« Après 6 ans de bio, j’ai déconverti mon atelier lait pour mieux gagner ma vie »
TNC le 21/03/2025 à 05:07
Jean-Louis Lecouvey s’était tourné vers l’agriculture biologique en 2016 par motivation pour la filière et parce que son système herbager collait bien au cahier des charges. Mais 6 ans plus tard, après une baisse de production et de résultat, il a fait machine arrière en déconvertissant son atelier lait. Aujourd’hui, il « ne regrette rien » et ne ferme aucune porte.
C’est au bout d’une impasse, à 1,5 km de la plage que l’on aperçoit l’exploitation de Jean-Louis Lecouvey située à Saint-Germain-sur-Ay dans la Manche. Un bâtiment, vide pour moitié puisque les vaches sont sorties depuis une semaine déjà. À 48 ans, l’éleveur a déjà une belle carrière derrière lui. Installé jeune sur l’exploitation familiale, il a tout bâti lui-même : sa stabulation, son cheptel, c’est un vrai passionné du lait !
Une conversion bio en 2016
Alors qu’il livrait jusque-là son lait pour la fromagerie Réo à Lessay, Jean-Louis fait le pas vers l’agriculture biologique en 2016. « La demande était forte, le cahier des charges correspondait bien à mes pratiques, alors je me suis dit « pourquoi pas moi » ! » Il démarre alors une conversion non simultanée. Sa laiterie n’ayant pas de filière bio, l’éleveur s’est tourné vers Biolait. « J’ai tout de suite aimé l’ambiance entre les producteurs », confie-t-il. La première livraison de lait bio se fait en 2017.
En bio, il a fallu réintégrer des cultures donc investir dans du matériel et passer du temps dans les champs.
Mais qui dit agriculture biologique, dit autonomie alimentaire (surtout si on veut limiter les coûts). L’éleveur, qui était jusqu’alors en 100 % herbe avec un peu d’achat d’énergie extérieure, a dû revoir son assolement pour améliorer son autonomie énergétique et maintenir un niveau de production suffisant sans dépenser une fortune dans l’aliment bio. « À l’époque j’avais 90 ha tout en herbe. J’ai modifié cela pour réintégrer du maïs (récolté en ensilage plante entière et épi) et des céréales. » Il a donc fallu s’équiper : semoir, herse, bineuse, charrue… Et l’éleveur s’en rend compte aujourd’hui : « Tout ça, ça ramène des contraintes, ça demande de la main d’œuvre supplémentaire, qu’on ne trouve pas ici… » Mais le coup de grâce a été lorsque le prix du lait bio s’est effondré…
Une « déconversion » de l’atelier lait en 2022
Jean-Louis se souvient : « Sur avril, mai, juin 2022, j’ai été payé 340 €/1000 l pour mon lait bio, ça m’a mis la puce à l’oreille. Cela faisait déjà quelque temps que l’écart se creusait entre le prix du lait bio et celui du conventionnel, mais là ce n’était plus possible. Mes résultats économiques se dégradaient d’année en année. » Baisse de production, hausse des charges, un prix du lait en berne : l’éleveur a tout cumulé. L’EBE était descendu à 40 000 € (contre 60 000 € en 2016 lorsqu’il a lancé sa conversion).
Un lait bio payé 340 €/1000 l, ce n’était plus possible !
Jean-Louis a alors profité d’arriver en fin de contrat avec Biolait pour le rompre. Il avoue quand même : « Ça a été difficile car j’avais franchi le cap de la bio avec entrain. Mais le problème de Biolait c’est qu’ils n’ont pas d’outil de transformation et que leurs coûts de collecte sont très élevés. Pour mettre fin au contrat, je n’étais pas dans les clous car il fallait prévenir un an à l’avance donc j’ai eu 7 000 € de pénalités mais ils ont été vite remboursés… »
En septembre 2022, l’éleveur était donc de retour dans sa laiterie historique : la fromagerie Réo. « Ils ont accepté de reprendre mon lait car j’étais sur la tournée du camion et je rentrais dans le cahier des charges de leur filière AOP. C’est une chance ! J’étais toujours en bio, mais je livrais en conventionnel. » Et il aurait pu rester comme ça longtemps, mais dans un objectif de remonter sa production laitière sans contraintes, il a franchi le cap de la « déconversion ».
Un prix de 500 €/1000 l pour du lait conventionnel sous AOP
« En bio, les vaches mangeaient de l’herbe (pâturée ou enrubannée), avec un complément à l’auge quasiment toute l’année (car terres très séchantes dans ce secteur) composé de maïs, des céréales fermières (triticales et féverole) et une VL blé/soja dont je commandais 30 tonnes par an à 540 €/t. Aujourd’hui, j’ai gardé à peu près la même ration mais j’utilise un aliment plus concentré en colza à 360 €/t (environ 5 tonnes par mois). » Le coût alimentaire est certes plus élevé, mais la production, elle, a bien remonté : 5 000 kg de lait en moyenne par vache contre 3 700 kg en bio. Et le prix n’est plus le même : 450 €/1000 l de prix de base, auquel s’ajoutent 16 €/1000 l de prime non OGM + 40 €/1000 l de prime AOP. « Le mois dernier, je suis monté à 526 €/1000 l ! ».

L’EBE ne fait plus grise mine : il est de 80 000 € depuis 2 ans. Jean-Louis a même de nouveaux projets pour les années à venir : monter deux robots de traite pour réduire la pénibilité et pallier le manque de main-d’œuvre du secteur. « Ici c’est très légumier, on ne parvient pas à recruter en élevage. » Il vise aussi une amélioration du niveau de production : « J’ai vendu le taureau et suis revenu à l’IA pour mieux sélectionner les animaux. Et avec le robot, j’espère atteindre entre 6 et 7 000 kg de lait par vache. » Il a demandé à obtenir 100 000 litres de lait supplémentaires à sa laiterie et compte atteindre les 100 000 € d’EBE d’ici 2 ans. Il tempère quand même : « l’objectif c’est de rester cohérent avec la production de fourrage et un coût alimentaire raisonnable. »
Les terres sont toujours en agriculture biologique
L’éleveur n’a pas honte d’avoir fait machine arrière sur la bio : « On a beau être convaincu d’une filière, au final c’est l’économie qui prime ». Il admet aussi : « Je me sens plus libre aujourd’hui. J’étais stressé en vue de chaque contrôle. Il y a beaucoup trop de normes en agriculture biologique : il faut tenir le cahier sanitaire, faire une demande de dérogation d’écornage chaque année. La charge administrative est très élevée. Sans parler du cahier des charges de Biolait qui en demandait encore un peu plus en voulant être plus blanc que blanc. »

Pour autant, Jean-Louis n’a déconverti que son atelier laitier, pas ses terres. « J’ai encore des aides à la conversion sur les terres. Et même après ça, je pense rester en bio car ça correspond bien à mon système avec la grosse part d’herbe. » L’éleveur songe même à réduire la part de cultures puisqu’il a l’opportunité d’acheter du maïs sur pied à un voisin.
À noter aussi d’autres avantages à garder les terres en bio : l’écorégime plus élevé, ou encore le crédit d’impôt. Et pas de problème à avoir deux ateliers sur des filières différentes au sein d’une même ferme. L’éleveur peut même épandre ses fumiers sur ses terres sans problème puisqu’il ne s’agit pas d’élevage considéré comme industriel.
« Le lait bio devrait être payé 700 €/1000 l »
Ce type de « déconversion » se fait bien : s’il souhaite relancer la conversion de l’atelier laitier un jour, elle ne devra durer que 6 mois. Car Jean-Louis n’exclut pas d’y revenir un jour : « S’il est payé à son juste prix, oui pourquoi pas. » Le prix du lait bio a heureusement remonté un peu depuis son arrêt, mais ce n’est pas assez pour l’éleveur : « En 2024, il me semble qu’il était de 480 €/1000 l de moyenne. Mais vu le prix de la main-d’œuvre et les contraintes du cahier des charges, 650-700 € me semblent être un prix correct. » Quant au lait conventionnel, il estime son juste prix entre 550 et 600 €/1000 l.