Le bio en perte de vitesse : pause temporaire ou coup d’arrêt ?
TNC le 04/02/2025 à 05:45
Après des années de folle croissance, les productions animales en agriculture biologique sont freinées dans leur élan. Faut-il y voir une tendance de fond ? Pour l’économiste Vincent Chatellier, la baisse de la consommation est à prendre avec recul : l’essor du bio a été considérable sur les vingt dernières années. Mais tout n’est pas pour autant acquis. Pas question de se reposer sur ses lauriers, la production sous label ne doit cesser de séduire le consommateur.
En 2023, le marché du bio a marqué une première inflexion après 20 années de croissance. Plafond de verre, ou conséquence de l’inflation ? Difficile de savoir qui blâmer. Ingénieur de recherche à l’Inrae, Vincent Chatellier nous invite à prendre un peu de recul sur ce récent décrochage.
« Le bio nous a accoutumés à une croissance de 10 % par an. Ça s’est arrêté », tranche l’économiste à l’occasion d’un webinaire organisé par l’association française de zootechnique. La dégringolade n’est pas pour autant catastrophique. « En valeur, le bio représentait 6 % des produits alimentaires consommés par les Français en 2022, nous tournons autour des 5,6 % en 2023. »
Un important recul des abattages en bio
Mais le label AB cache de grandes disparités. Le bio reste majoritairement porté par l’épicerie et les fruits et légumes. La part de produits animaux est plus modeste, tirée par les productions d’œufs et de produits laitiers. Or les ventes de produits animaux bio n’ont pas attendu 2023 pour infléchir.
Des premiers signaux de baisse ont été enregistrés dès 2021. « En valeur, les ventes de produits animaux bio ont diminué de 11,4 % entre 2020 et 2023 », précise Vincent Chatellier. Les abattages d’animaux bio affichent une baisse de 6 % entre 2021 et 2022, et de 16 % entre 2022 et 2023.
La filière laitière bio en phase de stabilisation
Du côté de la production laitière, l’heure semble à la stabilisation. « Nous sommes revenus en 2023 à un niveau de consommation à peu près équivalent à celui de 2017 », explique Guillaume Martin, chargé de recherche à l’Inrae. Mais la baisse de la consommation est peu à peu compensée par la baisse de la collecte.
« Nous voyons depuis 2023 une diminution des excédents de production, ce qui laisse entrevoir un meilleur équilibre entre production et consommation », poursuit le scientifique. Un contexte qui permet d’espérer une embellie du prix du lait bio. Et pour cause : « Actuellement, nous avons un écart glissant entre le prix du lait bio et conventionnel de 56 €. Il était de 120 € avant la crise. »
Difficile pour autant d’imaginer d’importantes conquêtes à court terme. « Le Green Deal espérait monter à 25 % de la SAU européenne en agriculture biologique d’ici 2030. Nous sommes autour des 10 % et peu imaginent qu’on puisse aller au-delà », présume Vincent Chatellier. La difficulté à atteindre les 20 % de produits bio dans la restauration scolaire montre bien que les souhaits des pouvoirs publics ne peuvent pas tout, rattrapés par les actes d’achat individuels du consommateur. Et la conjoncture économique n’aide pas.
Le bio a encore des cartes en main
Mais le bio a tout de même encore quelques cartes en main. Assez paradoxalement, l’inflation a contribué à restreindre l’écart de prix entre bio et conventionnel, le rendant proportionnellement plus abordable. Compter 7,7 % d’inflation sur les produits AB contre 11,8 % en conventionnel en 2023.
Les fermes sous label AB ont d’ailleurs mieux supporté l’inflation que les exploitations en conventionnel. « Sur la période, l’Ipampa (indice de coût de production en filière laitière) a augmenté de 30 %. Si l’on prend un coût de production à 700 € en bio en 2019, il devrait être actuellement autour des 910 €. Les éleveurs se situent plutôt autour de 790 € », constate Guillaume Martin. Preuve en est que l’élevage bio bénéficie d’une certaine résilience. « Cela permet de bien roder les systèmes, mais il faut avoir à l’esprit que les mages de manœuvre se contractent également ».
L’enjeu est de séduire les jeunes ménages.
Tout l’enjeu est donc de séduire, encore et toujours, le consommateur. « Des arguments qui faisaient sens il y a dix ans sont peut-être moins audibles aujourd’hui », analyse Vincent Chatellier. « Le consommateur fonctionne beaucoup par habitude. Les retraités qui consomment déjà bio ne sont plus à convaincre. L’enjeu se trouve autour des jeunes ménages : y aura-t-il un engouement, ou une certaine réticence du fait de l’inflation ? »