1,4 million d’ha de prairies menacées, le revers de la décapitalisation bovine
TNC le 18/03/2025 à 17:15
La décapitalisation bovine, ça n’est pas que des vaches en moins. Prairies, production d’azote ou encore emplois dans la filière… À l’occasion des Matinales de la recherche, Interbev met en lumière les impacts concomitants de la baisse du cheptel bovin viande.
Depuis de nombreuses années, les professionnels de l’élevage alertent sur la baisse des effectifs. Mais au-delà du traditionnel décompte des vaches allaitantes, c’est tout un écosystème qui se détricote à petit feu.
D’après le scénario fourni par l’Institut de l’élevage, le cheptel de vaches allaitantes pourrait diminuer de 19 % à horizon 2030 si les tendances observées entre 2020 et 2022 se poursuivent. Et l’on ne peut pas faire une croix sur autant d’animaux sans que cela n’engendre de conséquences en cascade.
Intégrer les avantages écosystémiques de l’élevage
Si certains applaudissent la perspective d’une baisse des émissions de méthane, il reste réducteur de limiter la viande à ce paramètre. C’est ce qu’a montré Frédéric Joly, chercheur à l’Inrae à l’occasion des Matinales de la recherche organisées par Interbev. « On a le gros défaut d’évaluer l’impact des productions animales sans intégrer les services écosystémiques que les animaux apportent ». Autrement dit, on comptabilise le méthane émis par les bovins et le carbone sorti des tracteurs, sans intégrer le bénéfice du maintien des prairies par l’élevage. « On sacralise la prairie, mais on oublie parfois que pour avoir des prairies, il faut des animaux », rappelle Maryvonne Lagaronne vice-présidente de la FNB.
Le chercheur propose ainsi de changer de référentiel pour intégrer les services rendus par l’élevage. Son postulat : ne pas calculer les émissions de carbone par kilo de viande, mais au mètre carré de surface agricole allouée. « Il est clair que ramené au kilo de viande, le monogastrique bat le ruminant, mais les deux productions ne demandent pas les mêmes surfaces et n’ont pas le même usage des sols », détaille Frédéric Joly. Les monogastriques monopolisent des surfaces céréalières, là ou les ruminants valorisent des surfaces fourragères. Et il faut beaucoup plus de surface pour avoir un kilo de viande bovine qu’un kilo de poulet. En bref, ramenée au mètre carré, la production de viande via les ruminants est moins émettrice que via les monogastriques. « C’est assez logique, plus il y a d’efforts demandés à un écosystème, moins il peut générer d’aménités positives », note le chercheur.
19 % de vaches allaitantes en moins d’ici 2030
Pourtant, avec 19 % de vaches allaitantes en moins d’ici 2030, c’est 1,4 million d’hectares de prairies qui sont menacés, et avec eux, 15 168 kt équivalent CO2. En cause : le retournement. « Lorsqu’on retourne une prairie, on relargue du carbone dans l’atmosphère », explique Bertrand Oudin, consultant chez Ceresco. Dans sa simulation, Interbev table sur le retournement de 45 % des surfaces de prairies délaissées par l’élevage, mais difficile de savoir ce qu’elles deviendront. Si l’afforestation des parcelles était préférée au labour, les émissions de carbone pourraient alors être limitées.
L’élevage, c’est également un moyen d’avoir de la matière organique et de l’azote dans les sols. « Si l’on considère une baisse du cheptel des vaches mères de 19 % entre 2022 et 2030, le besoin en fertilisation minérale augmente de 18 kt N », note le consultant. La baisse de la disponibilité en engrais organique est toutefois en partie compensée par la réduction des surfaces nécessaires à l’alimentation animale.
Vers un redimensionnement de l’outil industriel
Au-delà des impacts environnementaux, Interbev a simulé les impacts sur la filière tout entière. Pour Bertrand Oudin, ce ne sont pas moins de 37 000 emplois qui pourraient disparaître dans la filière. « Il y a certaines régions, comme le Cantal, où 7 % des emplois sont liés à l’élevage ».
La décapitalisation va inéluctablement peser sur le maillage territorial en abattoir. « De mémoire, on tourne autour de 55 000 bovins abattus chaque semaine. Si on a dans les 12 000 bovins en moins à abattre, on ne maintiendra pas notre outil en l’état ». Et pour cause, un abattoir ferme actuellement en France tous les mois ou tous les deux mois.
« Le risque, c’est qu’il y ait une perte de compétences à l’échelle territoriale », note Emmanuel Bernard, président de la section bovine d’Interbev. « Si l’on a plus le vétérinaire qui va bien, le conseiller technique, la proximité de l’abattoir, on perd en capacité à avoir des fermes d’élevage ».
Ce scénario de décapitalisation conduit à la dégradation de la balance commerciale de la filière. Excédentaire à hauteur de 740 M€ en 2022, elle pourrait approcher les – 330 M€ en 2030 avec les importations qui s’ensuivent. Un mauvais calcul pour Guillaume Gauthier, président de commission pour Interbev « il faut avoir en tête que l’importation de viande outre-atlantique génère deux fois plus de carbone que la production dans l’hexagone ». Un produit qui ne correspond pas aux attentes des consommateurs.
Car s’il est un élément qui donne espoir en la filière, cela reste malgré tout le consommateur. Malgré une tendance de consommation sensiblement à la baisse, « 90 % des Français trouvent que la viande fait partie des aliments qu’on a plaisir à manger », rappelle Delphine Aubouin, responsable études consommateurs pour l’interprofession.