Les systèmes herbagers plus simples à transmettre et à reprendre
TNC le 03/12/2018 à 09:40
Capital engagé, accès à l'emprunt, efficacité économique : les élevages laitiers spécialisés du Grand Ouest, conduits en agriculture durable, c'est-à-dire avec un système de production économe et autonome basé sur l'optimisation des ressources fourragères et le pâturage, sont-ils plus facilement transmissibles ? C'est ce qu'a cherché à savoir l'Observatoire technicoéconomique du réseau Civam à travers sa comparaison annuelle des performances de ces exploitations par rapport à celles du réseau d'informations comptables agricoles (Rica).
La transmission des fermes laitières est une problématique particulièrement importante dans l’ouest de la France. Dans cette région en effet, l’âge moyen des éleveurs laitiers est de 50 ans et les structures sont de plus en plus grosses et capitalisées. C’est pourquoi le réseau Civam a consacré une partie spécifique à cette thématique dans son étude comparative annuelle (2016) des résultats économiques des exploitations laitières spécialisées du Grand Ouest, conduites en agriculture durable, par rapport à celles du réseau d’informations comptables agricoles (Rica) du ministère de l’agriculture.
- Voir aussi l’article sur l’étude prospective du ministère de l’agriculture : Quelle transmission en élevage à l’horizon 2025 ?
L’objectif des Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural (Civam) est de répondre à la question : « Par qui ces élevages pourront-ils être repris si l’on veut conserver l’atelier lait » et avec quelles perspectives économiques ? Premier élément à prendre en compte : le capital à transmettre. En agriculture durable (systèmes optimisant les surfaces fourragères et maximisant le pâturage), la valeur économique des fermes dépasse en moyenne la valeur comptable car elles capitalisent moins. Pour rappel, la valeur économique d’une entreprise tient compte de sa rentabilité et des capacités de remboursement du repreneur ; la valeur comptable, elle, correspond à la valeur nette des actifs (prix d’acquisition auquel on retire les amortissements).
Un fossé entre le prix de la reprise et les moyens du repreneur
Au sein du Rica, la situation est inversée et même largement avec une valeur comptable 40 % plus élevée. Des chiffres révélateurs du fossé qui existe entre le prix de la reprise fixé par le cédant et la somme que peut mettre le repreneur, qui doit alors s’endetter pour de longues années. Un obstacle majeur à l’heure actuelle pour la transmission de ces structures. À noter : ces données n’intègrent que les biens de l’exploitation, mais pas le foncier ni la maison d’habitation. D’où l’importance « de réfléchir à ce que l’on cède et aux différents modes de cession, insiste le Civam. Le cédant peut par exemple décapitaliser avant la transmission. Toutefois, certaines immobilisations ne sont pas si facilement détachables de l’outil de production. »
L’étude s’est également penchée sur l’accès aux emprunts car, avec un capital d’exploitation moyen de plus de 200 000 €/actif, il est généralement indispensable d’en souscrire. Si les élevages en agriculture durable « ont en moyenne des annuités rapportées à la production supérieures aux repères des banques, moins de la moitié de ceux du Rica atteignent ces mêmes indicateurs » (cf. tableau ci-dessous). Les premiers dégagent assez d’EBE pour honorer leurs remboursements et obtenir un revenu disponible excédant un Smic. Ainsi, ce qui compte « ce n’est pas la production mais la richesse que les producteurs en retirent ».
- Lire également, à propos notamment de l’estimation du prix de reprise d’une exploitation agricole : Transmission et installation en élevage − Quelques clés pour réussir son projet
L’avantage d’une meilleure efficacité économique
Attention néanmoins, les résultats des cédants donnent des informations intéressantes en vue d’une reprise mais aucune certitude sur ceux qu’obtiendront les futurs installés. Par ailleurs, les références bancaires sont à relativiser en fonction de la dimension économique des structures : à revenu disponible égal, les petits ateliers ont des capacités de prélèvement plus importantes que les grands car ils sont moins sensibles aux aléas. Ajoutons que « 90 % des fermes en agriculture durable bénéficient d’un prix d’équilibre (suffisant pour rembourser les annuités sans aucun prélèvement ni marge de sécurité, NDLR) inférieur au prix de marché quand 29 % de celles du Rica sont dans le rouge (prix du marché inférieur au prix d’équilibre) sur les quatre dernières années avec un taux d’endettement moyen de 54 % ». « Non seulement elles ne peuvent pas se rémunérer » mais il faut ponctionner dans la trésorerie pour « faire tourner le système ».
Si les élevages en agriculture durable (AD) semblent plus faciles à transmettre au regard du capital engagé et de l’accès à l’emprunt, leur meilleure efficacité économique serait également un atout. « Ayant besoin de moins produire pour dégager un revenu, ils exigent moins de capitaux contrairement aux structures non conduites en AD qui, de ce fait, ont davantage recours à l’emprunt avec un niveau d’annuités remettant en question l’équilibre du système », précise l’analyse comparative. Cette efficacité économique des exploitations économes et autonomes va de pair avec l’efficacité du capital investi : pour un investissement de 100 000 €, les fermes en AD produisent 4 000 € de richesse en plus pour payer ce capital et le travail soit, au final, 6 000 € supplémentaires pour rémunérer la main-d’oeuvre (voir tableau 3).
Une question d’équilibre
À taille identique, l’amélioration de l’efficacité économique des ateliers en AD renforce « leur capacité économique à transmettre » : ces derniers sont plus « accessibles pour des porteurs de projet sans gros capital ». Par conséquent, il faudrait utiliser ce critère pour mesurer la transmissibilité des élevages laitiers plutôt que les résultats de production. Malgré tout, même sans modifier la taille de l’exploitation ou les productions, il faut avoir en tête que les attentes du repreneur et du cédant ne coïncident pas forcément : investissements, système, etc. Tout est alors une question « d’équilibre entre les besoins pour bien finir sa carrière et les enjeux pour bien transmettre », ceci afin de « rendre la ferme plus attractive sans contraindre les futurs choix du successeur ».
Une chose est sûre cependant selon le Civam : « Engager une transition vers un système plus économe et autonome est une démarche pertinente pour améliorer la transmissibilité de sa structure. » En outre, limiter les capitaux donne plus de latitude pour faire évoluer son entreprise, par exemple pour changer de cultures ou de type d’élevage, se lancer dans la diversification, restructurer l’outil de production… Reste maintenant à « persuader les cédants et les porteurs de projet que les modèles herbagers sont plus simples à transmettre et à reprendre ».
(1) « Pour la valeur économique, le Civam fait l’hypothèse d’une reprise avec emprunt à 2,5 % sur 12 ans et un revenu disponible correspondant à un Smic (exigence minimale à atteindre en année 4 pour une installation aidée). À partir de l’EBE dégagé, l’organisme déduit le montant des annuités que la ferme peut rembourser et donc le montant maximal du capital qu’un repreneur est en mesure de rembourser, sous ces hypothèses avec un système et des performances inchangés. Ces approches ne prétendent pas fixer le montant d’une reprise. Elles donnent néanmoins un ordre de grandeur et montrent qu’il n’y a pas qu’une façon de calculer la valeur d’une ferme à transmettre, et que celle-ci résulte d’un compromis entre cédant et repreneur. »
(2) « L’un des principaux critères pris en compte par les banques est l’EBE car cet indicateur reflète la capacité d’une exploitation à céder à dégager un revenu cohérent avec les besoins du repreneur (prélèvements privés, trésorerie, autofinancement, nouveaux emprunts, marge de sécurité) et son aptitude à faire face aux remboursements d’annuités. »
Source : synthèse 2017-exercice comptable 2016, Réseau Civam.