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« Les prix du machinisme ont-ils franchi la ligne rouge ? »


TNC le 10/02/2025 à 18:00
PrixTracteurs

Le prix des tracteurs a augmenté de 80 % sur les 10 dernières années. (© Adobe Stock)

Les Jeunes Agriculteurs de la Marne ont organisé un débat sur la hausse conséquente des tarifs du matériel agricole depuis 10 ans et ébauché des solutions pour y faire face.

La ligne rouge a-t-elle été franchie en matière de tarifs dans le monde du machinisme agricole ? Les Jeunes Agriculteurs de la Marne ont organisé, ce vendredi 7 février, une conférence sur cet épineux sujet, réunissant autour de la table un agriculteur, un comptable, un constructeur et un acteur des Cuma. « C’est un sujet courageux mais qu’il devient nécessaire d’aborder », résume l’animateur des débats, Jean-Paul Daouze, ingénieur conseil à la chambre d’agriculture de la Marne.

Éric Aubry, animateur 52 FRCuma et membre de la Fédération régionale des Cuma du Grand-Est, exhume une synthèse des prix des tracteurs en 2013. « J’ai halluciné », avoue-t-il. À l’époque, le tracteur se négociait entre 400 € et 450 € du cheval. « Aujourd’hui, c’est 800 à 900 € du cheval, parfois même 1 000 € », compare-t-il. Soit une augmentation de 80 % en un peu plus de 12 ans… Vincent Gobillard, agriculteur à Courtisols, se souvient, rêveur, d’un tracteur de 180 ch acheté 72 000 € en 2001. « Notre parc actuel, aujourd’hui, ce serait plus d’un million à débourser », constate-t-il.

Quand les subventions dopent les prix…

L’animateur des Cuma de Haute-Marne avance quelques explications : « un confort amélioré, des évolutions normatives qui ont forcé les constructeurs à investir, beaucoup d’électronique, des technologies supplémentaires et un peu d’effet marketing ». « Le prix du gaz, une référence solide pour étudier l’industrie, est 30 % supérieur en 2024 qu’en 2020 », ajoute Jean-Paul Daouze. Yann Gavroy, commercial chez le fabricant de charrues Charlier, ajoute : « L’acier de référence, le S355, valait 45 € la tonne en 1999. Aujourd’hui, c’est 1 200 €… Et encore, pour avoir le même niveau de qualité qu’il y a 30 ans, il faut monter en gamme ».

L’augmentation concerne l’ensemble des outils, « qui ont pris de 40 à 45 % en 10 ans », détaille Jean-Paul Daouze. « Les exigences climatiques ont poussé au suréquipement. Il faut aussi des outils adaptés à la puissance grandissante des tracteurs », explique l’ingénieur. Certains voient d’autres raisons : « Le désherbage bio, cela ne valait rien. Dès qu’il y a eu des subventions, les prix ont immédiatement doublé pour le même matériel », déplore un responsable de Cuma.

« Le coup de cœur, c’est fini »

Ces hausses ont un impact fort. Nicolas Durel, directeur métier conseil et innovation CDER, qui accompagne des agriculteurs au niveau comptable, détaille les répercussions sur les exploitations qu’il suit. « Les charges de mécanisations montent à 478 € par hectare en 2023. Et c’est 47 % des charges d’une structure », explique-t-il. Un autre chiffre fait réagir la salle : « Les 25 % qui ont le moins de charges de mécanisation dégagent 25 % de revenus supplémentaires par rapport à la moyenne ».

L’heure est donc à la sobriété. Vincent Gobillard, qui a toujours acheté ses machines en copropriété, ne voit pas comment il pourrait faire « autrement aujourd’hui ». « Encore plus qu’avant, chaque achat est réfléchi. Le coup de cœur, c’est fini. Ce n’est pas toujours facile mais il faut se garder des effets de mode dans la plaine. L’erreur coûte beaucoup plus cher aujourd’hui. Et si c’est pour se faire plaisir, il faut l’assumer après », raconte l’agriculteur, qui recourt également à la télémétrie pour analyser la rentabilité de son parc.

Reconditionnement et rénovation en vogue

Éric Aubry abonde : « La Cuma, c’était acheter à plusieurs des machines neuves que l’on ne pouvait s’offrir seul. La question du suivi, de l’achat reconditionné, fait désormais son chemin. Aujourd’hui, la charrue usée, on la démonte et on la reconfigure si possible. Les gammes de matériel ont une infinité d’options. En a-t-on besoin ? Si oui, combien d’heures par an ? Et peut-on exploiter toutes les capacités technologiques ? La dimension compte aussi. Un semoir de 8 à 12 mètres peut être plus rentable qu’un plus petit ».

Les constructeurs constatent aussi cette évolution et s’adaptent. « Nous proposons une rénovation complète pour 50 % du prix du neuf. Sur des charrues qui valent de 50 000 à 70 000 €, ce n’est pas négligeable », met en avant Yann Gavroy qui en appelle toutefois au bon sens : « Une charrue de 38 ans, derrière un tracteur 350 ch, cela n’a aucun sens ».

« La fiscalité ne doit pas être la priorité »

Il faut donc jongler entre un renouvellement fréquent et l’entretien poussé des machines. La solution miracle n’existe pas. « Est-ce que c’est cher d’avoir un outil résistant, efficace et qui dure longtemps ? On m’a dit une fois que je n’étais pas assez riche pour acheter bon marché. À méditer ! » lance Jean-Paul Daouze. Selon Nicolas Durel, il est obligatoire de mettre le nez dans les chiffres et d’établir « un plan pluri-annuel d’investissement, tout en se laissant la possibilité de saisir des opportunités ».

Le comptable met également en garde contre l’empilement de matériel pour éviter les taxes : « La fiscalité ne doit pas être la priorité. Et il y a aujourd’hui d’autres leviers pour la gérer que l’investissement matériel, qui n’est en plus pas le plus efficace. Ne pas payer d’impôts mais accumuler des crédits, ce n’est pas la solution ».

Les machines modernes, un luxe ?

La marche arrière des prix est-elle possible ? « Avec l’inflation, c’est peu probable. Il y a aussi une habitude à un certain niveau de confort et de technologie », estime Éric Aubry. « Je n’ai jamais vu le matériel baisser, mon père non plus et mon grand-père certainement non plus », rappelle Vincent Gobillard.

« Il doit y avoir une prise de conscience de la filière machinisme. Si cette situation perdure, l’accès aux machines modernes pourrait devenir un luxe », conclut Robin Maret, administrateur JA 51.