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« Faut oser s’installer, sans avoir été salarié sur l’élevage »


TNC le 31/01/2025 à 05:28
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« Le système, basé sur l'herbe et le pâturage, m'a tout de suite plu », met en avant Arnaud Savary. (© TNC)

Arnaud Savary a été salarié cinq ans sur la ferme où il s’est installé en octobre 2024, dans le Calvados. Une période que l’ingénieur, sans élevage dans sa famille proche, a mise à profit pour renforcer ses compétences terrain et bien connaître l’exploitation qu’il allait reprendre jusqu’à chaque parcelle, ou chiffres techniques et économiques. Une sécurité qui l’a décidé à se lancer.

Même si ses grands-parents avaient quelques vaches allaitantes, Arnaud Savary se sent plus comme un Nima (non issu du monde agricole), n’allant chez eux que pendant les vacances, ou chez un voisin pour les foins, la moisson, l’ensilage. Les échanges avec son père, prof en lycée agricole, ont entretenu le lien avec ce secteur d’activité, qui l’intéresse. Après son bac S, il s’oriente vers des études d’ingénieur en agriculture à l’Esitpa de Rouen, spécialité productions animales.

« En école d’ingé, on apprend à réfléchir plus qu’à traire »

Pour être certain de son choix, et acquérir la technique qui lui manque – « l’école d’ingé nous apprend plus à réfléchir qu’à traire ou lire un planning repro » –, il réalise autant que possible ses stages en exploitations: en élevage bovin lait, basé sur l’herbe, en conversion bio avec un projet de transformation la première année, en production céréalière, porcine et bovin viande la troisième, puis la quatrième en céréales à la ferme expérimentale de la Blanche Maison, où il trayait le week-end, et dont le système herbager l’a convaincu. Son diplôme en poche, il en est sûr, il veut en faire son métier.

Le choix, d’abord, du salariat

À ce moment-là, il envisage de devenirsalarié agricole, pas agriculteur. Du moins pas dans l’immédiat… Il contacte l’Association nationale pour l’emploi et la formation en agriculture de son département, le Calvados, dont l’une des missions est de mettre en relation les personnes désirant travailler dans ce domaine avec des employeurs recherchant de la main-d’œuvre, selon les critères définis par chacun. Soit pour Arnaud : « des vaches laitières, du pâturageet un travail sur la génétique, sans trop s’éloigner de Caen » où il pratique la musique.

Dès notre rencontre, nous faisions le tour des parcelles.

L’Anefa lui propose deux structures. L’une d’elles, l’EARL du Val Hébert au Val d’Arry, répond rapidement et organise une porte ouverte. Arnaud postule et participe à cette journée. Il y rencontre Philippe Marie, le chef d’exploitation. « On a beaucoup échangé, ça a tout de suite matché », se souvient-il. Et d’enchaîner : « Le lendemain, nous faisions le tour de ses parcelles et c’était parti ! ». L’élevage lui a tout de suite plu. D’abord en association avec un couple, Philippe Marie élevait des Prim’holsteins en conventionnel et alimentation maïs ensilage/céréales.

Ses critères : vaches laitières, pâturage, génétique

En 2008, au décès du mari et départ de sa femme, il se retrouve seul aux manettes. Un déclic. Il se lance dans l’agriculture de conservation des sols, arrête le labour et implante des couverts végétaux. En 2015, il se convertit au bio. « La structure s’y prête, relate le jeune homme. Sur 196 ha, 80 ha d’un seul tenant autour du corps de ferme, dont 60 ha pouvant repasser en prairies. » Philippe Marie augmente le troupeau pour continuer de produire 780 000 l, la référence laitière de l’époque, avec des animaux qui ne sont plus qu’à 6 000.

Le cheptel passe à 145 VL (130 à la traite), et le niveau d’étable entre 690 000 et 720 000 l en fonction des années. Le lait est livré à la laiterie Les 2 Vaches, filiale de Danone, près de Bayeux, où il est transformé en yaourts. Depuis la conversion, les vêlages sont groupés sur deux périodes de 2,5 mois, de février à début avril et de septembre à mi-novembre.

Sans ferme familiale, Arnaud attendait « la bonne opportunité ». (© Terre-net Média)

« L’objectif est de faire vêler 55 à 60 % du cheptel au printemps pour se caler sur la pousse naturelle de l’herbe et limiter les interventions sur les pâtures », explique Arnaud. Ici, le pâturage (10,5 mois sur l’année si les sols sont portants) est tournant dynamique sur 65-70 ha : 2 jours maximum par paddock de 2,20 ha, selon la pousse de l’herbe là encore. Auparavant plutôt vers 27-28 mois, l’âge au premier vêlage est descendu à 24 mois. Depuis deux ans, l’exploitation dispose d’une quinzaine de vaches nourrices.

Embauché, avec l’idée de lui transmettre la ferme

Le projet d’être éleveur et de s’installer en production bovine laitière trotte malgré tout dans la tête d’Arnaud depuis un moment. Sans ferme familiale, il attend « la bonne opportunité ». Et ne s’en « est jamais caché auprès de Philippe Marie, sans trop s’avancer non plus » si, finalement, ça ne fonctionne pas entre eux ou si la ferme ne lui convient pas. À son embauche en octobre 2019, son patron était en société depuis six ans avec Lénaïc qui, préférant un statut proche du salariat, ne détenait que 10 % des parts sociales.

Philippe a construit un modèle viable et durable.

Âgé alors de 54 ans (Lénaïc, lui, en avait 40), il commençait à songer à la transmission de l’élevage laitier. « Marqué par la mort de son ancien associé, il ne voulait pas qu’il disparaisse » et a embauché un salarié avec l’idée de lui transmettre l’exploitation, Lenaïc ne souhaitant pas prendre trop de responsabilités. « Il avait peur ne pas y parvenir, alors il a construit un système viable, durable, qui tient la route, et a suivi plusieurs formations spécifiques sur la cession, pour que celle-ci se passe au mieux, que ce soit confortable » pour le cédant comme le repreneur.

Parfaire ses compétences, s’approprier les résultats technico-économiques

L’important : « ne pas se précipiter, alors on a travaillé deux ans ensemble sans y penser. » L’objectif pour Arnaud : consolider le plus possible ses connaissances et compétences, agricoles en général et sur la ferme en particulier. « Lénaïc, bon pédagogue et qui gère la partie élevage, du planning d’insémination au tarissement, m’a formé sur le troupeau. » Quant à Philippe, en charge de l’alimentation et des productions végétales (il participe cependant au choix des taureaux de croisement pour les inséminations), il lui a vite fait confiance pour élaborer, à deux, les assolements avec des cultures qui lui plaisaient.

Dès le début, je me suis dit intéressé, sans trop m’avancer.

Jusqu’à analyser, ensemble, les résultats techniques et même économiques, avec le conseiller de gestion. « Cela m’a permis de connaître chaque parcelle, celles étant plus faciles à travailler que d’autres, la structure du sol, etc. Et de savoir lire les chiffres, le plus difficile sans doute, même si ma formation m’y a bien préparé. Techniquement comme économiquement, j’ai pu poser ouvertement toutes les questions que j’avais en tête », met en avant Arnaud qui conseille de « tout regarder en détail et de vérifier que rien n’a été caché ».

On a travaillé ensemble sans y penser.

Avant d’ajouter : « S’installer sur un élevage, sans y avoir fait ses armes avant, même lors d’un court stage de parrainage, je ne sais pas si j’aurais osé. » Niveau gestion d’entreprise, il souligne l’intérêt du nouveau dispositif Certicréa des chambres d’agriculture (1), qui aide à mieux appréhender et maîtriser les données essentielles dans un domaine, devenant à la fois de plus en plus complexe et capital. Les investissements, en particulier, doivent « être maîtrisés », juge-t-il, recommandant de « ne pas dépasser 55 pour le ratio annuités sur investissements ».

(1) Davantage axé sur l’entrepreneuriat, il permet de chiffrer, analyser, présenter/argumenter son projet, avant sa finalisation.

Le jeune éleveur veut faire perdurer ce modèle herbager et pâturant, en visant 170 000 à 180 000 € d’EBE. (© Terre-net Média)

Étape suivante : s’associer avec le cédant

Il invite également à prendre en compte, dès le début, les comptes courants associés, c’est-à-dire à « prévoir dans la trésorerie qu’il faudra les payer », ici au départ de Philippe. Quant à l’EBE, le futur installé en bovins lait vise 170 000-180 000 € (20 000 à 30 000 € de plus qu’actuellement). Avec 24 000 €/an de prélèvements privés, l’équivalent de ce qu’il gagne aujourd’hui en tant que salarié. « Les premières années, il ne faut pas être trop gourmand. On verra ensuite », estime-t-il.

Connaître chaque parcelle et chaque chiffre.

Lorsque nous étions allés, en juillet dernier, à la rencontre du futur éleveur, il était en train de finaliser son parcours d’installation agricole, les démarches administratives notamment, auprès de la MSA, pour la Pac, les dossiers d’aides à l’investissement et « Normandie Démarrage Installation » (ex DJA, dotation jeune agriculteur), les autorisations d’exploiter, le choix du statut juridique… pour être chef d’exploitation au 1er octobre 2024, cinq ans après son arrivée au sein de la structure.

La méthode OPR pour mieux se comprendre

Dans un premier temps, il s’associe à Philippe, pour une transition progressive, et Lénaïc en vue d’une association, par la suite, à 50-50 avec ce dernier, prêt désormais à s’engager davantage. Pour garantir le bon fonctionnement de cette société entre tiers, en termes de relations humaines entre autres, les futurs membres ont appliqué la méthode OPR (optimisation du potentiel relationnel), encadrés par leur centre de gestion.

Qu’une société entre 3 tiers fonctionne.

« Elle analyse le caractère de chacun, comment nous fonctionnons, ce qui nous importe dans le travail, pour qu’on puisse se comprendre, soi-même et entre nous, et communiquer plus facilement », explique Arnaud. « Lénaïc aime planifier, Philippe quand il a une idée, il fonce, et moi, j’ai besoin de temps, de compiler des infos, avant d’agir. En avoir conscience évite de se braquer. Nous essayons d’adapter notre comportement et façon de nous exprimer en conséquence. »

Mettre un peu plus cher pour des bâtiments et matériels en bon état.

Le jeune éleveur met en garde sur un point important, le foncier, « outil de travail » indispensable. Il incite à « faire le tour des propriétaires pour s’assurer qu’il n’y a pas de problème ». Autre conseil : attention à l’état des bâtiments, quitte à mettre un peu plus cher pour qu’ils soient en bon état, de même que le matériel. « Sinon, on risque de mauvaises surprises », prévient-il. Autrement dit : des investissements substantiels non prévus dès les premiers mois d’installation.

Miser sur la main-d’œuvre plutôt que le matériel

Côté équipements justement, les exploitants ont une stratégie plutôt économique, avec pour priorité l’élevage et parce qu’ils ne peuvent pas stocker beaucoup de machines. Ainsi, ils prévoient une rallonge à la stabulation pour regrouper les animaux, le logement des petits veaux étant ancien, exigu, peu pratique. En projet également : la réfection des silos de stockage d’ensilage de maïs et d’herbe. Et, plus tard, de la salle de traite, les griffes ayant été changées en 2019.

Diversifier les compétences et visions.

« Investir dans des tracteurs n’est pas, pour nous, prioritaire », appuie Arnaud. Les producteurs préfèrent miser sur la main-d’œuvre – 3 UTH (Arnaud et Lénaïc envisagent le salariat pour remplacer Philippe), plus 2 apprentis et des stagiaires – ce qui « favorise les échanges, et diversifie les compétences et visions des choses ». L’organisation est aussi moins contraignante avec, par exemple, un week-end d’astreinte sur trois, les heures effectuées étant récupérées.

Investir dans l’élevage plutôt que dans des tracteurs.

Arnaud table sur trois semaines de congés annuels : deux l’été et une l’hiver. « Le tout est de planifier et d’anticiper », souligne-t-il. Les producteurs tiennent un planning par trimestre, listent les tâches à réaliser et se réunissent tous les 15-21 jours. En cas de besoin, ils font appel au service de remplacement ou au groupement d’employeurs. Et si on demande au jeune agriculteur depuis quelques mois, quel est son cap principal à court ou plus long terme, il répond : « faire perdurer ce système herbager et pâturant ».

L’exploitation en quelques chiffres
UTH : 3 associés + 2 apprentis
SAU : 196 ha (15 ha de maïs, 20 ha de méteil/mélange céréalier, 10 ha de trèfle/luzerne, 35 ha de prairies permanentes, le reste en temporaires, pour être le plus autonome possible sur l’alimentation du troupeau).
Cheptel : 145 VL (130 à la traite).
Référence laitière : 780 000 l (en bio).
Production : entre 690 000 et 720 000 l/an (6 000 l/VL ; TB : 40 ; TP : 32,5).
Salle de traite : 2 x 12 (2h/traite à 2).
Logement : logettes (140 places).
Matériel : 2 tracteurs, 1 benne + 1 plateau, 1 télescopique, 1 godet désileur, 1 faucheuse, 1 faneuse, 1 andaineur (pressage, épandage de fumier et lisier, ensilage par plusieurs ETA pour plus de souplesse, entraide avec un voisin des semis à la moisson).
EBE : 150 000 € ; objectif : 170 000 à 180 000 € ;
et côté rémunération pour Arnaud : 24 000 €/an au début.