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[Analyse] Pac post-2020

« Un contre-sens historique et une erreur stratégique », selon Momagri


Politique et syndicats le 20/12/2017 à 18:25
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« L’Europe sera forte ou ne sera plus. Mais, pour se sauver, l’Europe doit repenser sa principale politique intégrée, la PAC », analyse le think tank Momagri.

« S’ils font aussi bien avec l’armée qu’ils font sur l’agriculture, mieux vaut ne pas développer l’Europe de la Défense. Telle a été la formule d’un jeune agriculteur à qui l’on cherchait à expliquer qu’il fallait consentir une baisse du budget agricole pour développer d’autres priorités. Au regard de la communication du commissaire Phil Hogan sur la PAC post 2020, comment le contredire ?

Alors que l’avenir de l’Union Européenne passe par son affirmation politique et à sa capacité à être la base de l’exercice de la souvernaineté des Européens – l’Europe qui protège pour reprendre les mots du Président Macron – comment ne pas voir dans cette nouvelle étape de la renationalisation de la PAC annoncée par la Commission un contre-sens historique et une erreur stratégique ? L’Europe sera forte ou ne sera plus. Mais, pour se sauver, l’Europe doit repenser sa principale politique intégrée, la Pac.

La Commission laisse la porte ouverte à un cofinancement national des aides aux revenus des agriculteurs. Et surtout, elle souhaite donner aux Etats-Membres les coudées franches pour établir leur stratégie en matière agro-environnementale de l’autre. En évoquant le spectre de la renationalisation, les agriculteurs dénoncent de nouvelles distorsions de concurrence entre et au sein même des Etats-Membres. Que les pays ou les régions les plus riches aient la possibilité de soutenir davantage le revenu de leurs agriculteurs leur pose problème, à juste titre, dans la mesure où l’on saperait là une des bases du marché unique européen.

Les producteurs agricoles refusent des règles à géométrie variable au sein de l’Europe

L’actualité le montre à nouveau avec la fraude au lisier aux Pays-Bas : les producteurs agricoles refusent des règles à géométrie variable au sein de l’Europe. Surtout lorsqu’on augmente le niveau d’exigence européen sans gage que les importations n’aient à y répondre également, et lorsqu’on annonce déjà la couleur en matière de réduction du budget. Autrement dit, devoir faire plus avec moins.

Bruxelles ne semble donc pas encore avoir intégré que les approches dites « négociées » en matière environnementale et basées sur une obligation de résultats et non de moyens, qu’elle fait pleinement sienne dans la communication, étaient une innovation politique hollandaise. Sachant que la compétence de la politique environnementale relève du niveau communautaire, il est significatif d’assister là à l’expression d’un « pas-assez-d’Europe » de la part des syndicats agricoles.

Autre sujet sur lequel la renationalisation est critiquée en ces temps de crise agricole : la protection des agriculteurs contre l’instabilité des marchés. Le Commissaire continue de mettre en avant les outils privés de gestion des risques tels que les assurances et les fonds mutuels. Des outils dont on sait qu’ils ne sont d’aucun recours quand les marchés sont déprimés plusieurs années de suite. Ces instruments ont déjà été intégrés à la Pac lors de la dernière réforme, mais les Etats-Membres ne les ont pas mis en œuvre les jugeant largement inappropriés.

On aurait pu s’attendre à ce que l’on en tire quelques conclusions et qu’au contraire le Commissaire fasse la promotion de son principal succès, à savoir les aides volontaires à la réduction de la production qui ont eu un effet remarquable à la fin 2016 pour sortir de la crise du lait.

Il n’en est rien, et le sujet de la gestion des crises demeure un tabou à Bruxelles. Il parait pourtant novateur de ne pas se contenter de verser des aides en cas de crise mais d’en profiter pour demander au passage aux agriculteurs de produire moins pour ainsi rééquilibrer l’offre avec la demande.

Enfin, seule véritable nouveauté, le Commissaire souhaite intégrer le sujet des migrations dans la PAC en rappelant que les aides du développement rural peuvent notamment être mobilisées pour accueillir des migrants dans les campagnes européennes.

On ne peut que s’interroger quand on sait que, faute d’outils pour protéger les agriculteurs de la volatilité des marchés internationaux, comme le font la plupart des autres pays de l’OCDE, le sacrifice des agriculteurs les plus jeunes et les plus endettés reste le moyen privilégié de résolution des crises en Europe.

Dans ces conditions, il va être difficile pour l’exécutif européen de faire valoir l’expérience de la PAC comme stratégie de réduction des phénomènes migratoires. Et, de plus, attention à ce que l’ajout de ce nouvel objectif à la PAC sans perspective de ressource supplémentaire n’entraîne de nouvelles réactions indignées de la part du monde agricole, se considérant comme le principal contributeur à la résolution d’un drame humanitaire venu d’ailleurs, avec les risques d’exploitation politicienne associés.

Si cette communication de la Commission s’inscrit dans une trajectoire de renationalisation, espérons que les Etats-membres et le Parlement européen sauront insuffler une ambition politique fédératrice pour changer le cap d’une PAC aujourd’hui à contre-courant des autres politiques agricoles dans le monde.