Du lait acheté 45 cts/l, transformé et revendu 1,6 €/l le tout en circuit court
TNC le 29/03/2019 à 05:55
Paul Zindy aurait pu être éleveur, il est devenu fromager parisien. Après avoir cherché à s'installer hors cadre familial afin d'assouvir sa passion pour la transformation laitière, le jeune homme a finalement monté sa propre laiterie au cœur de la capitale. Ses objectifs étaient clairs : faire de bons produits, locaux et rémunérateurs. Mission accomplie ! Après avoir contractualisé 80 000 litres à 45 cts/l avec un éleveur laitier du Vexin, le jeune homme fabrique et commercialise ses produits dans le 18e arrondissement. Une aubaine pour ce passionné d'élevage et de fromage qui, grâce à son activité, retisse le lien entre ville et campagne.
Fabriquer, affiner et commercialiser des fromages artisanaux au cœur de la capitale : voici le pari un peu fou que s’est lancé Paul Zindy. Du haut de ses 32 ans, l’ingénieur agronome de formation a ouvert les portes de sa laiterie il y a 6 mois dans le quartier La Chapelle à Paris. Après des études agricoles et 6 ans d’expérience au sein du service des appellations AOC et AOP du Cniel, ce passionné de fromages réfléchissait d’abord à s’installer en tant qu’éleveur. Il confie : « Grâce à mon emploi à l’interprofession, je côtoyais beaucoup d’éleveurs et je savais que des fermes étaient à reprendre dans certains secteurs. J’aurais pu m’installer, élever mon propre troupeau et transformer à la ferme. En revanche, tout quitter pour s’installer loin de ses racines est un véritable choix de vie et je n’étais pas prêt. » L’idée a alors germé : « Il n’y avait aucune laiterie à Paris. Et puisque je n’étais pas prêt à changer de région mais que je voulais fabriquer des fromages, je me suis dit « il y a un truc à faire » ! »
Une production locale et un commerce de proximité
C’est au beau milieu d’immeubles, dans le 18e arrondissement, que Paul trouve l’emplacement idéal de sa laiterie. Aidé de ses amis, il divise le local commercial en 3 parties : un atelier de transformation, une cave d’affinage et une boutique pour commercialiser les produits, le tout ouvert sur la rue grâce à de grandes vitrines. « De nombreux citadins sont déconnectés du monde rural et de la fabrication des denrées alimentaires. Les laisser observer ce qu’on fait c’est leur donner la possibilité de comprendre comment ça fonctionne. La boutique nous permet de vendre ce qu’on produit, on ne peut pas plus local. »
Avec ses 2 salariés, Paul fabrique 3 fromages au lait cru : une tomme de garde fruitée, une tomme souple, et une dernière à pâte pressée mi-cuite. L’affinage dure alors entre 6 semaines et 9 mois selon les fromages. Comme Blandine et Thomas Graindorge en Normandie, il produit également des yaourts, du fromage blanc, de la faisselle, différentes crèmes et vend du lait cru pasteurisé. Bien que connaissant le métier de fromager, le jeune homme a tout de même refait quelques formations avant de se jeter à l’eau afin d’y voir plus clair. « Il a ensuite vite fallu débuter la fabrication. Au début on hésitait et il nous arrive encore de tâtonner mais il faut bien se lancer à un moment donné ! »
30 petits kilomètres du producteur aux consommateurs parisiens
Des vaches laitières à Paris, ça ne court pas les rues. Sauf au Salon de l’agriculture une semaine par an ! En revanche, il existe encore quelques élevages laitiers à proximité de la capitale. Paul travaille d’ailleurs avec un éleveur du Vexin chez qui il passe 3 à 4 fois par semaine pour collecter le lait. « Mes 3 priorités étaient de travailler en local, avec du lait cru et dans un système cohérent. J’achète alors le lait chez un éleveur à une trentaine de kilomètres de la laiterie. C’est une ferme conventionnelle de 55 vaches Prim’holsteins qui produit environ 400 000 litres. »
« J’ai convenu avec l’éleveur de lui acheter 80 000 litres/an à 450 €/1 000 litres. Le prix du lait est bien évidemment plus élevé que celui auquel lui rachète sa laiterie de base mais mieux rémunérer le producteur fait aussi partie de mes convictions. D’ailleurs, comme toute laiterie, je lui attribue des primes selon la quantité de matières utiles. Parfois, le lait peut atteindre 530 €/1 000 litres car les taux sont plutôt bons (en moyenne 43 de TB et 36 de TP). En revanche, j’ai de véritables exigences de fromager au niveau des butyriques et je songe à appliquer un système de bonus et pénalités selon les résultats car les butyriques peuvent vraiment détruire tout mon travail si les fromages explosent. On sera alors sur du 60 €/1 000 l de pénalité ou de bonus si à l’inverse ça va dans le bon sens. »
« Bien sûr, les clients en boutique me demandent souvent si mes produits sont bios. Je leur explique que le lait que j’achète ne l’est pas mais qu’il le deviendra peut-être un jour. Évidemment, j’aimerais bien que l’éleveur convertisse son exploitation car il y a de la demande ici à Paris mais pour l’instant, le système me convient comme ça. C’est plus cohérent pour moi d’acheter du lait conventionnel à 30 km plutôt que d’aller chercher du lait bio à 100 ou 200 km ! »
Transformation le matin, vente l’après-midi
Les journées de Paul sont plus que remplies : 3 à 4 jours par semaine il quitte Paris à 5 heure du matin pour collecter le lait. C’est dans sa camionnette, dans une cuve de 500 litres qu’il le transporte. « Étant sur un circuit court et sur de petites quantités, la cuve n’a pas besoin d’être réfrigérée. Je travaille toujours sur la même traite puisque je pompe le lait de la veille que l’éleveur me met dans un petit tank à part. » De retour à la laiterie, il verse le lait dans une cuve réfrigérée et la transformation démarre. Elle a lieu tous les matins du mardi au vendredi (la journée du lundi est consacrée au lavage). Les après-midi (et la journée complète du samedi) sont dédiés à la vente au magasin qui ne ferme ses portes qu’à 19h30. Sacrées journées !
Au total, le fromager a investi 170 000 € pour l’aménagement du local et l’achat du matériel. Il a reçu une aide régionale représentant 40 % de l’investissement et a également fait appel au financement participatif. Il a alors récolté 20 000 € pour lancer son activité. « Je ne suis que locataire de mon fond de commerce et le loyer parisien représente déjà une très grosse charge pour l’entreprise. De plus, je suis sur un bail commercial de 9 ans donc je me dois d’être rentable. » Heureusement, l’activité l’est déjà ! En effet, Paul commercialise ses fromages entre 23 et 25 €/kg, les yaourts à 6 €/kg et le lait à 1,60 €/l. « Forcément, ça peut paraître cher pour des éleveurs qui font de la transformation et vendent à la ferme mais mes tarifs correspondent aux prix traditionnels du secteur géographique. De plus, la demande ne cesse d’augmenter, elle dépasse même notre cadence ! »
Aux prix des produits s’ajoute la consigne : 50 centime par produit. « Il était hors de question d’utiliser des emballages plastiques. Je voulais rester « droit dans mes bottes » jusqu’au bout et pour être cohérent dans mon système de circuit court, j’ai décidé de n’utiliser que des emballages en verre consignés. Alors certes, ça représente plus de travail : on passe une journée par semaine à faire la vaisselle, mais ce geste écolo compte aussi pour nos clients et cela les incite à revenir. » À ce propos, toutes les eaux blanches partent à l’égout et ne nécessitent pas de traitement car la structure est encore suffisamment petite et les déchets sont très dilués.
À ce jour, tandis que l’activité est florissante, Paul ne se verse pas de salaire : « Je préfère privilégier l’investissement en réinjectant les bénéfices dans la toute jeune entreprise. » En réalité, le jeune homme a encore de grandes idées derrière la tête : « J’aimerais pouvoir proposer des ateliers de fabrication du fromage, faire venir des écoles et pourquoi pas organiser des visites de ferme un jour. » D’ailleurs, fidèle à ses valeurs, il décrit sa laiterie comme engagée et militante : « L’objectif est vraiment de fabriquer de bons produits, locaux, traçables, en toute transparence et rémunérateurs pour chaque maillon de la chaine. »
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