde le semoir Primera pour les semis de couverts dans les pailles, ainsi que les cultures jusqu’au mois d’octobre et tout le reste est fait au 750A. C’est bien de jongler avec les 2 quand on peut. »

L’agriculteur n’utilise pas de herse à paille. « Avec 75 % de limon, j’ai peur de créer trop de terre fine en surface », explique-t-il. Mais un producteur présent lors de la journée technique Lucien Seguy et installé dans un contexte assez similiaire, se dit, lui, très satisfait de l’outil pour limiter les soucis de limaces et de campagnols. Il peut y avoir recours une à deux fois avant de semer les couverts.

Aller chercher de la valeur ajoutée

L’exploitation est désormais labellisée « Au cœur des sols ». C’est le passage en ACS qui a aussi motivé son projet de transformation d’huile de lin en 2009 (Huilerie de l’Orme Creux). « Je voulais jouer sur l’agronomie et réduire les charges avec l’ACS. Après j’avais conscience que pour augmenter les produits, il fallait aussi aller chercher de la valeur ajoutée. Parmi les différentes cultures testées dans l’assolement, le lin oléagineux fait partie de celles qui s’en sortaient le mieux dès le début de la transition. »

L’agriculteur a alors démarré avec une presse à huile achetée en commun avec d’autres collègues, à la base pour l’huile de colza. Il triture aujourd’hui entre 250 et 300 t de lin par an, ce qui représente 100 t d’huile, en première pression à froid. « Sur l’exploitation, avec 50 ha de lin oléagineux, je peux produire de 75 à 100 t de lin chaque année et j’en achète à l’extérieur pour compléter. » Le producteur cultive lin d’hiver et lin de printemps afin d’avoir les propriétés des deux espèces.

Les débouchés sont assez diversifiés : Ludovic Joiris commercialise de l’huile de lin technique pour traiter les bois et les carrelages par exemple, mais aussi du savon noir ménager et une gamme d’huiles riches en oméga 3 (lin, chanvre, cameline, colza, tournesol). Ces deux dernières utilisations restent toutefois assez anecdotiques, la majeure partie des ventes concerne l’huile technique auprès d’entreprises diverses comme matière première. Les tourteaux de lin trouvent également un débouché, pour l’alimentation animale. « C’est d’ailleurs ce qui est le plus simple à vendre », souligne l’agriculteur.

S’il ne regrette pas son choix et témoigne d’un projet très motivant, « c’est aussi très prenant. Il ne faut pas négliger le temps passé pour la commercialisation », ajoute-t-il.