Anticipation et souplesse : les maîtres mots face au changement climatique
TNC le 07/08/2018 à 06:00
En agronomie, le climat fait partie intégrante de la vie des cultures. Anticiper son évolution et adapter en conséquence le choix des variétés comme des pratiques est donc primordial. Aperçu, non exhaustif, des contraintes qui pèsent sur les grandes cultures et des stratégies à déployer.
Le 30 mai dernier, Météo et Climat organisait une journée scientifique à Toulouse sur le thème « Changement climatique : quels impacts et quelles adaptations pour l’agriculture en Occitanie ? »
Parler de « changement climatique » plutôt que de « réchauffement climatique » : la nuance est importante. En effet, si les températures augmentent bien significativement, certaines évolutions du climat sont moins intuitives.
Matthieu Killmayer, ingénieur régional Arvalis-Institut du végétal, souligne ainsi deux phénomènes : la progression du climat méditerranéen vers le nord et l’ouest de la France et les bouleversements observés dans la répartition mensuelle des précipitations sur tout l’Hexagone. « De novembre à janvier, le temps est plutôt plus pluvieux tandis que les mois de février, mai, juin et septembre sont plus secs. Pour les grandes cultures, c’est finalement lorsque l’on a besoin d’eau qu’il n’y en a pas et lorsqu’il en faut avec parcimonie, juste après les semis, qu’il pleut abondamment ! » constate-t-il.
Derrière ces tendances générales d’évolutions climatiques, l’ingénieur insiste également sur deux autres types de contraintes. Les variations interannuelles tout d’abord, en termes de températures comme de précipitations, qui déroutent et poussent à changer de stratégie d’une année sur l’autre. L’augmentation des évènements climatiques extrêmes ensuite, qui sont aussi imprévisibles que dévastateurs. Il est nécessaire que les réponses déployées face au changement climatique prennent en compte l’ensemble de ces phénomènes.
L’évolution du climat impacte les grandes cultures. « On remarque que, depuis 1995 environ, les rendements pour le blé tendre, le blé dur et l’orge d’hiver stagnent d’année en année », explique Matthieu Killmayer. Il n’y a plus l’évolution que l’on observait dans le passé.
Le progrès génétique est toujours présent mais ne s’exprime plus.
Faut-il y voir une absence de progrès génétique ou l’impact du changement climatique ? « En séparant ces deux facteurs sur des essais, nous avons mis en évidence que le progrès génétique est toujours présent mais qu’il ne s’exprime plus. Ce sont bien majoritairement les évolutions du climat (à 70 %) qui sont en cause », répond Matthieu Killmayer.
De la même façon, les rendements en colza et féverole stagnent tandis que ceux du pois protéagineux diminuent même significativement. Ce dernier est en effet très sensible aux variations hydriques, excédentaires comme déficitaires.
À l’inverse, le maïs comme l’orge de printemps profitent pour le moment du changement climatique, puisque l’on est passé d’un régime sub-optimal pour la photosynthèse de ces plantes à un régime optimal dans les zones qui ne l’étaient pas (notamment le nord de la France). Les rendements en betteraves sont également en hausse ces dernières années, l’augmentation de la température stimulant sa phase précoce de croissance. Des tendances plus positives à nuancer : le climat évoluant, leur devenir est précaire…
Dans ce contexte, l’un des grands défis pour les agronomes est génétique. « L’objectif est d’améliorer les tolérances au stress, qu’il soit hydromorphique, hydrique ou thermique », résume Matthieu Killmayer. Comment ? En sélectionnant. Pour le blé dur par exemple, plutôt que de se tourner vers les variétés présentant un fort potentiel en conditions optimales, ou celles qui sont les plus résistantes au stress hydrique, « on va chercher la souplesse » souligne l’ingénieur. Comprendre : des variétés capables de s’adapter et de faire face à la tendance générale comme aux variations interannuelles. « L’objectif aujourd’hui est de pouvoir identifier les gènes qui codent pour les traits qui nous intéressent et sélectionner ensuite plus rapidement les variétés adaptées », ajoute-t-il.
Les chercheurs essaient également de sélectionner des variétés plus résistantes aux maladies puisque, comme Matthieu Killmayer le rappelle, « le changement climatique est aussi un changement épidémiologique. » En témoignent les craintes pour le blé de la remontée de la rouille noire dans le sud de l’Europe.
En parallèle de ces travaux de recherche, la sélection de variétés anciennes de céréales, réalisée par certains agriculteurs, pourrait jouer un rôle face au changement climatique. Plusieurs variétés étant cultivées sur la même parcelle, cela peut permettre d’en privilégier certaines localement, voire d’identifier des associations gagnantes. « Il faut être curieux de ces initiatives-là », juge Matthieu Killmayer.
L’idée de diversité gagnante se retrouve d’ailleurs dans un projet récent d’Arvalis : les bouquets variétaux. « Ceci vient d’une observation lors de nos essais : le classement des meilleures variétés dans un contexte pédoclimatique donné ne se révèle pas stable d’une année à l’autre ». Pour s’assurer d’avoir un bon résultat quoi qu’il arrive, le principe serait donc de choisir un mélange de quatre ou cinq variétés – inscrites – plus ou moins adaptées à des conditions climatiques différentes.
« Il va falloir s’adapter à des cycles qui se précocifient tout en évitant les maladies », explique par ailleurs l’ingénieur. La durée de montaison va avoir tendance à raccourcir, l’idée serait donc de semer plus tardivement les céréales à paille tout en essayant d’avoir un stade épi 1 cm qui soit légèrement plus précoce et une épiaison qui perdure dans le temps. S’il faut repenser son calendrier de semis, il s’agit donc également, là encore, d’opter pour les bonnes variétés. Un autre critère peut être sélectionné pour augmenter le potentiel en fin de cycle : la sénescence tardive des feuilles.
Mais tous les leviers ne se résument pas à du choix variétal. Face au changement climatique, il faut aussi adapter le pilotage des cultures. Arvalis travaille ainsi sur des outils d’aide à la décision plus pertinents.
Il faut repenser son calendrier de semis et opter pour les bonnes variétés.
Le travail du sol est également un facteur clef, notamment face aux évènements climatiques extrêmes. Le fait d’augmenter la matière organique en surface, avec le semis direct sous couvert par exemple, permet d’avoir un sol plus structuré qui va mieux résister aux fortes intempéries et être plus résiliant.
Comme l’évoque Matthieu Killmayer, la question de la gestion de la ressource en eau sur les territoires mérite également d’être posée. « Sans vouloir transformer la campagne avec une irrigation omniprésente, la présence de retenues d’eau pourrait être une sécurité, surtout pour les céréales à paille qui n’ont pas besoin d’apports conséquents », suggère l’ingénieur. La problématique dépasse alors largement le champ de l’agriculture, à l’image finalement du contexte qui la sous-tend : un changement environnemental global.