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La silphie, une plante pas si miracle que ça


TNC le 05/02/2025 à 05:33
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Les premiers essais d'agriculteurs affichent des valeurs alimentaires assez décevantes, avec des taux de MAT entre 10 et 12 % selon les dates de fauche. (© TNC)

Après plusieurs années d’essais dans le Cantal et dans la Somme, la gestion des adventices apparaît comme le gros point noir de la vivace.

La vivace se répand en Europe. Compter un peu plus de 10 000 ha en Allemagne et près de 6 000 ha dans l’Hexagone d’après Silphie France. Peu sensible aux coups de chaud, tolérante à la submersion, peu exigeante en fertilisation… La silphie a tout d’une plante miracle. Mais est-elle vraiment à la hauteur de ses promesses ? Deux essais, conduits dans la Somme et dans le Cantal, invitent à prendre du recul sur cette vivace haute en couleur.

Après plusieurs années d’expérience, les conseillers ont mis en évidence quelques limites à l’occasion d’un webinaire du réseau Dephy Écophyto. « L’implantation est relativement longue avant d’avoir une récolte de qualité », avertit Marie Levaast, conseillère pour la Chambre d’agriculture de la Somme. S’il faut compter une année entière pour assurer la bonne implantation de la silphie avant la première fauche, la culture n’est pas encore à son plein potentiel de production. « Il faut deux à trois ans pour avoir un nombre de tiges conséquent qui étouffe les adventices », prévient Marie.

D’autant que la vivace coûte cher. Compter 1 000 €/ha, rien que pour les graines. « Elles font la taille d’une graine de tournesol, et sont très fines. Il faut faire très attention au contact terre-graine, quitte à rouler si nécessaire pour réussir son semis. » Vu le prix de la semence, pas question de se louper.

Une implantation très longue

Dans le Cantal, Gilbert Chausi a implanté une parcelle de silphie en 2021. « Après quatre années de sécheresse, les éleveurs du Massif Central étaient en quête de solutions », se remémore Marc Peilleron, conseiller à la chambre d’agriculture du Cantal. Avec quatre années de recul, l’éleveur déplore une difficile gestion de la pression adventice, et des valeurs alimentaires correctes, mais loin d’être exceptionnelles.

La culture pérenne a été implantée en juin 2021. « On l’a semée avec une herse étrille, un semoir pneumatique et un rouleau », décrit le conseiller. En septembre, l’éleveur comptait 6 pieds par mètre carré : l’objectif de 4 était plus que dépassé.

Mais la vivace a vite été concurrencée par quelques annuelles. « Nous avions beaucoup de rumex.» C’en est suivi un long match entre les deux plantes. Pour le désherbage, les solutions sont rares : le binage n’est pas possible (la silphie se développe par rhizome), et aucun désherbant chimique n’est homologué pour la culture. « De toute manière, l’agriculteur qui mène l’essai est en bio », rappelle-t-il.

Si bien que la décision de ne pas faucher la silphie a été prise. « Le rumex était trop présent. On s’est dit qu’il valait mieux sacrifier une année pour lui permettre de bien s’implanter et de partir sur de bonnes bases. » L’agriculteur a donc obtenu 4 t MS/ha à l’automne 2022, via une coupe de nettoyage.

Des valeurs alimentaires correctes, mais pas exceptionnelles

Le fourrage a été analysé. « Nous avons pris soin de retirer le rumex pour voir le potentiel de la plante », précise le conseiller. Verdict : à 27 % de MS, compter 0,78 UFL, 12 % de MAT et 76 de PDIN. « On s’attendait à un petit peu mieux. » La plante semble toutefois appréciée des bovins, et la digestibilité autour de 70 % fut une bonne surprise.

L’année suivante, la silphie a contre-attaqué. Le développement de la vivace a permi d’étouffer les rumex. Une première fauche en juillet a permis d’obtenir 8 t MS/ha. Côté valeurs alimentaires, la fourragère à 14 % de MS affichait 0,81 UFL, 10 % de MAT et 58 en PDIN. La seconde coupe fut décevante : 2 t MS/ha en octobre, après un été particulièrement sec.

2024 fut du même acabit, avec une récolte à 6 t MS/ha en juillet, et une fauche de nettoyage en septembre après que le rumex ait cette fois repris le dessus sur la silphie. « Une coupe un peu plus précoce a été tentée en juillet pour essayer d’améliorer la valeur alimentaire du fourrage. Nous étions sur des analyses à 11 % de MAT et 0,8 UFL. C’était un peu mieux, mais on s’attendait à gagner davantage. »

Dans la Somme, l’EARL Boucher rencontre les mêmes difficultés. « La culture a la réputation d’être une plante qui pousse toute seule : l’agriculteur voulait si elle était à la hauteur de sa réputation », explique Marie Levaast. Un hectare a donc été implanté en mai 2023.

Le semis en association avec du maïs a permis de ne pas perdre une année de production. Car la nouvelle fourragère est longue à s’implanter : compter une année entière avant de pouvoir faire les premières fauches. « L’éleveur a misé pour un semoir standard, dont il avait bouché quelques sorties pour implanter la silphie en interrang du maïs. Il a ensuite fait un désherbage chimique sur la parcelle, le maïs étant la culture principale », décrit la conseillère de la Somme. La méthode a porté ses fruits, avec une silphie bien régulière au pied du maïs. « Nous avons eu entre 12 et 13 t MS/ha de maïs. C’est assez peu pour des terres qui ont des potentiels à 17 ou 18 t MS/ha, mais ça permet de ne pas faire une croix sur la parcelle l’année d’implantation », précise Marie Levaast.

Des coupes de nettoyage pour gérer le salissement

Mais la silphie a dû lutter pour se faire une place parmi les adventices. « Il y avait beaucoup de chiendent, du pâturin, des dicots… », énumère Marie. Si bien qu’au moment de faire la première coupe, la décision a été prise de faire une fauche de nettoyage, suivi d’un apport de 50 u d’azote. « La silphie a retrouvé de la lumière et est vraiment bien repartie. » Une seconde coupe en juillet a été réalisée, avec un rendement de l’ordre de 6 t MS/ha. « On espérait faire une troisième coupe après un apport de lisier, mais la silphie avait perdu en volume du fait du mauvais temps, donc on a préféré ne pas la tenter. »

Côte valeurs alimentaires, « on a été un peu déçus ». La fauche du mois de juillet à 31,2 % de MS affichait un taux de MAT autour de 13,5 %. Compter 0,7 UFL/kg MS et 81 PDIN. « On se dit qu’on a encore un peu de marge de manœuvre pour apprendre à mieux gérer les stades de récolte. »

Le salissement est peut-être le principal problème de cette nouvelle fourragère. « Vu le prix de la semence, quand on a une parcelle en mauvais état et qu’on lui dit que ça va aller, c’est assez stressant. On voit qu’au final, on arrive à produire, mais ça n’est pas une plante miracle qui pousse toute seule. »