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« Un salaire de 2 000 € net/mois et 15 jours de congés/an »


TNC le 06/02/2025 à 04:58
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« Salarié ou éleveur, on travaille pour gagner sa vie », estiment les jeunes en formation agricole. (© Goro20, Adobe Stock)

C’est ce qu’escomptent plusieurs jeunes en formation agricole, futurs éleveurs, venus témoigner au Space 2024, au vu du niveau de technicité, de responsabilité et d’investissement humain qu’exige ce métier. Tout aussi important, si ce n’est davantage, les relations humaines au sein du collectif de travail.

« Le salaire est ce que les jeunes regardent en premier dans une offre d’emploi. C’est l’élément qui va les faire s’y intéresser ou non », constate Gilles Burel, directeur de l’Anefa (1) Finistère. En tout cas, pour 70 % des élèves en formation agricole, un peu moins d’un millier, interrogés dans le cadre d’une étude menée par l’association. « Si c’est important pour eux, cela ne veut pas dire qu’ils ont des prétentions démesurées », nuance-t-il immédiatement.

(1) Association nationale pour la formation et l’emploi en agriculture : organisme paritaire, présent dans les régions et départements, chargé de promouvoir le salariat dans le secteur agricole et de mettre en relation les agriculteurs employeurs (et aussi les Cuma, ETA) et les salariés. Via sa bourse départementale de l’emploi, l’Anefa Finistère gère autour de 3 000 offres/an).

Pour preuve, Pauline, Louis et Hugo tablent sur un peu plus d’un Smic à la sortie de leurs études. Tous trois envisagent d’être salarié en exploitations, pour découvrir autre chose avant de s’installer sur laferme familiale. Toujours en phase d’apprentissage, ils ont conscience qu’ils ne peuvent pas être payés comme une personne opérationnelle à 100 %.

« On est là pour continuer d’apprendre, des choses qui nous serviront, plus tard, pour notre installation en élevage, ça compte autant que la rémunération », justifie Louis. Encore chez leurs parents, donc logés et nourris, ils n’ont pas forcément besoin de plus. À voir aussi en fonction des frais d’essence par exemple, si la structure n’est pas tout près, indique Pauline, qui met un peu de côté pour la future reprise de la ferme.

« Un métier prenant, technique, avec des responsabilités »

Jeunes installé(e) s, leur discours sera différent. Ils le savent déjà et sont unanimes : ils souhaitent gagner plus, autour de 2 000 € net/mois. « Les éleveurs font beaucoup d’heures et ont quand même de grosses responsabilités », argumente Hugo. « Notre métier est prenant, 365 jours sur 365, je veux être rémunéré en conséquence », appuie Louis, conscient qu’il va falloir parfois « se serrer la ceinture ».

« La production bovine laitière est très technique. Il faut réfléchir en permanence, poursuit-il. La charge mentale augmente avec les responsabilités. Pas le droit à l’erreur ! Avec le vivant, les impacts technico-économiques, en termes de production et sanitaires, sont immédiats. » Il invite à faire les bons choix en fonction du bien-être animal mais aussi de l’éleveur.

Même s’ils n’ont pas choisi l’apprentissage, Pauline, Louis et Hugo font des remplacements, le week-end et pendant les vacances, dans des exploitations des environs. Déjà salarié sur la structure parentale dans l’Eure, Jean-Baptiste est sur la même longueur d’onde qu’eux : « Pour le moment, le Smic me va très bien car après, ce sera ma ferme. Je compte alors me verser 2 000 €/mois. »

Une vision qui selon Sébastien, jeune éleveur depuis 2019 de vaches laitières et de porcs près de Brest (Finistère), « colle à la réalité ». « J’atteins ce niveau de salaire », précise-t-il, avant d’enchaîner : « Salarié ou éleveur, nous travaillons pour gagner notre vie. » « Dans les centres de gestion, 15 % des agriculteurs sont en dessous du Smic, mais 35 % sont au-dessus de 3,5 Smic », rappelle Pierre Méhaignerie, ancien ministre de l’agriculture, pendant cinq ans jusqu’en 1981, présent dans la salle.

Les employeurs parlent peu rémunération

La rémunération, pour autant, est souvent source d’incompréhensions, voire de tensions, entre salariés et employeurs, remarque Gilles Burel sur le terrain. Dans l’enquête réalisée en parallèle de celle citée précédemment, auprès de 600 agriculteurs employant de la main-d’œuvre, le salaire n’arrive qu’en cinquième ou sixième position de ce qui doit être évoqué dans une offre d’emploi.

On verra ça plus tard !

Ce que confirment d’ailleurs de précédents échanges, lors d’une table ronde similaire au sein du même Espace Jeunes au Space en 2023 : les exploitants, qui témoignaient, ne le mentionnent même pas parce que « ça n’intéresse pas les jeunes ». Certains refusent même de répondre aux questions à ce sujet, ne voyant pas pourquoi donner cette information : « On verra plus tard ! »

Gilles Burel les met en garde, anecdote à l’appui : ils risquent de ne pas parvenir à embaucher quelqu’un de compétent, avec des savoir-faire et savoir-être, voire de ne pas recruter du tout. « Le salariat doit être considéré comme un investissement, non comme une charge ! », lance-t-il.

Il aurait suffi de 50 € de plus par mois !

« Une apprentie s’est vue proposer un CDI de 40 h (+ 1 WE sur 3) au palier 1 de la convention collective et Smic horaire, raconte-t-il, alors qu’elle est depuis trois ans dans le même élevage laitier, en BTS puis licence pro, est autonome sur son poste et que ses patrons sont très contents d’elle, si bien qu’ils n’hésitent pas à lui confier l’exploitation. »

« La confiance a un prix. Il aurait suffi de 50 € de plus par mois, soit pas grand-chose, et elle n’aurait pas refusé ! » La rémunération dépend, bien sûr, des compétences, de la capacité à exercer un emploi, pas du diplôme, pointe Gilles Burel. « Si vous n’avez pas de responsabilité, ce n’est pas parce que vous êtes ingénieur que vous serez payé plus », image-t-il.

« Du temps libre, sachant qu’en élevage, il y a du boulot »

Le temps libre est, lui aussi, essentiel pour les jeunes générations. « 15 jours de congés par an, c’est déjà pas mal ! », estime Hugo. Pauline aimerait deux semaines l’été et une l’hiver pour être avec son conjoint et ses enfants, quand elle en aura. Pour Louis non plus, pas question « d’être esclave du métier d’éleveur».

Tous trois sont cependant lucides. « Dans l’élevage, il y a du boulot, nous sommes loin des 35 h ! » Et elles sont même largement dépassées lors des pics d’activité : vêlages, foin, ensilage… En dehors de ces périodes, Sébastien termine ses journées entre 18h30 et 19 h et parvient à prendre chaque année un mois de congés.

Mais prévalent sur tout cela les relations humaines. Dans la structure où Pauline travaille deux week-ends par mois, où elle avait été stagiaire auparavant, « le relationnel se passe super bien, ce sont des amis maintenant ». « C’est ce qui fait que j’ai plus ou moins envie d’aller dans telle ou telle exploitation », confirme Louis.

« Dans des élevages de plus en plus grands, après les travaux d’astreinte, il importe de se retrouver autour d’un café pour discuter de ce qu’il y a à faire et comment on organise la journée ou la semaine en fonction de l’organisation plutôt au jour le jour, ou hebdomadaire », détaille-t-il. Et des impératifs professionnels et personnels de chacun. Louis apprécie un minimum de souplesse et de confiance : « Ne pas toujours être derrière mon dos, me laisser gérer. »

Les relations humaines sont tout aussi essentielles

« Un contrat sur deux est rompu pour des problèmes relationnels, et non de salaire », met en avant Gilles Burel. Des conflits qui interviennent dans les deux sens : « il existe des salariés qui subissent leur patron et des patrons qui subissent leurs salariés », argue-t-il. Pour que ça marche, il faut surtout se comprendre, trouver le « juste équilibre », mais celui-ci semble de plus en plus difficile à obtenir.

« Les agriculteurs ne sont pas suffisamment formés à être employeurs, encore moins à manager », juge le directeur de l’Anefa Finistère. Pourtant, 70 % des exploitants font aujourd’hui appel à de la main-d’œuvre extérieure. « Ils sont employeurs, mais sont-ils managers ? », interroge-t-il. Répondant de suite : « ils ont du mal à gérer les relations humaines et communiquer avec leurs salariés. »

La cause de 50 % des ruptures de contrat.

Les rapports ont tendance à être plus conflictuels entre deux générations différentes. Ce n’est « pas nouveau, fait remarquer Gilles Burel. Les anciens ont toujours dit que les jeunes ne travaillaient pas assez, ni comme eux. » Ce qui l’est davantage, tous les sociologues le partagent, le travail n’est plus une priorité, ni le seul moyen de s’épanouir socialement, mais un levier pour atteindre ses objectifs.

Les agriculteurs sont employeurs, mais sont-ils managers ?

Ceux qui arrivent sur le marché du travail ont besoin de sens et de liberté. « Accros aux nouvelles technologies, à leur portable et aux réseaux sociaux, ils sont parfois désemparés face à des situations classiques pour leurs aînés », mentionne le directeur de l’Anefa Finistère. Attention, malgré tout, aux idées reçues : contrairement à ce que l’on peut croire, « ils acceptent les contraintes horaires, de devoir traire tôt le matin, de soigner les animaux le week-end… » Et Gilles Burel de conclure : « Embaucher des salariés, ce n’est pas chercher son clone. »

En savoir plus sur ces jeunes qui ont témoigné

Pauline, 18 ans, est en 1ère année de BTS Acse au lycée agricole Les Vergers à Dol-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine). Elle projette de poursuivre par une licence pro en comptabilité, puis d’être comptable cinq ans en centre de gestion. S’ensuivront, elle l’espère, cinq années de salariat en élevage laitier, comme expliqué plus haut, avant de prendre la suite avec son cousin de ses parents et de son oncle. Reprendre la ferme familiale est sa priorité. Elle entend la rejoindre trois ans avant leur départ, pour un passage de relais progressif.

Hugo, 19 ans, est en 2e année de BTS Acse au lycée agricole La Ville Davy à Quessoy (Côtes-d’Armor). Ses parents ne sont pas proches de la retraite, alors il ne s’installera pas, avec son frère sur la structure familiale, avant 10 ans. Comme mentionné, il sera d’abord salarié dans d’autres exploitations ou dans la génétique, qui le passionne depuis son stage au Canada, dans un élevage pas de grande taille (80 VL) mais avec des vaches produisant 45 kg de lait de moyenne ! Plus tard, « chez lui », il veut faire de « la bonne génétique sans forcément élever des bêtes de concours ».

Louis, 20 ans, est en 2e année de BTS productions animales au lycée agricole La Touche à Ploërmel (Morbihan). Son objectif : être salarié avant de s’installer dans l’élevage familial, d’ici 2030, et partir si possible à l’étranger, dans des fermes bovines laitières.

Jean-Baptiste a, lui aussi, un projet d’installation sur l’exploitation familiale d’ici 2030, avec sa sœur, ses parents n’ayant pas encore l’âge de la retraite. Agri-influenceur sur Instagram (30 000 followers) et Tik Tok (60 000 followers), il aime bien réaliser des vidéos humoristiques, forçant un peu le trait, sur les rapports entre employeurs et salariés.